Trois heures d’une vie kafkaïenne. Retour sur le procès en appel de Kamel Daoudi

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Comptes-rendus de justice

Ce mercredi 27 janvier, comparassait Kamel Daoudi, plus vieil assigné à résidence de France, devant la cour d’appel de Riom. Il lui était reproché un retard de 25 min sur le couvre-feu quotidien qui lui est imposé depuis douze ans. En première instance (septembre 2020), il avait écopé d’une peine d’un an d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Actuellement incarcéré au quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, à près de 500 km de sa famille, il a donc été rejugé.

  • Kamel Daoudi vient d’être libéré

    La cour d’appel de Riom vient de décider, ce mercredi 3 février, la libération de Kamel Daoudi, en demandant au ministère de l’Intérieur de justifier son assignation à résidence lors d’une prochaine audience le 24 février.

    « C’est un soulagement pour M. Daoudi et sa famille. La cour ne considère pas en l’état que Kamel Daoudi est dangereux, contrairement aux affirmations sans preuves du ministère de l’intérieur reprises telles quelles par le ministère public », a déclaré à l’AFP son avocat, Emmanuel Daoud. « Lorsque des magistrats, gardiens des libertés d’ordre individuel, sont saisis et font leur travail, les affirmations du ministère de l’intérieur ne sont pas prises pour argent comptant et c’est réconfortant pour nos libertés » a t-il ajouté.

  • Kamel Daoudi vient d’être libéré

    La cour d’appel de Riom vient de décider, ce mercredi 3 février, la libération de Kamel Daoudi, en demandant au ministère de l’Intérieur de justifier son assignation à résidence lors d’une prochaine audience le 24 février.

    « C’est un soulagement pour M. Daoudi et sa famille. La cour ne considère pas en l’état que Kamel Daoudi est dangereux, contrairement aux affirmations sans preuves du ministère de l’intérieur reprises telles quelles par le ministère public », a déclaré à l’AFP son avocat, Emmanuel Daoud. « Lorsque des magistrats, gardiens des libertés d’ordre individuel, sont saisis et font leur travail, les affirmations du ministère de l’intérieur ne sont pas prises pour argent comptant et c’est réconfortant pour nos libertés » a t-il ajouté.

L’éternité c’est long, surtout à la fin.

Pour avoir une idée du parcours de Kamel Daoudi et de sa situation ubuesque, on peut se référer à une vidéo d’Amnesty International :

Entrée à la cour d’appel de Riom

Une vaste salle d’audience, avec des moulures au plafond. De part et d’autre du box vitré deux tapisseries monumentales font face à six immenses fenêtres encadrées de rideaux de velours.

La cour se compose d’une présidente et deux assesseures, le procureur est à leur droite du côté des fenêtres. Les deux avocats de la défense, Emmanuel Daoud et Hugo Partouche se tiennent prêts et attendent leur client à côté du box.

La salle est sonorisée : la présidente a un micro qui fonctionne, et le box en est également équipé. Pour la plaidoirie et à plus forte raison le réquisitoire, il faudra tendre l’oreille.

Dans la salle il y a la presse, un observateur d’Amnesty International, et bien sûr la famille et des ami-e-s de Kamel Daoudi. Ses trois enfants devront rester dans le couloir. Bienveillante, la présidente préfère « qu’ils ne voient pas leur père dans le box », « c’est des affaires d’adultes » et puis c’est « traumatisant » nous a-t-elle fait dire par un flic plus tôt, alors qu’on attendait. Certes, mais probablement pas autant que la vie que la patrie des droits de l’homme impose à cet homme et à travers lui à cette famille depuis 13 ans.

Un long silence, puis Kamel Daoudi apparaît dans le box encadré de quatre policiers en gilet pare-balles.

