A Lyon mercredi 8 juin, la justice administrative bafoue le droit de grève : que ne ferait-on pas pour l’Euro 2016 ?

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Loi travail 1 complément

Après la météo, ce sont maintenant les Fan Zones qui servent de prétexte à briser la grève. Comme à St-Etienne, où le maire assignait ce mercredi 8 juin devant le Tribunal Administratif de Lyon les agents territoriaux en grève occupant un centre technique municipal. Tribunal qui, en fin de journée, a étrangement ordonné l’évacuation du piquet de grève. Retour sur cette situation rocambolesque.

Depuis le 31 mai, des agents territoriaux de la ville de Saint-Etienne (et pas uniquement les éboueur.es) sont en grève et occupent le centre technique municipal rue Coubertain. (CTM [1] ).

Iels s’inscrivent principalement dans le mouvement contre la loi travail mais luttent aussi pour l’amélioration des conditions de travail qui se dégradent dans les services de St-Etienne. Pour eux, cela se traduit par des manquements fréquents à la sécurité sur les machines, des outils peu nombreux, mal entretenus, des pressions managériales, une précarisation des contrats... Iels revendiquent ensemble l’extension à tous les services d’une prime qui n’est accordée qu’à certains d’entre eux (les autres pouvant aller se faire voir chez plumeau) et demandent également l’annulation d’une procédure disciplinaire absurde menaçant un de leurs collègues.

Une partie des employés ont donc décidé de faire grève. Iels tiennent le piquet nuits et jours depuis une semaine devant l’entrée du CTM, perturbant partiellement l’utilisation du matériel stocké dans le centre (barrières, véhicules de nettoyage, de collecte d’ordures etc). Dans le même temps, les éboueur.euse.s et d’autres services municipaux de la métropole de Saint-Etienne sont entré.e.s en grève, augmentant un peu plus l’ampleur des mobilisations, à Saint-Etienne comme partout en France.

Comme nous l’explique un gréviste, avec le temps,

« le CMT est devenue un lieu de convergence des luttes parce qu’il y a pas mal d’entreprises du privé qui viennent ponctuellement et s’inscrivent dans des actions contre le projet de loi travail. On a des copains de l’énergie qui viennent, les camarades cheminot.e.s, parce que les cheminot.e.s ont aussi un feu allumé depuis sept jours sur [la gare de] Chateaux-Creux. Sur St-Etienne on peut dire que contre la loi travail le feu brûle et pour l’instant il est pas prêt de s’éteindre, même si Mr Perdriau met tout en œuvre pour faire taire la contestation et surtout bafouer le droit de grève. Je crois que ça a très bien été démontré pendant le procès. »

En réaction à la grève, le maire a fait appel à une société privée pour ramasser les poubelles. Cinq camions de Suez ont ainsi tourné dans la ville ce weekend. Selon la mairie, ils ont assuré un tiers de la tournée habituelle, surtout dans le quartier de Châteaucreux et en centre-ville, dans « les secteurs névralgiques ». Aux tentatives de décrédibilisassions des grévistes dans les médias et à la sourde oreille des pouvoirs publics, la CGT répond dans un communiqué que :

« Contrairement à ce que vous affirmez, nous sommes des personnes responsables, et, croyez-nous les Stéphanois ne s’y trompent pas. (…) Par orgueil, vous avez choisi de rejeter l’ensemble des demandes exprimées par les agents et portées par la CGT, préférant payer des entreprises privées pour effectuer la collecte des ordures ménagères au frais des contribuables stéphanois. Mais là aussi, force est de constater que votre action a été orientée par « votre désir de briller », car seul le centre-ville a été nettoyé ! »

Pour Gaël Perdriau, maire (LR) et président de la communauté urbaine de Saint-Etienne, l’objectif est bien évidemment que tout rentre dans l’ordre avant le début tant attendu de l’Euro 2016. « Il y a un risque sanitaire que je ne peux pas accepter ». Peut-être craint-il le retour de la peste ?

Le 3 juin, pour briser la grève, il dépose une requête en référé devant le tribunal administratif (TA). Des contributeurs et contributrices de Rebellyon se sont rendus au procès pour en savoir un peu plus.

Retour sur l’audience

L’audience s’est tenue ce mercredi matin au tribunal administratif de Lyon.

Dès le début, le dossier de l’accusation paraissait bien creux. Présentation de photos issues de Google pour expliquer la topographie du lieu au juge, absence de justification du droit de la ville de Saint-Etienne sur ce dépôt, aucune donnée récente sur l’occupation du lieu... L’accusation reposait sur 3 arguments :

  1. Le fonctionnement régulier du service public de la ville ne peut être assuré. Alors qu’il existe une vingtaine d’autres dépôts communaux, et que le ramassage des ordures est (normalement) pris en charge par la métropole, ce serait presque le chaos à Sainté sans ce CTM.
  2. Une partie du matériel nécessaire à l’installation de la fan zone serait ’pris en otage’ et cela gênerait la tenue des exercices du plan sécuritaire. Pourtant, ces exercices se sont déroulés sans entraves cette semaine...
  3. Le blocage d’un domaine public communal est interdit et ne rentre pas dans le droit de grève. Bon, ce n’est pas faux, encore faudrait-il pouvoir qualifier cette action de blocage, ce qui n’a pas été fait et a été démonté, preuves à l’appui, par la défense.

