Un mur devant le PS : témoignage de ma garde à vue

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Interpellé et placé en garde à vue à la suite d’une action de désobéissance civile en soutien aux paysannes et paysans de Notre-Dame-des-Landes.
Voici mon témoignage.

Parce que ça ne va pas du tout ce monde contrôlé par les banques et les multinationales, parce que ça ne va pas ce gouvernement qui ment et fait n’importe quoi en dépit des décisions de ces propres institutions pour le seul profit de groupes privés (et donc de quelques personnes in fine).

Parce qu’il y a une nécessité à défendre la ZAD de Notre Dame des Landes et se battre contre l’aéroport et son monde.

Parce que là-bas se construit autre chose, qui ne va pas contre la planète et celles et ceux (humains, animaux et végétaux) qui la peuplent mais bien avec.

Parce que ça me rend malade mais que j’arrive à le transformer en joie de vivre, en envie de faire bouger les choses et en actions concrètes et que ça, ce sera toute ma vie.

Pour ces raisons j’étais avec des copines et copains le jeudi 24 Mars 2016 au soir devant le local régional du PS à Villeurbanne pour y construire un mur, de ceux qu’ils font construire aux frontières, de ceux qu’ils construisent après avoir expulsé les gens qui vivaient dans un endroit qu’ils occupaient sans droit ni titre mais pas pour autant moins légitimement (c’est quel article du code pénal ça Monsieur la légitimité ? Ce n’est pas dans le code pénal).

La date n’est pas choisie au hasard, c’est un appel de la ZAD à des actions coordonnées dans toute la France pour protester contre les expulsions des paysannes et des paysans dits « historiques », qui deviennent à partir de cette date légalement expulsables par la force.

On était là avec nos moellons, nos gâches à ciment, nos truelles, nos sourires et notre envie. Mais vu qu’on est là pour faire du symbolique on met même pas de ciment au sol avant de poser les premiers moellons devant la porte, non, on les pose juste et après on met du ciment entre ceux-ci et les suivants, mais cinq rangées plus tard, à peine un petit mètre de haut, c’est l’intervention des forces de l’ordre (en écrivant ce mot je ne comprends pas son sens, mais pour rendre ce témoignage plus facile à partager j’essaie de mettre les bons mots, mais le dictionnaire Larousse m’informe que « flic » est un terme populaire pour désigner un agent de police, je vais donc m’autoriser à utiliser ce mot).

Les flics arrivent donc, trois voitures dans un premier temps, ils sont armés, sortent leurs flashballs et nous visent en même temps qu’ils approchent, ils sont de différents groupes. Ils nous attrapent par le bras comme des garnements à qui il faudrait faire peur, nous parlent mal, de notre côté on reste aimables et calmes, on leur parle volontiers même.
Certains flics redescendent vite sur terre, se calment voire même commencent à plaisanter, d’autres s’énervent, ils voudraient nous courir après je crois mais on reste là, calmes et un peu fiers de nous quand même. Et c’est parti pour le fichage de tout le monde à même le trottoir, ils (je dis ils parce que il n’y a que des hommes) veulent les identités de tout le monde, et ça les désarçonne un peu quand je leur demande pourquoi, parce qu’en fait je me pose la question quand même de pourquoi, alors je leur pose. La réponse va vite venir de leur hiérarchie, il faut nous amener au poste pour nous contrôler, et donc nous ficher, prendre les noms de celles et ceux qui ont osé faire ça. Bon, sans aucune résistance ni même protester on les suit.

Pour ma part je suis (avec un copain) le dernier à quitter les lieux, un ballet de voitures viendra nous ramasser par paquets, pour nous deux c’est un fourgon, l’ambiance est bonne avec les flics, ils sont presque amusés, on est assis avec l’un d’eux à l’arrière, sans menottes (et sans ceintures de sécurité), les gyrophares sont allumés et le conducteur roule comme un fou du volant, c’est sans doute que c’est très très urgent de nous emmener à l’hôtel de police (gite d’étape). Il fait du contre sens, grille tous les feux, en fait même griller à certaines voitures sans quoi il ne pourrait pas passer en arrivant à fond dans leur coffre avec la sirène appuyée d’appels de phares, bref, le grand jeu. Je demande naïf à ses collègues (à qui tout semble normal) si c’est toujours lui qui conduit, on me répond qu’il aime bien alors que oui c’est presque toujours lui qui conduit, on me dit aussi qu’il a pas le permis et que c’est pour ça qu’il conduit mais après on me dit que c’est une blague (très drôle). Dans la radio, celui qui est à l’avant informe l’hôtel de police de la prise en charge des deux derniers « apprentis maçons » mais précise à ses collègues qu’il faudra mettre un autre terme dans le rapport, que ça c’est juste pour rigoler (qu’est ce qu’on se marre décidément), on arrive sans avoir causé d’accident (miracle ou simple habitude des fous du volant à képi ?).