La présidente commence : « le 24 septembre vous avez été condamné en première instance à Aurillac, à douze mois de prison, avec mandat de dépôt pour ne pas avoir respecté les conditions de votre assignation à résidence : dépassement d’une demi-heure du couvre-feu, vous vous êtes abstenu de rechercher un pays d’accueil suite à votre obligation de quitter le territoire français, et il y a eu quelques incidents de pointage au commissariat. Pourquoi avez-vous souhaité faire appel ?
« J’ai trouvé que le verdict était disproportionné au regard de ce qu’on me reproche », répond Kamel.
« Vous avez le droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de garder de silence », l’informe-t-elle.
Il s’enquiert de la possibilité de retirer le masque, ce ne sera pas possible, à cause de la proximité de ses gardes dans le box vitré. « D’ailleurs chacun est masqué », précise-t-elle.

L’avocat de la défense, Me Emmanuel Daoud commence, et il y va fort :
« Je ne sais plus comment je dois plaider pour M. Daoudi. Cet homme a été condamné à un an ferme pour un dépassement de quelques minutes, alors même qu’il était dans un lieu parfaitement identifié. Il y a comme une hystérie sécuritaire qui fait qu’on ne comprend plus très bien si on lui reproche des actes ou un passé ? Plaider la clémence ? Plaider avec virulence ? C’est une mascarade judiciaire, on ne croit pas aux nullités soulevées... ».
Effectivement, il va surtout plaider l’exception d’illégalité [1] pour amener la cour à déclarer les arrêtés du ministère de l’intérieur illégaux. Ce qui ferait tomber l’ensemble de la procédure pour « non-respect d’assignation à résidence. »

« Nous sommes convaincus que les trois arrêtés [2] sont illégaux et que vous allez entrer en voie de relaxe » lance M. Daoud.

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Parcours d’assigné à résidence

Il détaille ensuite longuement le parcours de Kamel Daoudi. en appuyant sur le fait qu’à 46 ans, il a vécu 41 ans en France. Sa vie, aussi dure soit-elle au vu des conditions qui lui sont imposées, en tant que perpétuel assigné à résidence, est ici. Arrivé à l’âge de 5 ans avec sa famille, il n’a plus aucune attache en Algérie. Il a fait ses études ici : il est titulaire d’un bac, possède une double licence et est ingénieur en informatique.

Arrếté en 2001 et condamné en 2005 à six ans de réclusion pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », il est libéré en 2008, trois ans plus tard. L’application des peines fait état d’un comportement « exemplaire » en détention. Cet élément tangible contraste brutalement avec le discours que tiendra plus tard le ministère de l’intérieur, qui pérore sur sa supposée dangerosité dans ses trois fameux arrêtés, largement repris par le ministère public. À sa sortie de prison il est placé en CRA [3]. Cependant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) retient provisoirement la France de l’expulser vers l’Algérie, au motif qu’il risque la torture dans ce pays, qui n’adhère pas aux « standards » en vigueur dans l’Union Européenne en matière de droits humains.

Le 24 avril 2008 il est assigné à résidence à Aubusson suite à un premier arrêté ministériel. Il rencontre à cette période sa compagne. En juin 2008, l’OFPRA rejette sa demande d’asile.

En décembre 2009, la CEDH, à l’unanimité (c’est très rare), fait droit à la requête de Kamel au sujet du risque de traitement inhumain et dégradant en cas d’éloignement vers l’Algérie (ce qui violerait l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme), en particulier vu le risque d’internement dans les prisons secrètes du sinistre DRS algérien (Département du Renseignement et de la Sécurité) qui y pratique couramment la torture, d’après de nombreux rapports d’observateurs nationaux et internationaux) [4].

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En janvier 2010, il est condamné à 6 mois fermes pour non-respect de son assignation à résidence. Il avait accompagné à l’hôpital en urgence sa compagne, alors enceinte de leur premier enfant.

En avril 2010, le ministère de l’intérieur modifie soudainement son lieu de résidence : quand les agents du ministère se présentent chez lui, il dispose d’une demi-heure pour prendre ses affaires et faire ses adieux, avant d’être emmené sur son nouveau lieu de résidence à 400 km de là. De plus, il doit pointer trois fois par jour au commissariat.

