Éborgnage, loi « anti-casseur », peines de prison : Éléments d’analyse sur la répression des gilets jaunes.

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Ce texte est une analyse des techniques de répression mises en place par le gouvernement contre le mouvement des gilets jaunes. Il est tiré des brèves du bistrot, journal distribué à l’occasion des bistrots de la caisse de solidarité tous les premiers jeudi du mois. Vous retrouverez ce journal en version pdf à la fin de l’article.

Le 11 janvier, Christophe Castaner annonce dans le plus grand des calmes, dans une interview new gen en direct sur le facebook du média Brut., que toutes les personnes qui se rendront en manifestation le lendemain seraient complices de la casse ou des violences qui pourraient s’y produire. Outre l’absence totale de fondement juridique d’une telle déclaration, c’est ce qu’elle véhicule symboliquement qui a de quoi faire tiquer. Elle rappelle ainsi le souhait du gouvernement de jouer à fond la carte de la criminalisation du mouvement, après avoir tenté celle de la neutralisation par des annonces aussi creuses qu’inintéressantes. Les discours officiels se resserrent autour d’une ligne dur, les manifs du samedi qui, acte après acte, font trembler les petites et grandes villes de France doivent cessées et, à défaut, être sévèrement réprimées.

Violences policières

On n’a pas vu pareille pluie hebdomadaire de lacrymos depuis un moment, les « plop » des LBD nous font régulièrement sursauter quand ce n’est pas les puissants blast des GLI-F4. Le journaliste David Dufresne recense les violences policières depuis le début du mouvement. Une personne est décédée après avoir reçu une lacrymo, 17 ont perdu un œil et au moins 4 se sont fait arracher la main. Au total plus de 250 personnes sont blessées gravement et plusieurs milliers se sont fait touchées. Nulle volonté ici de s’en tenir à l’énumération un peu déprimante de nos blessés. Simplement, mettre en exergue ces chiffres permet de montrer à quel point la violence policière est prête à se déployer dans ce genre de mouvement particulièrement offensif et déterminé ; et ce pour deux raisons. D’une part l’impunité qui règne sur les agissements des flics, couverts par leur ministre (« je ne connais aucun policier qui ait attaqué un gilet jaune » dit Castaner), couverts bien sur aussi par la justice, toute prompte à justifier leur acte. D’autre part la puissance des armes utilisées par les flics est colossale et, même en connaissant leur capacité mutilatoire depuis longtemps, on reste choqué à chaque nouvelle vidéo qui la démontre. La violence policière n’est pas présente que dans la rue, depuis quelques semaines elle a aussi fait irruption dans les médias. Ainsi, et même si TF1 a soigneusement éviter le sujet lors de son interview de E.Philippe, quasiment toutes les grandes chaînes télés/radios ou titres de presse ont évoqué la virulence des keufs et de leurs armes. Le constat du nécessaire désarmement, au moins partiel, de la police commence à être partagé par une grande part des gilets jaunes et l’adage « tout le monde qui se confronte aux forces de l’ordre se met à détester la police » semble se confirmer. Ce que chacun commence surtout à capter c’est que le gouvernement se sent tanguer et que, comme disait en substance l’ami Foucault, la répression de l’Etat s’accroît au moment où celui-ci se sent le plus fragile. La violence insidieuse que le gouvernement nous fait subir en nous imposant le règne de l’économie se mue pendant ces samedis en une violence directe sur les corps ; prise de conscience subite et violente de la guerre de basse intensité qu’on subit au quotidien.