Arrivés à l’hôtel de police on est tous placés dans une grande cellule en attendant de passer devant des OPJ (Officier de Police Judiciaire), l’ambiance est bonne même si certaines et certains n’avaient aucune envie de se retrouver ici, je veux dire au-delà du fait que personne n’avait envie d’être là certaines et certains ont peur, sont angoissé(e)s.

Quand je vois l’OPJ il fait semblant d’être surpris quand il me demande pourquoi je suis là et que je lui retourne la question, c’est un peu absurde en fait de me poser la question si on prend du recul, je suis pas venu tout seul, ils m’ont amené j’allais dire de force mais même pas, j’ai pas résisté. Bref, je lui réponds donc : « Je ne sais pas, dites-moi ? », il est très désagréable et me dit « Très bien vous êtes en garde à vue », de toutes les façons c’était prévu, on est tous en garde à vue. Aux questions concernant la garde à vue, à savoir si je souhaite aviser quelqu’un de ma famille, voir un médecin et être assisté d’un avocat je réponds non pour la première (pas envie de lui donner nom et numéro de tèl de celles et ceux qui me sont chers) et oui aux deux autres. Toujours dire oui pour le médecin, il va voir si on est en bon état, faire un rapport, si ce n’est pas le cas on va pouvoir s’en servir pour porter plainte contre la police, si c’est le cas c’est la garantie de le rester... Oui également pour l’avocat (en l’occurrence une avocate pour moi) qui va dans les premières heures nous rappeler nos droits et nous dire comment ça va se passer (la police entretient le flou le plus possible pour mettre les gardés à vue dans une situation oppressante au maximum, ils et elles mentent ou « oublient ») puis il ou elle sera là pour assister aux interrogatoires, et pour nous défendre en cas de déferrement.

Bon, garde à vue, c’est relou, c’est chiant, mais c’est le jeu je me dis, certains flics passent nous voir, nous glissent des « je ne vous dit pas Bravo, mais quand même c’est con que vous ne l’ayez pas fini ce mur », plus tard d’autres diront « Si on avait su on aurait tourné à droite, on venait pour un braquage du PS nous » et autre « vous avez raison mais on fait notre métier nous », et autres pouces en l’air, sourire complice, etc...
Dès leur intervention je remarque qu’ils ont tous des gants différents (en l’occurrence celui à qui j’ai le plus à faire il a des gants de jardin ! ), je le lui fais remarquer, mais étant tout à fait calme et non violent, voire sympathique, le dialogue se noue, ça ne fait pas partie de leur équipement me dit mon interlocuteur, d’ailleurs ils n’ont pas grand chose. J’apprendrai pendant ces 20h que vont durer mon passage entre les mains de la police qu’ils et elles ont une salle de 9m2 pour une équipe de 12 pour y entreposer leurs affaires personnelles, leurs ordinateurs de travail, leur matériel, autant dire le luxe. Un seul micro-onde pour que chacun réchauffe sa nourriture parce qu’il n’y a pas de service restauration (si j’ai bien compris pour tout le commissariat), que c’est à eux de nettoyer les véhicules en allant à l’aspirateur automatique (sur les heures de travail ? Mais ils ne payent pas de leur poche, il y a une cagnotte pour ça, quel luxe !). Et tout ça me questionne, non que j’ai envie que la police dispose de moyens supplémentaires pour réprimer, ficher, et exécuter les ordres qui émanent du système certes démocratique mais non moins illégitime à mes yeux. C’est plutôt que je me demande si ces conditions dégradées de travail, y compris chez la police ne participent pas du fait qu’ils et elles exécutent aveuglement les ordres qu’on leur donne de peur de perdre le peu qu’ils et elles ont. Et si c’était une entreprise comme les autres la police, et si ça permettait de bien en faire ce qu’on veut, de les faire travailler dans des mauvaises conditions ?
Parce qu’au fond ils sont d’accord avec nous, eux qui sont intervenus « et si c’est UMP (oui je sais il n’était pas très à jour) qui gagne aux prochaines élections vous irez là bas ? » me demande l’un d’eux en indiquant la direction du local LR le plus proche. « Oui » je réponds, « de toute façon c’est pareil, c’est la même merde, qu’on vote pour les uns ou pour les autres » « C’est pour ça que je ne vote pas » je réponds. J’en profites pour préciser, je ne vote pas...pour eux, c’est-à-dire rarement. « Pour eux on est de la police de merde » me dira-t-il finalement.

