Il est des collaborations que l’on ose espérer. Voici déjà un bout de temps que l’association Témoins cherchait désespérément des têtes d’affiche pour les trois soirées du Taser festival. La création récente d’un compte bancaire de solidarité avec les inculpé(e)s des différents collectifs passés, présents et à venir nous avait amené à l’idée d’organiser un évènement assez classique dans ce genre de circonstances : un festival de musique, de performances et de rencontres pour faire connaître l’existence de cette caisse de solidarité à un maximum de monde. Pour cela, nous pensions qu’il nous fallait tout de même quelques groupes de musique dont la réputation les précède pour s’assurer que la salle du Rail Théâtre et l’Insoleuse ne soient pas à moitié vide le jour venu.
Et puis le manque de temps ainsi que le hasard des calendriers ont fait que des formations musicales nationalement connues ne pouvaient être libres et surtout, risquaient de ne pas pouvoir faire entrer leur public dans des salles à la capacité limitée. Alors nous avons fait ce qui tout compte fait aurait été logique de faire dès le départ, nous avons appelé des artistes de la région qui, non seulement étaient prêts à jouer gratuitement (donc pour le seul bénéfice de la caisse de solidarité), mais qui en plus étaient largement en mesure d’amener un public non négligeable et pour l’ensemble déjà sensible à ce genre de démarche militante. À ces groupes et à leurs techniciens, il faut ajouter toute une foule de personnes qui se sont mobilisées pour créer d’autres espaces dans le cadre de ce festival : buffet végétarien à prix libre, diffusion de courts et de longs métrages, performances artistiques, spectacles en tous genres...
Toutefois, une certaine appréhension nous tenaillait tout de même à l’orée du premier soir. On est jamais à l’abri d’une catastrophe de dernière minute : contagion de gastro-entérite, explosion de Mérieux, finale retour de coupe du monde, etc.
C’est alors qu’un improbable et inattendu geste de soutien nous a été donné par des professionnels du domaine sécuritaire, et ce depuis le fin fond des États-Unis. Pourquoi ? Ont-ils partagé nos craintes sur le manque de diffusion de l’évènement ? Voulaient-ils palier à notre éventuel amateurisme ? Simple générosité de coeur, d’esprit et de portefeuille ? Probablement un peu de tout ça... Évidemment, cette bienveillance ne nous a pas immédiatement sautée aux yeux ; aveuglés par la forme, nous ne pouvions voir le fond. Effectivement, la SMP Technologies qui bénéficie d’un contrat de distribution exclusive en France du pistolet qui électrifie appelé Taser, a assigné en urgence absolue devant le juge des référés l’association Témoins la veille du premier jour du Taser festival.
Le but officiel : interdire à cette association « d’utiliser la marque “Taser”de quelle manière que ce soit ». Pour camoufler davantage ses intentions philanthropiques, elle alla jusqu’à réclamer 4000 euros au titre de protection de la marque et de son image, ainsi que 1000 euros pour chaque reproduction de celle-ci ! Avec le recul, on voit combien le rôle était sur joué. D’autant que le revendeur parisien de Taser International (dont la firme est basée en Arizona) avait choisi comme avocat le spécialiste des violences policières du barreau de Lyon : Maître Versini.
Le scénario était trop parfait, mais on n’a pas la perspicacité nécessaire lorsque l’on apprend à onze heures du matin que l’on doit s’expliquer au tribunal le même jour à 14 heures. Nous avons donc naturellement cherché un avocat qui aurait le temps de prendre notre dossier. Bertrand Sayn a retourné son carnet d’adresses pour nous trouver un de ses confrères disponible, Sylvain Cormier. Celui-ci, a mis toute son énergie à plaider notre bonne foi en mettant à profit les dernières minutes qui nous séparaient de l’heure fatidique. Démontant habilement l’accusation, il a en outre demandé 1000 euros de frais de procédures. En fin d’après-midi il nous a appris la nouvelle : nous avions gagné le procès et la Sarl SMP Technologies, qui importe le Taser était condamnée à nous verser la somme de 600 euros. Quel coup de génie de leur part !
Ainsi, Monsieur Taser-France et Maître Versini sont parvenus à leurs fins : soutenir le milieu militant lyonnais tout en préservant leur image de droite chère à leurs clients. Il n’est pas aisé d’assumer sa conscience politique quand elle vous vient sur le tard. Mais on ne saurait reprocher ce pragmatisme chez des gens qui savent faire preuve d’une telle subtilité et d’une telle pudeur dans l’art de faire un chèque en donnant l’impression qu’on les y a contraints. Bien sûr, certains ricaneurs ne verront que le ridicule apparent de la situation dans laquelle se sont vautrés nos généreux donateurs. D’autres nous feront remarquer que 600 euros c’est une bagatelle pour des marchands d’armes. Mais dans de telles circonstances, n’est-ce pas le geste qui compte ? Et après tout, il ne tenait qu’à nous de demander plus. Et d’ailleurs, pouvaient-ils légitimement donner plus sans risquer de sombrer complètement dans le grotesque ? Non, c’est là une réelle leçon de délicatesse et de savoir-vivre qu’ils nous ont donné ! Merci à eux.
Olivier
Association TÉMOINS
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info