La requête de l’avocat de Saint-Etienne ? l’expulsion (dans les 2h après le rendu de la décision) des personnes qui occupent le CTM et 2000 euros d’amende pour l’organisation syndicale et les 3 syndicalistes qui ont osé parler de blocage dans les medias et se sont retrouvés identifiés comme meneurs.

Face à cette volonté de casser la grève, la défense a plaidé pour :

  1. L’irrecevabilité de la requête, car la preuve du titre de propriété de la ville sur le CTM n’a pas été produit à temps par son avocat.
  2. L’incompétence du juge administratif pour juger l’affaire étant donné qu’elle relève du droit de grève et la question de la liberté de travaillé, un droit fondamental inscrit dans la Constitution, et qui concerne donc le juge judiciaire. De tous les procès sur ce sujet (17 de mémoire ?), aucune ordonnance n’a été rendue par un juge administratif. Ce serait donc une première.
  3. Elle a aussi montré que les grévistes n’étaient pas expulsables puisqu’ils n’occupent pas le centre même, mais son entrée et ses abords sur la voie publique. Or la ville ne peut recourir à un tribunal administratif pour chasser des occupants de la voie publique.

Par ailleurs, la défense a pertinemment rappelé que le droit de grève était par nature le droit de perturber son employeur, que ces perturbations en sont le principe même et qu’il n’est pas légitime de le reprocher aux grévistes. Surtout quand la mairie, qui crie au scandale au tribunal, semble sur un petit nuage dans sa communication sur twitter, impatiente d’exhiber sa belle fan zone.

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Point essentiel : grève n’est pas blocage.

La cessation du travail volontaire qu’est la grève ne touche que l’individu qui la choisit. Tandis qu’un blocage impose à tous les salariés de cesser de travailler et entrave complètement le fonctionnement d’un service.

Dans notre cas, 39 (!) attestations de travailleurs.euses non-grévistes ont été remises au juge par la défense, qui indiquent qu’iels n’ont rencontré aucune difficulté à circuler ni à travailler, et n’ont reçu aucune contrainte ou menace. De plus, quatre constats d’huissier disent que des agents non-grévistes et des véhicules ont pu entrer ou sortir du centre sans entrave. Le volume de travail a été réduit, oui, mais le service continue d’être assuré.

Comme le rappelle un membre de la CGT, la plupart des agents soutiennent le mouvement mais n’ont pas les moyens de se mettre en grève :

"en même temps ils sont contre la loi travail mais vous savez, les agents territoriaux, contrairement à ce qui peut être dit dans la presse, c’est pas des agents qui gagnent bien leur vie, malheureusement. Et il y en a énormément qui tous les mois peinent, tous les mois sont dans la difficulté et du coup, ils ont du mal à s’inscrire dans un mouvement de grève, surtout aussi dur. Donc ils sont sympathisants, pour la très très grande majorité. Mais malheureusement, pour certains, le salaire est tellement bas...

De l’autre coté, le maire semble au bord de la crise de nerf et appelle le préfet et l’Etat à assurer « le droit des citoyens a regarder l’euro en paix » ...

Mise à jour à 21h00 :

Malgré la non-concordance des priorités avancées par le maire, l’absence flagrante d’éléments objectifs produits par l’accusation, comme l’a rappelé l’avocate de la défense, la prétendue incompétence du tribunal administratif à juger cette affaire... contre toute attente, le juge a finalement ordonner l’expulsion immédiate des grévistes, donnant raison à la mairie.

Il est étrange de voir la justice administrative remettre en cause le droit de grève. Les conséquences directes de cette ordonnance sont de casser le mouvement social et de briser les luttes des employé.e.s. Malgré tout, la contestation sociale ne faiblit pas et comme nous le disait le délégué CGT ce matin : Bienvenue dans la lutte !

P.-S.

Article réalisé dans le cadre du collectif d’entraide à la rédaction.

Notes

[1Centre gérant les moyens de transport et les outils dont les villes ont besoin pour leur mission de service public (voierie, espace vert, etc.).

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  • Le 9 juin 2016 à 11:44, par S.Bois

    Les briseurs de grève entament de nombreuses actions en justice mais pourquoi les grévistes ne répondent-ils pas (aussi) par des actions en justice ? Il est interdit d’engager des intérimaires ou d’employer des sociétés privées pour pallier aux absences des gens qui font grève ! Il faut entamer, par exemple, une action en justice contre la communauté urbaine de Saint-Etienne pour délit d’entrave !

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