On est ensuite fouillé(e)s et placé(e)s en cellules individuelles, ma fouille est mise sous scellé, je redemande à ce moment à avoir un verre d’eau, « bien sûr je vous apporte ça » me dira un flic, « nous n’avons pas de gobelet » me dira un autre, le robinet de ma cellule est cassé « si si ça marche dans la cellule » un troisième, bref pas d’eau. Je n’en obtiendrai pas jusqu’à mon transfert vers le commissariat de Villeurbanne le lendemain matin.

Je vois donc un médecin, puis mon avocate commise d’office, on procède à ma signalétique, c’est à dire empreintes, photos et prélèvement ADN, je me plie aux premiers mais refuse le prélèvement ADN, je suis contre le fichage génétique des militants non violents, je trouve cette tentative grave en termes de libertés individuelles. Le policier en charge de la signalétique me répond « je ne vous dis pas ce que vous risquez en refusant, vous vous en foutez », ce genre de phrase culpabilisante et rabaissante sont chose commune dans les commissariats, si tu es là c’est que tu es con, que tu t’en fous et que tu l’as bien cherché. Non, je suis là précisément parce que je ne m’en fous pas du monde qui part en couille, parce que j’ai une conscience politique et que je l’assume et je ne crois pas être con. Après sur le fait que je l’ai bien cherché, que dire. Non, Oui, j’assume mes actes mais je m’estime victime du système répressif. Je suis légitime, pas aux yeux de la loi, mais aux miens. Donc oui je l’ai bien cherché, non je ne l’ai pas « bien cherché ».

J’ai la chance de réussir à retourner la situation désagréable dans laquelle je suis en force créatrice et en rage joyeuse : je chante, je pense, je fais la sieste, je fais des étirements, du gainage (comme ça je vais pouvoir passer du 6A à la salle d’escalade), je discute (c’est pas facile, on s’entend pas bien) avec les cellules voisines. A 7h peut-être 8h (pas moyen de savoir) c’est le petit déjeuner, ah bah oui j’ai rien mangé depuis hier midi, j’ai un peu la dalle quoi, je savoure donc les deux maigres galettes au beurre (goût beurre devrais-je dire) et la briquette d’eau déguisée en jus d’orange, c’est pas lourd, mais avec un peu (beaucoup) de conditionnement mental c’est satisfaisant. Puis vient le transfert vers le commissariat de Villeurbanne, un camion aménagé de 4 cellules individuelles dans lesquelles on est emmenés menottés un par un, des grilles + plexiglas sont agrémentées d’un bout de carton pour qu’on ne voit pas au travers, ce qui ne nous empêche pas de faire un point, de discuter. Une fois arrivé(e)s (cette fois-ci le conducteur n’était pas pilote de rallye) on est emmenés menotté(e)s depuis le parking au sous-sol à « l’accueil » des cellules de garde à vue, on peut se voir, on a l’air bien crevé(e)s, on est laissé(e)s un peu là comme des cons, toujours les menottes dans le dos, on se dit bonjour en face, on se fait la bise, oui avec les menottes dans le dos, ça fait bien rire les policiers, mais ils se sentent un tout petit peu cons face à tant de camaraderie « Ah, ils se font la bise ! » cour de récréation. L’un d’eux au bout de 5 minutes (c’est long avec les menottes trop serrées - elles le sont systématiquement) dit à ses collègues « mais il faut les dé-pincer » et le fait, on nous attribue ensuite des n° de cellules et de casiers dans lesquels sont mis nos fouilles sous scellé arrivées avec nous.

