L’interview de Davide Steccanella, avocat de Cesare, traduisait il y a un mois tout juste, la sensation de négation de son métier dans « cet État de non-droit » face à l’acharnement médiatique et judiciaire obscène réservé à Cesare. A relire à la lumière des derniers évènements.
"Vous condamnez à mort Battisti, faites-le franchement. Dans cet état de non-droit, il est impossible d’être avocat."
Davide Steccanella, défenseur de l’ancien "Pac" : "Sur l’affaire de l’alimentation, une ignoble instrumentalisation. Mais ainsi l’État cesse d’être crédible".
"Je fais ce travail parce que je pensais être dans un État de droit. Mais à la lumière de tout ce qui se passe, que dire ? Que Battisti a eu raison de s’opposer à l’État ? »
"Je fais ce travail parce que je pensais être dans un État de droit. Mais à la lumière de tout ce qui se passe, que dire ? Que Battisti a eu raison de s’opposer à l’État ? »
Davide Steccanella est avocat de profession. Et il défend une personne inconfortable, Cesare Battisti, qui a toujours été un personnage controversé, qui chatouille les pires instincts pro-potence. Le dernier scandale à son sujet - parce qu’il l’est devenu – concerne la nourriture. Les faits sont simples : étant atteint d’hépatite et de prostatite, dit Steccanella à Il Dubbio, la nourriture de la prison est mauvaise pour sa santé. Il aimerait avoir, comme les autres détenus, la possibilité de cuisiner lui-même, avec un petit four, la nourriture la mieux adaptée à son état.
Mais la chose est immédiatement devenue toute autre. C’est-à-dire une demande de privilège, de traitement de faveur, aux yeux de ceux qui, le jour de son arrivée en Italie, ont défilé à l’aéroport comme sur une scène. Tout cela malgré le fait que Battisti, depuis un an maintenant, vit dans un état d’isolement illégitime. Pour les juges de l’exécution, sa peine de prison à vie - à purger pour meurtre et vol commis au moment de son militantisme parmi les Prolétaires armés pour le communisme - est égale à celle des autres prisonniers de droit commun. Pas de 41 bis, pas d’isolement.
Mais le ministère de la justice a ordonné pour lui une haute surveillance, l’envoyant dans une prison - celle de Massama, en Sardaigne - où il est le seul à relever de ce régime. Et donc seul, bien que sa période d’isolement, établie par une sentence, soit limitée à six mois. Dans ces conditions, le poêlon dans la cellule n’est donc pas autorisé. Tout comme il est inutile de se demander pourquoi il est encore isolé de tout le monde : personne ne répond.
Que s’est-t’il exactement passé, Maître ?
Comme toujours, une instrumentalisation honteuse a été faite. M. Battisti a souligné son état de santé et ne s’est pas plaint du menu de la prison, comme quelqu’un l’a dit, mais a simplement demandé au magistrat de surveillance la possibilité de pouvoir cuisiner dans sa cellule les aliments qui lui sont fournis et qui sont plus équilibrés pour son alimentation, ce qui est accordé à tout le monde.
Ce n’était donc pas une plainte pour mauvaise alimentation ?
Non, et cela aurait été stupide, aussi parce que vous n’allez pas voir l’agent de libération conditionnelle pour lui dire que vous n’aimez pas le menu de la prison. Il réclamait le même droit que les autres prisonniers à pouvoir cuisiner dans leur cellule une nourriture compatible avec leur propre état de santé, car il a constaté une détérioration de son état de santé à cause de la nourriture de la prison. Qu’elle soit appétissante ou non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici : elle contient un certain type de graisse qui lui provoque des troubles. Voilà quels étaient les faits, qui sont devenus « Battisti se plaint du menu ». Et hier soir, honnêtement, voir Tg5 interviewer le fils de Torregiani m’a paru de trop.
Torregiani est une victime, pourquoi est-ce un problème pour vous ?
Respect total pour les victimes, mais quel sens cela a t’il de l’interviewer sur le problème alimentaire de Battisti en prison ? Quel est le rapport avec le droit à la justice de la victime ? Quel est le rapport avec la justice réparatrice ? Il est normal, en tant que victime, de répondre qu’il est habitué à manger des huîtres. Mais il n’est pas juste que la revendication d’un droit soit considérée comme une plainte. De la même façon que s’il se dit préoccupé par la contagion parce qu’il a une hépatite, cela devient qu’il en profite pour rentrer chez lui comme une fleur sous prétexte de Covid. Tout, depuis le début, a été traité de cette manière. Dès son arrivée en Italie, avec le ministre qui faisant des selfies à l’aéroport.
Quel est le statut de Battisti à l’heure actuelle ?