Entre 2010 et 2011 il subira encore deux déplacements supplémentaires, à chaque fois à 400 km de sa famille. Tous ces déplacements sont arbitraires, décrétés par le ministère, évidemment sans débat contradictoire. C’est le « fait du prince » comme le souligne à juste titre l’avocat.

Fin 2011, il atterri à Carmaux, où il pointe jusqu’à quatre fois par jour. Il est rejoint en 2012 par sa compagne qui a obtenu sa mutation. En 2015, elle acquiert un pavillon pour loger la famille et leur troisième enfant va bientôt naître. La famille subit alors le harcèlement de voisins, militants notoires du FN, comme le rapporte le maire dans un article de presse local. En dehors de cet élément, le maire insiste : Kamel Daoudi ne fait aucunement parler de lui.

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L’avocat souligne que quand Kamel Daoudi est du jour au lendemain changé de localité, il y a systématiquement des manifestations hostiles de militants d’extrême-droite. D’ailleurs, il a lui-même [l’avocat] reçu un tombereau d’insultes et d’insanités fascistes le matin de l’audience, sur twitter.

Une plainte pour harcèlement a été déposée à l’encontre desdits voisins. Pourtant, encore une fois, il est déplacé en septembre 2016 à 400 km (nombre fétiche du ministère de l’intérieur ?) de Carmaux, sans avoir pu dire au revoir à ses enfants. Les effets combinés du harcèlement des voisins et du harcèlement de l’État français sur la famille ne sont plus à prouver, et ont conduit la compagne de Kamel à un arrêt maladie de presque un an.

Il arrive ensuite à Aurillac, ce qui d’une certaine manière améliore sa situation puisque qu’il n’est plus qu’à 150 km de sa compagne et de leurs quatre enfants, le pointage est alors réduit à trois fois par jour ; pour autant il n’a pu voir sa famille que 17 fois en 2020, en raison des difficultés matérielles qui entravent les visites familiales ; en particulier les conditions précaires dans lesquelles il est en mesure de les accueillir, les horaires de pointage ne l’autorisant pas, à les visiter au domicile familial. L’avocat met en évidence le fait que son assignation à résidence fait vivre Kamel dans « une prison à ciel ouvert », et en profite pour souligner qu’il est peu commun qu’Amnesty International dépêche un observateur dans un tribunal français, preuve du traitement hors-norme qui est infligé à l’intéressé.

Les avocats de la défense à l’attaque

Après ce propos liminaire, Maître Daoud commence : « La décision en première instance se fonde sur l’art 624-4 alinéa 1er du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) [5], mais l’alinéa 3 (au sujet des manquements aux pointages), n’est pas visé,. En revanche le manquement à l’obligation d’apporter mensuellement la preuve de démarches en vue de trouver un nouveau pays d’accueil, qui n’est pas sanctionné pénalement, était cité dans les motifs. »

Il invite la cour à apprécier la légalité des arrêtés ministériels : « Votre cour est compétente (art 111-5 du CP) pour apprécier la légalité des trois arrêtés litigieux. » « Aurillac motivait sa décision par la nécessité de protection de l’ordre public et la protection des citoyens. » Il souligne également que la charge de la preuve revient au ministère public, c’est-à-dire que le procureur doit prouver matériellement que les trois arrêtés sont licites.

Il rappelle la décision de relaxe de Kamel Daoudi précédemment rendue à Saintes, où le parquet était dans l’incapacité de justifier l’arrêté autrement que par des notes blanches : « Nous avons vérifié l’existence d’éléments matériels » disait alors le procureur. « Est-ce que les notes blanches ont valeur de preuve ? Non. Elle doivent servir de point de départ à des investigations. » Ce n’est pas le cas ici, puisque aucune enquête n’est en cours.