Une petite heure plus tard c’est l’heure de mon audition par l’OPJ en charge de l’enquête, mon avocate est là, elle n’a pas le droit de parler pendant la première partie, mais sa présence est rassurante. Il m’est donc demandé mon état civil, que je donne, puis ça glisse vers des informations personnelles que je refuse de communiquer comme j’en ai le droit. Ce qui n’empêche pas l’OPJ de me faire la morale (le coup classique de « Vous savez moi j’ai autre chose à faire de beaucoup plus important que vos petites conneries alors dîtes-moi tout ! »), de mal me parler « Pourquoi vous ne voulez pas me donner votre n° de portable ? » moi : « Parce que je n’ai pas envie. » Lui : « Bon très bien. » Moi : « Je ne vous donnerai pas d’autres informations me concernant, je vous ai donné mon état civil. » Lui : « très bien, mais moi vous voyez faut que je mette quelque chose, alors je mets célibataire (quel rapport avec l’enquête avec qui je fais l’amour ?), sans enfants à charge, je suppose que vous ne travaillez pas... » je me permets de l’arrêter « C’est très désagréable ces préjugés monsieur, un peu comme votre collègue qui nous a traités de pue-la-pisse tout à l’heure » gêné (quand même) sans doute à cause de la présence de mon avocate à qui il jette un coup d’œil avant de dire « ah bon, ah je vous invite à porter plainte contre lui, qui c’est ? », je lui réponds que je ne sais pas qui il est et j’en profite pour lui dire que je n’ai pas encore eu ma notification de garde à vue (c’est tout à fait illégal),« ah bon ? Sur votre notification il y a marqué »refus« pour la signature » je réponds « et bah non, je ne l’ai jamais vue ni lue », il me la tend, je la lis et de fait je ne l’aurais pas signée, je lui retourne, mon avocate demande si je souhaite qu’elle fasse un mémoire à ce sujet je lui réponds que non (une erreur d’ailleurs). Puis viens le grand jeu de « je n’ai rien à déclarer » à toutes ses questions, mais je suis d’humeur joyeuse alors j’en fait profiter tout le monde et quand il me présente les photos des faits en me demandant ce que j’en pense je lui réponds « Que ce sont de jolies photos, surtout celle-ci » c’est une des photos qui a été prise des drapeaux que nous avions avec nous « Non à l’aéroport, Notre Dame des Landes » avec un gros avion peint dessus, il note tout ça soigneusement dans le procès verbal. La seule autre chose que je dirai sera à propos du refus de signalétique ADN : « Ma participation à cette action de désobéissance civile ne justifie en rien un fichage ADN à mes yeux », je refuserai ensuite de signer ce PV qui stipule que je suis sans emploi, sans revenus et célibataire ce qui est tout à fait faux.

Après ça dure un peu, c’est long, vient le « repas » du midi, riz et poulet au curry (je suis assez satisfait de manger du poulet dans un commissariat, il m’en faut peu finalement), même sans mes lunettes (c’est pas très agréable à la longue, mais je m’estime heureux, la copine dans la cellule à côté à une bien plus grosse correction que moi et c’est la migraine ophtalmique depuis hier soir) je vois qu’il y a de l’amidon de maïs modifié là dedans, des OGM quoi, normal. Je le mange avec grand plaisir quand même, ça va faire 24h que j’ai eu pour seule pitance deux galettes riquiqui et une briquette arôme orange.

Et puis ça dure encore, ça sent l’arnaque, on se dit qu’on va être déférés, les copains copines en ont marre, ça fait pas plaisir, puis vient la sortie, c’est fini, on est libéré(e)s ! Bon, déjà c’est assez long entre les premiers et les derniers qui sortent, on est quand même 13 sur cette affaire. Quand vient mon tour, on me restitue ma fouille, ah ça alors elle n’est plus scellée !? « Non c’est juste pour le transport que c’est scellé » me répond un flic, mon cul oui (je dis pas ça bien sûr) et là il me présente une pile de papiers à signer, c’est super, tout un tas de trucs qui légalement auraient dû m’être présentés au fur et à mesure et AVANT de briser le scellé, bref, de la grosse blague, j’apprends que ma fouille a été « inspectée minutieusement » et que mon portable a fait l’objet, là j’ai plus le terme, mais bref, ils l’ont craqué pour récupérer ce qu’il y avait dedans. Je refuse de signer une grande partie des papiers, le pompon est quand même que je dois signer que j’ai récupéré ma fouille « sac fermé ». Je me saisis du stylo et raye « fermé » pour marquer « ouvert » à la place, ça énerve les flics « Ça sert à rien monsieur de faire ça, vous signez c’est tout » moi : « non je vas pas signer que j’ai récupéré le sac fermé alors qu’il est ouvert, c’est absurde », et il y a des papiers bleus « convocation aux fins de composition pénale » que je signe, puis ils me font sortir.

Je retrouve les copains et copines, libres aussi, mais là c’est bizarre on est pas du tout convoqué(e)s à la même date (ça s’étale de juillet à octobre 2016) et pas aux mêmes endroits. Les flics qui ont fait la demande au proc ne sont pas les mêmes pour toutes et tous, des OPJ ou gardiens de la paix qu’on a même pas vus pour certains, bref, de la grosse blague, ça sent le coup fourré, juste pour pas qu’on puisse être ensemble. Ils ont éclaté l’affaire pour rendre individuelle une action collective. C’est pas très sport comme on dit, mais c’est pas grave on va refuser leur conciliation foireuse et on aura peut-être le droit à un procès en correctionnelle, on pourra s’expliquer collectivement sur cette action non violente, symbolique, de désobéissance civile contre l’aéroport et son monde.

Mais je crois qu’ils ont peur de nous...

Henri.

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