Il est en isolement, illégalement, depuis un an. Parce que le ministère l’a classé « As2 » (haute surveillance, ndlr) dans une prison où il savait qu’il n’y avait pas d’autres détenus dans la même situation. Ce qui signifie qu’après avoir purgé les six mois d’isolement cellulaire établis par le tribunal il y a 41 ans, il devait être mis en condition de vivre la détention comme tout un chacun. Mais ils ont fait en sorte qu’il soit envoyé dans un isolement de fait, irréversible et qui se poursuit encore aujourd’hui. J’ai écrit au président de la Dap, à l’exécutif, au garant, à tout le monde, pour dénoncer la détention illégale en isolement qui dure depuis plus d’un an. Personne ne m’a répondu, excepté une communication verbale de la prison expliquant que la déclassification avait été rejetée.
Pourquoi ?
Lorsque j’ai demandé à connaître les raisons étant donné que le dernier delit de Battisti remonte à 1979 dans une période historique bien précise, je n’ai pas reçu de réponse. Il y a eu plus de 6 000 personnes condamnées pour les événements de ces années-là, aucune d’entre elles n’a été classée haute surveillance, alors j’aimerais comprendre pourquoi le faire 40 ans après les événements. Quel besoin de haute surveillance ? Ecrivez-le moi ! Mais pas moyen d’obtenir de réponse.
Je ne pense pas qu’un État démocratique puisse se permettre de ne pas fournir les motivations d’une mesure.
Quelles sont les conséquences ?
En attendant, l’affaire du poêlon est peut-être un détail en soi, mais elle se répercute sur sa santé. De même pour pouvoir parler à son fils de 5 ans au Brésil, via Skype, nous avons fait des pieds et des mains. Il a réussi à lui parler après plus d’un an de prison. Il est juste que Battisti purge sa peine, mais pourquoi doit-il le faire dans un régime spécial 41 ans après les faits ? C’est cela que je ne comprends pas. Et après tout cela, la solution qu’ils proposent est de l’envoyer à Rossano Calabro, encore plus loin de sa famille - qui n’a pas les moyens de payer les frais pour les visites - et du défenseur. Le détenu n’est donc pas condamné à une forme, légitime, de détention, mais à la torture, car il est isolé de tout le monde. Sans même pouvoir cuisiner dans sa cellule.
Mais ce régime spécial est-il le résultat d’une décision d’un juge ?
Non : les magistrats de l’exécution, en rejetant ma demande de commutation de la peine à 30 ans d’emprisonnement, tel que l’Italie s’y est engagé auprès du Brésil, ont établi que cette peine ne devait pas être soumis à des régimes spéciaux, mais à un régime ordinaire, car les faits remontent à 1979. Cependant, le ministère a décidé, en son avis incontestable, qu’il devait être maintenu sous haute surveillance. Ou être envoyé à Rossano, avec les terroristes islamiques. Cela a-t-il un sens ? Je suis avocat de métier, je suis le fils d’un magistrat et j’ai été policier, je dois croire aux institutions, mais je vois un ancien vice-premier ministre qui devant une telle demande dit « tais-toi et vite, lâche meurtrier » et je vois que Torregiani est interviewé pour dire au public qu’il a l’habitude de manger des huîtres. Je me retrouve à assister une personne dont le nom déclenche les instincts les plus vils et ce que je trouve grave, c’est que l’État finisse par être l’otage de l’opinion publique. Car ce traitement injuste est le résultat d’une incapacité à aller à l’encontre de la vindicte populaire. Je ne peux pas trouver d’autre explication. Battisti est présenté comme un monstre, comme s’il avait inventé la lutte armée, mais tandis que ceux qui l’ont fait évader en 1981 ont continué à combattre l’État, sauf peut-être à se repentir ou se dissocier pour purger deux ans de prison, il a quitté l’Italie, sans poursuivre cette lutte. Quel est son tort, ne pas s’être rendu ?
Peut-être celle d’avoir passé tant d’années en homme libre...
Mais l’État ne peut pas imposer plus que la peine qu’il a fixée. Une fois arrêté, prenant par ailleurs auprès du Brésil un engagement qu’il n’a pas respecté, il n’a pensé qu’à l’effet répressif de la peine, certainement pas à celui de la rééducation. Il avait 25 ans à l’époque, dans une période historique radicalement différente, quel danger Cesare Battisti représente-t-il pour la collectivité à l’âge de 65 ans ? Quel est le critère pour mettre un prisonnier sous haute surveillance ? Le risque qu’il reprenne le combat armé ? Nous devons nous rappeler qu’entre-temps, il a vécu dans la légalité, en tant que citoyen libre, avec des documents, qu’il a vécu à la lumière du jour et qu’il n’a plus commis de délit. Le dernier remonte à 1979.