Sur les exceptions d’illégalité

« Article 66 de la Constitution sur la détention arbitraire : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

« La cour devra trancher si l’assignation à résidence de Kamel Daoudi constitue une restriction de liberté ou une privation de liberté. Que dit la CEDH à ce sujet ? Il existe une jurisprudence de 1980, l’affaire Guzzardi contre l’Italie, la cour a statué que « Pour déterminer si un individu se trouve "privé de sa liberté" au sens de l’article 5 (art. 5), il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée [6] (…) Entre privation et restriction de liberté, il n’y a pourtant qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence. (…) Aucun de ces éléments ne permet sans doute de parler de "privation de liberté" si on le considère isolément, mais accumulés et combinés ils soulèvent un problème sérieux de qualification au regard de l’article 5 [de la Convention européenne des droits de l’homme]. Le traitement incriminé ressemble par certains côtés à l’internement dans une "prison ouverte" ou à l’affectation à une unité disciplinaire [7](...) Tout bien pesé, la Cour estime que le cas d’espèce se range dans la catégorie des privations de liberté. ».

La situation de Kamel Daoudi surpasse celle de M. Guzzardi sur tous les critères considérés : le genre, la durée, les effets et les modalités. Les effets : on a parlé de sa vie de famille, il ne peut pas travailler, par le passé l’état payait son logement et il recevait un peu d’argent pour des repas frugaux, c’est terminé : il vit de subsides familiaux. Il ne fréquente pas les mosquées, cependant je ne sais pas où il en est du sentiment religieux » précise l’avocat, nul doute que la perspective d’alimenter une nouvelle note blanche ferait passer l’idée de pratiquer, même à un croyant sincère. « Le genre [de mesures], ce à quoi il s’expose si il ne respecte pas la mesure : trois ans – il a pris un an. Il est placé systématiquement à l’isolement. Quand il voit sa vie s’effondrer, je sais pas comment cet homme est encore vivant, comment il est pas devenu dingue ? Nous avions peur d’un phénomène de décompensation, avec mon confrère Hugo Partouche. Est-ce que ces dépassements [d’horaires] valent de prendre un risque vital ? La durée : l’Italien est resté assigné trois ans, lui en est à treize ans ! Onze ans depuis le dernier arrêté. On ne sait pas quand ça va s’arrêter ? « L’éternité c’est long, surtout à la fin » c’est de Franz Kafka. Est-ce que cette peine rentre dans le cas de l’article 5-1-f [de la Convention EDH], est-ce que la procédure d’expulsion est en cours ? »

« Quels sont les éléments factuels pour apprécier la dangerosité ? Comment peut-on juger en 2021 que Kamel Daoudi représente un danger pour l’ordre public ? Aurillac a dit que parce qu’il y avait eu des attentats récemment, il représente un danger. Ça ne veut rien dire ! Là, il est à Riom, si il se produit un attentat à Clermont il représente un danger ? »

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« Sur la recherche de pays d’accueil, prévue par l’article L561-1 CESEDA, on ne peut pas être assigné à résidence, expulsable à perpétuité. Kamel Daoudi a essayé de trouver un pays autre que l’Algérie, qui n’aurait pas d’accord d’extradition avec l’Algérie. 40 demandes, à sa sortie de prison, avant d’avoir ses enfants. Au bout de 8 ans d’assignation en 2016, l’administration elle-même a cessé de demander des preuves de ces recherches, et c’est bien normal, il a une vie de famille ici en France. En 2019, subitement retour de l’obligation de faire des démarches pour chercher un pays d’accueil, mais c’est de la mauvaise foi de la part du ministère de l’intérieur ! On peut pas dire d’un côté « oh le dangereux ! » et puis « prenez-le ». Quand la préfète du Cantal donne un titre de séjour et de travail de 5 mois, elle dit qu’il n’y a pas de perspectives d’éloignement. La CEDH a infléchi sa jurisprudence, (référence à un arrêt de la CEDH au sujet de Djamel Beghag) mais il faut poser la question à chaque fois, pour chaque justiciable, de savoir s’il va risquer la torture en Algérie. La DRS algérienne a été dissoute, l’armée a repris le pouvoir et le tristement célèbre Général Toufik (ex-directeur de la DRS) a été réhabilité par l’armée. Il y une situation de répression terrible face au Hirak. Dire que la situation actuelle en Algérie correspond aux standards internationaux en termes de droits humains, c’est aller un peu vite en besogne. Des hommes et des femmes meurent sous la torture en Algérie actuellement. »

