Depuis une semaine la tension continue de monter, contrairement aux affirmations des journalistes et malgré les appels à la paix du gouvernement. Mécontents de la médiatisation dont jouit la révolte et par la force qu’elle acquiert, les membres de l’AKP s’engagent dans la lutte au côté de la police, pour leur servir d’auxiliaire. Ainsi ils participent au passage à tabac des personnes interpellé-e-s et aux attaques des rassemblements anti-Erdogan.
Depuis le dernier article, les violences racistes ont commencé à émerger. A Istanbul le quartier alévi de Gazi a été attaqué le 3 juin. Mardi 4 juin, à Erzincan, capitale de la région du même nom, où se trouve une forte concentration de population alévi, le rassemblement alévi a été attaqué par la police et l’AKP. De nouvelles attaques encore mercredi 5 à Erzincan et à Tunceli. Les alévis sont visés car très mobilisés dans la révolte pour défendre la valeur de laïcité et parce que très présents dans les groupes politiques révolutionnaires et au CHP (2e grand parti en Turquie, kémaliste et nationaliste, le gros parti d’opposition). Les nationalistes kémalistes ont beau réclamer un mouvement unitaire devant les média étrangers, ils ne sont pourtant pas en reste. Par exemple, des groupes kurdes ont été forcés d’évacuer un rassemblement à Istanbul face à la tension avec ces opposants aux négociations qui ont actuellement cours avec la guérilla kurde du PKK. Les kurdes réclamant l’indépendance et dans, une moindre mesure, la reconnaissance de leur culture.
Dans le même temps, les subordonnés d’Erdogan, profitant de son déplacement au Magreb, tentent d’apaiser les foules. Des excuses du gouvernement ont été faites, aux manifestants écologistes du Gezi Park, concernant les violences policières et « reconnaissant » la légitimité des premières revendications. Mais ces déclarations n’ont pour but que de minimiser la teneur des revendications en ne reconnaissant là qu’un mouvement contre le plan d’urbanisation. Stade dépassé depuis une semaine au moins. Aucun mot évidemment sur les 5 morts. Cependant il est à noter que cette démarche du gouvernement prouve son hésitation quant à la résolution du problème par la force. L’assurance du premier ministre Erdogan n’est pas partagée par tous. En effet, l’armée, instance importante avec laquelle doit compter le gouvernement, reste silencieuse pour le moment et ne prend pas parti.
Des représentants du comité Occupy Gezi Park ont été reçus pour négocier la fin des hostilités. Promesse de changer les Vali (équivalent des préfets) d’Istanbul, d’Ankara, d’Izmir et d’Hatay, de ne pas poursuivre les manifestants arrêtés et de ne pas toucher au Gezi Park ont été faite. Cette manœuvre politique avait pour but de diviser le mouvement de révolte, puisque la rencontre a eu lieu après le début de la grève appelée par le KESK (syndicat révolutionnaire – 250 000 adhérents), qui a rassemblée 500 000 personnes lors des manifestations, et juste avant l’entrée en grève du DISK (syndicat majoritaire) et d’autres le 5 juin. Grève qui permet aux manifestants de se recompter et de se structurer en mettant de côté l’extrême droite (Loups Gris et MHP).
Samedi 8 et dimanche 9 ont vu s’organiser les plus grosses mobilisations depuis le début du mouvement, visibles dans toutes les villes. Plus d’un million de personnes 2 jours d’affilés rien qu’à Istanbul. La police n’ose plus s’attaquer aux cortèges place Taksim. De ce fait, les supporters du Besiktas ont organisé 10 autocars pour aller soutenir les manifestations d’Ankara, où les violences policières continuent toujours, puisque le gouvernement ne veut pas perdre le contrôle sur la capitale du pays.