Condamnations et loi « anti-casseur »

La répression c’est aussi la justice qui la mène. Le ministère a déclaré près de 7000 interpellations et au moins 1000 condamnations en pas même trois mois. C’est la foire aux gardes à vue : pour possession de lunettes de piscine, d’un masque d’infirmier, ou simplement pour sa présence en manif on peut filer au poste. Le « groupement en vue de commettre des dégradations ou violences » fait fureur et lorsqu’il est assorti de sanctions pour détention d’arme ou violence sur agent, ça peut aboutir à de sacrées peines ; à Lyon par exemple un manifestant s’est pris 8 mois fermes pour un lancé de fumigène vaguement en direction des flics et la présence dans sa poche de son couteau de pique nique. Récemment c’est à travers une loi, dite anti-casseur, que le gouvernement poursuit son entreprise de répression tout azimut. A la suite des manifs aux débordements massifs à Paris et ailleurs de début Décembre, Castaner et Philippe ont ainsi appuyé ce projet déposé initialement par la droite (merci à Retailleau, qui avait déjà commis la pétition « La chienlit, ça suffit » en avril 2018 contre la ZAD et les blocages de fac). Ca rappelle évidemment, par son joli nom mais aussi par le moment choisi pour la discuter et la voter, la loi dite « anti-casseur » promulguée à la suite de Mai 68, puis abrogée par Mitterrand. Un pas de plus est franchi : jusque-là les condamnations tombaient pour des délits aussi flous que « groupement en vue de » (chef d’inculpation qui n’est que le petit frère de l’association de malfaiteurs). Désormais, ce ne sera même plus à un juge de se prononcer : grâce aux services de renseignement, le Préfet pourra jouer aux fléchettes sur un trombinoscope et décider qui pourra encore manifester ou non. Nul besoin d’avoir commis un quelconque délit, le simple fait de « connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un » suffira.

Et par chez nous ?

En plus des flics, à Lyon, on a eu fort à faire ces dernières semaines. Les fafs étaient de sortie en mode agressif et si une partie du mouvement ne veux pas « prendre parti entre facho et antifa » il est clair que de nombreux gilets jaunes ont pris en grippe ces nazillons qui pourrissent les manifs et n’ont pour proposition que leurs éternels bla-bla anti-immigration ;agressant par ailleurs ceux qui déploient des banderoles hostiles à ce genre de discours nauséabonds. Gageons que le mouvement parviendra finalement à les virer.
On a décompté une centaine d’interpellations depuis le premier acte dont quelques unes ont abouti sur des peines de prison ferme. Les récits des comparutions immédiates chaque lundi sur Rebellyon sont éclairants sur la volonté des juges et procureurs de mater les manifestants ; sur celle des flics d’empocher une petite prime en se constituant partie civile. L’épilogue du compte rendu du lundi 28 résume ainsi : « procès inéquitables et uniquement à charge, mépris face aux manifestants gilets jaunes, non remise en cause de la parole policière, chaque audience est à ce titre édifiante sur l’état de délabrement de la société et des, institutions républicaines – comme disent les macronistes. »

Si le mouvement des gilets jaunes a beaucoup été accusé de poujadisme en raison de revendications soit disant centrées uniquement sur la réduction des taxes, aucun doute que ces dernières sont aujourd’hui très diversifiées et font une place réelle à l’anti-répression. Les appels à l’interdiction des LBD ou GLI-F4 se multiplient et la pétition réclamant l’amnistie de tous les gilets jaunes à dépasser les 50 000 signatures. Des gestes de solidarité face à la police se déploient, ainsi les 140 000€ récoltés pour « tous les gilets jaunes blessés par la police » ou l’ahurissante somme amassée pour les frais de justice de Christophe Dettinger. Le port de masques pour se camoufler et se protéger des gaz se développe, la connaissance des armes des adversaires aussi. Et puis, la confiance dans la police et la justice se sera vue sacrément égratignée en à peine deux mois chez des tas de gens qui n’avaient pas grand chose à en dire jusque là, c’est toujours ça de pris !

Bistrot de la Caisse de solidarité tous les premiers jeudis du mois

Tous les premiers jeudi du mois se tient le Bistrot de la Caisse de solidarité à l’Atelier des Canulars. C’est l’occasion de se voir de manière régulière et conviviale pour soutenir les personnes touché⋅e⋅s par la répression. Cette année la rentrée aura lieu le jeudi 4 octobre

1er janvier 2019

P.-S.

La version pdf des brèves du bistrot

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