L’Article 2 du protocole 4 de la Convetion EDH, au sujet du libre choix de la résidence et l’article 8 de la Convention EDH sont ensuite invoqués, pour rappeler que la supposée dangerosité de Kamel Daoudi n’est pas étayée par des éléments factuels et que les mesures dont il est l’objet, en particulier ses très nombreux changements imposés de lieux de résidence font obstacle au projet de vie commune avec sa compagne et leurs quatre enfants.

La méchanceté à l’état pur

Le procureur prend la parole, il est littéralement rouge, ce qui crée un contraste saisissant avec ses cheveux blancs immaculés.

Il ne parle pas très fort, et commence par exposer à quel point il est choqué par l’emploi du terme « hystérie sécuritaire ». Alors que la défense soulevait des points de droit, il qualifie la plaidoirie de victimaire, cédant à la simplification, au pathos et aux comparaisons douteuses... il évoque la douleur « dans leur chair » des victimes du terrorisme, que personne ne songerait à remettre en question. « Quand on met en balance sa situation avec les victimes des attentats… ». « La valeur démocratique est la richesse de notre pays, je salue d’ailleurs les organisations de défense des droits humains présentes dans la salle. Ce qu’il y a c’est qu’une poignée d’individus entrave les citoyens dans leur droit à vivre dans la paix. » Ensuite il s’emporte (c’est la minute chauvine) « le Cantal n’est pas une île italienne isolée du reste du monde, c’est un endroit normal où les gens vivent normalement », piqué au vif par la référence à la jurisprudence Guzzardi.

Il poursuit en expliquant qu’il ne peut pas produire les notes blanches, et qu’il laisse l’appréciation factuelle de l’arrêté, objet d’un recours administratif, au Tribunal Administratif de Paris (dont la décision devrait intervenir cette semaine).

Ancienne école, il continue : « On ne peut pas arguer du fait que le ministère public n’apporte pas la preuve que les arrêtés sont légaux » (sauf qu’il se plante, la loi a été modifiée en 1994 !). Selon le procureur, les bases légales à considérer sont : les arrêtés, le jugement du Tribunal Correctionnel de Paris de 2005 et l’OQTF toujours pas exécutée.

« Kamel Daoudi n’est pas, comme il le prétend une personne qui a refait sa vie [...] Les arrêtés sont circonstanciés au regard de la situation. » Il détaille les motifs évoqués dans les arrêtés : le ministère de l’intérieur y affirme, sans jamais rien prouver, qu’il aurait manifesté son implication dans la « radicalité violente », aurait été trouvé en détention avec un ordinateur contenant des indications concernant la fabrication d’explosif et les attaques de prison.l aurait menacé le personnel municipal à Carnaux. Toujours dans les arrêtés, suite à une perquisition administrative en 2016 (en plein état d’urgence suite aux attentats de 2015) et à la consultation de son matériel informatique ont été retrouvées des recherches sur deux personnes condamnées pour association de malfaiteur terroristes, supposées prouver une adhésion à l’idéologie salafiste, et sa fille aurait dit « quelque chose » à l’école après les attentats de 2015.

Le procureur va même plus loin en donnant raison à la quarantaine de militants du groupscule néo-fasciste « Génération identitaire » qui manifestaient en septembre 2019 contre la présence de Kamel Daoudi sur le sol français. « Des pays ont refusé d’accueillir Kamel Daoudi, mais pas le Brésil ; donc pourquoi n’irait-il pas au Brésil ? »
Avant d’exulter : « on peut pas exploiter certaines décision de la CEDH et en réfuter d’autres quand elles ne nous arrangent pas. » Il nous lit ensuite un passage de l’arrêt CEDH sur Djamel Beghal, et conclut « il n’a pas été fait état de maltraitance sur Beghal à son retour en Algérie » avant de faire preuve d’une humilité bienvenue : « mais je connais pas vraiment la situation algérienne. »

La parole à la défense

La parole retourne à la défense, et Hugo Partouche reprend le procureur en lui rappelant l’entrée en vigueur du « nouveau » code pénal en 1994 introduisant l’article 111-5.