Depuis le début de la grève général lancée par les syndicats, l’extrême droite (MHP et Loup Gris) s’est officiellement retirée du mouvement, même si certain-e-s personnes continuent à y participer individuellement. Enfin une identité politique émerge. Même si les composantes des manifestations (allant de la droite à l’extrême gauche, des alévis aux kurdes, des associatifs aux supporters de foot) offre un panel politique très large, les revendications ainsi que les choix des portes paroles et représentants (écologistes, élus du BDP - parti de la paix, kurde-, ODP- socialistes révolutionnaires, syndicalistes…) ne laissent pas de doutes quant à l’attachement aux valeurs, très majoritairement, progressistes et de gauche.
En Turquie, les jeunes et un certain nombre d’intellectuels commencent à comparer ce mouvement aux évènements de mai 68 sur le plan de la réflexion et de la remise en question de la société turque. En plus des revendications premières qui s’opposent aux plans d’urbanisation excessifs et aux réformes voulant islamiser le pays, de nouveaux messages apparaissent chaque jour. _ Un cortège non mixte féministe rassemblant des centaines de femmes imposent de nouvelles revendications : « Tayyip Sussun Kadınlar Konuşsun » (« que Tayyip se taise, que les femmes parlent »). Les femmes sont d’ailleurs en première ligne parce qu’elles sont les premières victimes des projets d’Erdogan, revendiquant une égalité homme/femme des salaires et contre le rôle que le gouvernement de l’AKP veut imposer aux femmes.
Un groupe arménien nommé Nor Zartonk s’affiche ouvertement dans les manifestations et revendique un cimetière arménien spolié sur lequel fut bâti le Gezi Park. De fait la reconnaissance du Génocide arménien fait partie des revendications qui ont été présentées par les représentants du mouvement Occupy Gezi Park lors des tentatives de négociation avec le gouvernement.
En attendant, les affrontements se poursuivent et la répression continue de faire des victimes à travers toute la Turquie. Un nouveau mort, renversé par la police et un jeune tué par balle dans le sud de la Turquie, sans qu’on sache qui de l’AKP ou de la police en est responsable.
La place d’internet dans la mobilisation mène le gouvernement à fermer les facebook collectif ainsi que les sites qui appellent à rejoindre les manifestant-e-s. Mercredi, à Izmir, 29 personnes se sont faites arrêtées à leurs domiciles, accusées d’être des « leader online » du mouvement et de propagande mensongère diffamant le gouvernement de l’AKP.
Nous constatons en ce moment un nouvel intérêt porté par les média occidentaux à « la majorité silencieuse » : celle qui ne soutient pas la révolte, qui attend le retour au calme. Parallèlement, on constate que ces mêmes médias ont une forte tendance à sous-estimer le nombre de participants aux mobilisations. Pour le samedi 8 juin, les journaux français affichaient 10 000 manifestants pour Istanbul et 5000 pour Ankara. Comment 10 000 manifestants en Turquie peuvent-ils avoir la capacité de remettre en cause le pouvoir du gouvernement ? Alors même que, sans compter les jeunes, il y a plusieurs centaines de milliers de travailleurs et de travailleuses en grève. Effectivement, comme partout dans le monde, les silencieux sont toujours majoritaires. Aux dernières élections, l’AKP ayant obtenu un score de 58%, nous sommes conscients du soutien dont bénéficie Erdogan, cependant par rapport à l’ampleur du mouvement, ils sont peu nombreux à le manifester activement. Alors qu’en face des millions de personnes manifestent chaque jour, sont en grève, créent et partagent de nouvelles réflexions, passent leurs nuits dehors, se battent contre la police et contre les fascistes, sont blessés et continuent sans ne jamais rien lâcher.
Mais attention, il faut compter avec le retour d’Erdogan, en Turquie, qui souhaite lancer, symboliquement, le début de sa campagne pour les prochaines élections (l’année prochaine) pour défendre son gouvernement. _ Les adhérents de l’AKP sont appelés à se mobiliser ce week-end à Ankara et à Istanbul, avec pour mots d’ordre « attendons la réponse démocratique »(référence aux élections).
Vidéo résumé de la journée du 8 juin dans plusieurs villes.
Cortège de Çarşı, cop de supporter du Beşiktaş, à majorité communiste et anarchiste. Très présent dans les différents mouvements sociaux et particulièrement en ce moment à Istanbul.
Féministes en action à Istanbul.
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