Pourquoi, selon vous, ce régime spécial ?
Parce qu’on veut lui faire payer le fait que pendant 40 ans, on aie pas pu l’attraper. Mais ce n’est pas sa faute. Par ailleurs tout le monde oublie que, entre une chose et l’autre, il a passé une dizaine d’années en prison. Je suis d’accord pour qu’il purge sa peine, mais pourquoi ainsi ? De plus, il devrait être à 300 km de ses proches au maximum, alors qu’ainsi il ne peut même pas recevoir de visites.
Mais tout cela n’expose-t-il pas l’État au risque de violations de la loi ?
Bien sûr, mais le problème ici est avant tout pratique. Et j’attends du ministère, bien que tardivement, qu’il reconnaisse le caractère illégitime de cet état de détention et qu’il prenne des mesures. Au lieu de cela, ils refusent sa déclassification et me refusent la possibilité d’un recours administratif. Je n’arrive pas à en comprendre la raison, sinon que son nom est Cesare Battisti. Et cela malgré le fait que dès son retour en Italie la première chose qu’il fait faite a été d’appeler, par mon intermédiaire, le procureur Nobili, admettant avoir pris part aux Pac, comme il ne l’a par ailleurs jamais nié. Il ne revendique rien, mais tout ce qu’il fait est immédiatement stigmatisé. Je suis stupéfait. Et en fin de compte, le problème n’est pas seulement celui de Battisti.
Que voulez-vous dire ?
Si vous sapez la culture juridique de notre pays et permettez à un dirigeant politique de parler ainsi, sans que cela soulève l’indignation, vous court-circuitez le système des droits et suite à cela les dégâts seront pour tout le monde. Un jour, nous réaliserons les conséquences de ce que nous avons fait en cédant à cette poussée pro-potence. Nous serons tous perdants, nous le regretterons tous, mais il sera trop tard. Si nous voulons une justice sommaire, alors mettons franchement une potence sur la place, cela coûte encore moins cher. Mais en tant qu’avocat, je ne veux pas être complice, parce qu’alors je fournis un alibi, en prétendant que tout va bien, puisqu’étant donné ma présence, le droit de la défense est garanti. Qu’on dise clairement que pour Battisti et Vallanzasca les règles ne tiennent pas, avocats et juges ne servent à rien et alors dépensons l’argent pour d’autres raisons. Mais ayons le courage de le dire, sans pour autant nous faire passer pour un État de droit : nous l’avons abandonné, le droit, dans ces cas-là. Un État faible, qui est soumis à la vindicte populaire pour ne pas lui déplaire, a abdiqué sa fonction. Battisti, à l’époque, voulait combattre l’État, il est revenu en Italie après 40 ans, je l’ai convaincu, contrairement à ce qu’il pensait alors, que c’est un pays où la loi existe, que dois-je dire en voyant ces choses, qu’en fin de compte c’était lui qui avait raison ? Je trouve difficile à ce stade de faire ce métier.
Pourquoi ?
J’ai compris que tant que je ne fais pas de procès qui touchent médiatiquement à la vindicte populaire du pays, alors je peux être tranquille. Mais dès que je défends Vallanzasca ou Battisti, qui au contraire déclenchent les pires instincts, on perd toute raison. Alors je dis : est-ce que je me tourne vers un État ou vers le tribunal populaire du samedi soir ? Que dois-je faire, renoncer à mon mandat, puisque dans l’impossibilité d’exercer ma fonction ? Ce n’est pas bien joli. Il y a une construction continuelle du monstre et c’est aberrant. Je peux comprendre la presse à sensation et une certaine propagande politique, qui est vile, mais je m’attends à avoir un État sérieux, qui se scandalise de telles choses.
Le ministre de la Justice devrait vous répondre...
Mais étant donné que quand Battisti est arrivé en Italie, il faisait des selfies, ça me semble difficile. Le concept est le suivant : jeter la clé. Si vous voulez rétablir la peine de mort, commencez par là. Mais vous ne pouvez pas brandir la Constitution les jours de fête et la négliger ensuite de manière aussi flagrante. Je ne peux pas accepter cela. Je ne suis pas un subversif : Je veux un État sérieux et crédible, pas un État vengeur du Far West.
Interview publiée le 13 juillet 2020 sur Il Dubbio
Traduction publiée par 1Mot2Cesare, sur Thechangebook.org (corrections bienvenues au besoin)
Plus de contenu -> 1Mot2Cesare - Blog Médiapart LeNous - Carmilla OnLine - Page FB (via dontolink) La vendetta dello Stato : il caso Cesare Battisti
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