« Sur les recherches découvertes dans l’ordinateur lors de la perquisition : elles concernent deux personnes condamnées et les voisins militants d’extrême droite contre qui il y a une plainte déposée pour harcèlement. Le maire de Carmaux a fait des attestations. Comment il se fait qu’un prisonnier fasse des recherches sur la fabrication d’explosifs et qu’aucune instruction pour association de malfaiteurs ne soit ouverte ? Et il est libéré un an après ? C’est grotesque ! Les prétendus propos de sa fille ? Absurde ! Pas de signalement de la part de l’établissement [aux services de protection des mineurs] alors que si c’était le cas ce serait manifestement une mineure en danger, sous influence. »

« L’incident est joint au dossier » annonce la présidente. Elle rappelle la situation et les préventions à l’adresse de Kamel Daoudi. La contestation sera tranchée sur les arrêtés. Elle l’interroge sur les incidents de pointage et sur des absences nocturnes révélées par l’exploitation du téléphone, saisi lors de la perquisition de septembre 2020.

Il répond : « Je suis assigné à résidence depuis treize ans. Eloigné de ma femme depuis quatre ans, non pas pour des raisons sécuritaires mais suite au harcèlement des voisins. Les choses se sont envenimées au moment des élections municipales. J’avais envoyé un colis pour les enfants avec des jouets, etc... ils ont fait mine de croire que c’était un colis piégé, après ça il y a eu un camion de police devant chez nous pendant des semaines, "pour notre sécurité", c’est fou comme comme ils ont réussi à manipuler tout le monde, en particulier les pouvoirs publics. »

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Rappel à l’ordre de la juge pour répondre aux questions sur les absences :

« Je ne conteste pas les sorties nocturnes, j’étais dans un état de détresse psychique après la décision du Tribunal Administratif. » Il poursuit en détaillant ses conditions de détention : « ça fait quatre mois que je suis à l’isolement, il y a eu un suicide au quartier disciplinaire. Le COVID a fait qu’il n’y a aucune activité, la promenade c’est une heure dans une cellule à ciel ouvert mais tellement grillagée qu’on ne voit pas le ciel. Les permis de visite de mes enfants ont été refusés. J’ai fait une grève de la faim et de la soif pendant quatre jours, après j’ai eu tellement mal aux reins que j’ai recommencé à boire. » « Je comprends que la situation de la France est très difficile, particulièrement depuis 2015. Moi j’ai été condamné en 2005 pour des faits de 2001, que je n’ai jamais reconnus. Djamel Beghal m’a dénoncé sous la torture aux Emirats... Il y a des câbles diplomatiques sortis par Julian Assange. Ce projet d’attentat était fictif... »

La présidente l’arrête, elle cite d’autres condamnations ; elle lui pose des questions sur des disques durs trouvés dans son appartement, il répond qu’il rend service, et qu’on lui donne parfois un peu d’argent en échange. Elle s’offusque, « mais c’est du travail au noir ? », il maintient, « non, je rends service ». Elle soulève le point du permis de séjour et de travail de 5 mois délivré par la préfète du Cantal. Il répond qu’il n’a pas été notifié de cette décision, à l’époque, la mention sur son document d’identité n’a pas été modifiée. Elle poursuit « vous avez parlé de votre famille. Vos enfants sont présents, je n’ai pas souhaité qu’ils assistent à l’audience. » Elle revient sur son parcours scolaire et professionnel. « Vous êtes de nationalité algérienne. » « J’ai été déchu de la nationalité française en 2002, avant même d’être condamné, en violation de la présomption d’innocence. » « Je ne conteste pas le droit d’un État à protéger ses concitoyens, mais je ne veux pas porter un chapeau plus grand que ma tête : le ministère de l’intérieur se sert de moi comme outil de communication. »

