Le Manifeste conspirationniste, publié anonymement (éditions du Seuil, janvier 2022), reprend certaines caractéristiques et thématiques des livres du Comité invisible (L’insurrection qui vient, A nos amis, Maintenant, et réputé proche de Tiqqun et l’Appel). Entres autres, même verve et même propension assumée à poser des propos clivants et péremptoires – un ton qu’on pourra à bon droit trouver pédant et surplombant, mais auquel il faut reconnaitre un certain style. Le jour de la publication du livre, le Comité invisible publie ce message sur Twitter : « Les livres du Comité invisible sont signés Comité invisible ». Dont acte. Reste que le Manifeste (peut-être écrit par d’anciens membres du Comité invisible) reprend une partie du raisonnement où l’avaient laissé les livres de ce dernier, c’est à dire une réflexion sur le Pouvoir et sur les forces qui s’opposent à lui.
Sur la question du Pouvoir, on sent une inflexion vers les thèmes techno-critiques, d’une façon intéressante qui prolonge certains passages d’A nos amis. Ce qui conditionnerait notre obéissance ce seraient les infrastructures logistiques, technologiques, dans lesquelles nous sommes pris, ainsi que des technologies d’ingénierie sociale (donc de manipulation). D’où le titre du livre : en effet ce livre prête des intentions au Pouvoir, cherche à qui profite le crime, parfois de manière outrancière (on y reviendra). Prolongement aussi sur la réflexion sur la cybernétique, sur le « libéralisme existentiel », sur la mentalité « démocratique »…
Mais sur la question des forces qui s’opposent au Pouvoir, cet opus à l’intelligence de décaler le point de vue par rapport aux ouvrages précédents. En effet, L’Insurrection qui vient et les livres suivants étaient destinés à un public d’étudiants en rupture de ban, de déserteurs bac+5 à fort capital culturel. Le public de destination de ce livre-ci, ce sont tous les gens qui éprouvent un sentiment diffus de malaise avec l’ordre établi ; typiquement, les participants aux manifestations contre le Pass sanitaire, Gilets jaunes, non-vaccinés, ceux qui cherchent des « contre-infos » sur internet sans s’en tenir aux médias traditionnels et qui « font leur propres recherches »… On pourra considérer comme une preuve d’intelligence que de s’adresser à ce public, et de déserter les déserteurs, même si ceux-ci se sont peut-être sentis vexés de ne pas être au centre de l’attention.
Bien sûr, et il faut le dire dès maintenant, le livre comporte certains passages problématiques, qui laissent entendre que la pandémie avait une réalité toute relative, et qu’il s’agissait en fait d’une offensive médiatique uniquement destinée à faire cesser les mouvements de révolte de l’année 2019 et à accélérer l’incarcération dans un monde-machine (chapitre 4). Cette thèse est fausse : il y a bel et bien eu un virus, avec des taux de létalité et de contagion imposant des mesures sanitaires. Nos gouvernants en ont profité pour faire avancer leurs propres mesures sanitaires et leurs propres projets de société. Nul besoin de nier l’existence du Covid-19 ou d’affirmer, comme le Manifeste, que « les « vaccins » dominants sont plus néfastes que le virus pour la plupart des gens » pour livrer une analyse des projets du Pouvoir. Ceci me semble une faiblesse, et ça restera un point de désaccord avec les auteurs. Mais cela n’enlève rien aux qualités d’analyse du texte.
Précisons d’abord l’objet du livre. Il s’agit d’armer le « mouvement de dissociation sociale en cours ». Le livre s’adresse à ceux qui refusent le discours dominant, ceux qui refusent les formes sociales dominantes. Ceux qui veulent la démission de Macron, le retrait du passe sanitaire. Ceux qui refusent les formes de vie libérales, individualistes, égoïstes. Le propos veut renforcer les forces révolutionnaires qui veulent abattre la société. Et, si on veut bien imaginer que le Manifeste conspirationniste entretient une filiation avec les livres du Comité invisible, la question est de construire un « communisme » qui soit à mille lieux de ce qui s’est fait en Russie soviétique, un communisme fait de liens, d’expériences singulières et d’un rapport au monde partagé. Partant de là, le Manifeste se livre à une analyse de la crise du Covid, et cherche à la rattacher à une histoire longue : l’histoire de la domination des individus par les institutions sociales au cours du XXe siècle, pour chercher une piste de sortie. Examinons ses trois thèses principales avant d’évoquer brièvement les propositions pratiques qui en découlent.
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