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Le procureur rappelle encore une fois la prévention, soit le non respect de l’assignation à résidence qui justifie la condamnation en première instance. À l’adresse de la présidente « Je vous demande d’entrer en voie de condamnation, de confirmer la peine prononcée en première instance et de prononcer le maintien en détention. » « Je suis désolé M. Daoudi, mais les prisons sont pleines de gens qui ne reconnaissent pas les faits et qui pour autant ne sont pas exempts, ils sont coupables ! » ironise-t-il.

Pour finir, Emmanuel Daoud reprend la parole : « Est-ce qu’un retard mérite un an d’emprisonnement, la privation de toutes relations avec sa famille ? J’en appelle à votre humanité et à faire attention à l’ensemble de la situation. Je réfute l’argument qu’il est dangereux et qu’il fait de la provocation. On n’a rien trouvé dans son ordinateur, dans son téléphone, vous savez très bien ce qu’on trouve, chez les personnes radicalisées. Là il n’y avait rien ! Il a donné ses codes, c’est pas le comportement de quelqu’un de dangereux, ça ! Alors oui, il avait huit disques durs, on va pas lui reprocher de rendre service pour quelques dizaines d’euros ; il est titulaire d’une double licence, ingénieur – réduit à mendier ! Vous croyez qu’il a fait exprès de venir en France à l’âge de cinq ans ? La Loupiote c’est un bar associatif [à Aurillac] il y a eu un reportage sur France 3 régional. On y fait du tricot, on apprend à y faire de la bière et à casser des noisettes, le fameux soir [de son interpellation, devant le bar] il y faisait des falafels. Oh le dangereux ! Dans les éléments matériels il y a sorties nocturnes les 5 et 7 septembre, M. Daoudi vous êtes décidément bien difficile à défendre, vous reconnaissez des faits qui ne sont même pas caractérisés ! Comme les incidents de pointage ! Mesdames je sais pas ce que vous allez décider, mais c’est des cinq minutes, sept minutes il est tellement honnête qu’il le signale aux policiers, c’est le comportement d’un dangereux, ça ? ». L’avocat termine en offrant une porte de sortie aux trois juges : « Si toutefois vous entriez en voie de condamnation, je vous demande de prononcer une peine équivalente au temps déjà passé en détention ».

La décision de la cour est mise en délibéré au 3 février.

P.-S.

En attendant Kamel Daoudi reste enfermé à l’isolement à la maison d’arrêt de Corbas. On peut lui écrire pour lui apporter son soutien (Maison d’arrêt de Lyon-Corbas. 40 boulevard des Nations BP 351 69 962 Corbas Cedex). On peut également participer à ses frais de justice grâce à cette cagnotte : https://www.helloasso.com/associations/temoins-des-acteurs-en-mouvement/collectes/solidarite-avec-kamel-daoudi

Notes

[1Au sens de l’art. 111-5 du « nouveau » code pénal, créé en 1994 : « Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis. »

[2Des actes administratifs, émanant du ministère de l’intérieur (le pouvoir exécutif), qui sont la base légale de l’assignation à résidence de Kamel Daoudi. Pas de débat contradictoire, ils contiennent des assertions qui ne sont étayées par aucun élément factuel … c’est l’arbitraire dans toute sa splendeur !

[3Centre de rétention administrative = prison pour sans-papiers

[4Voir l’arrêt complet ici

[5Art. L. 624-4 « Les étrangers qui n’auront pas rejoint dans les délais prescrits la résidence qui leur est assignée en application des articles [...] ou qui, ultérieurement, ont quitté cette résidence sans autorisation « de l’autorité administrative » sont passibles d’une peine d’emprisonnement de trois ans.

[6Arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, série A no 22, p. 24, §§ 58-59.

[7Arrêt Engel et autres, précité, p. 26, § 64.

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