Avez-vous entendu parler d’un projet de loi contre la fraude dans les transports ? De 6 mois de prison pour 5 PV impayés ou 2 mois pour avoir signalé des contrôleurs à des amis ? Ce serait un sondage intéressant à faire autour de soi. Le phénomène touche pourtant beaucoup de monde, surtout parmi les plus précaires. Dans une offensive pénale sans précédent, députés et sénateurs finalisent une criminalisation tous azimuts de la resquille.
Comme les médias évoquent peu les implications de cette loi, prenons le temps de préciser les enjeux et où en est ce projet de loi. Certaines dispositions avaient été supprimées lors du passage devant le Sénat, d’autres aggravées. Depuis mercredi et une commission dédiée, on est grosso modo revenu au texte validé en décembre par l’Assemblée.
Des peines de prison pour tout
La loi doit être adoptée début mars. Elle devrait subir très peu de modifications à ce moment-là. Elle prévoit ainsi :
l’élargissement considérable du délit de fraude par habitude, puni de 6 mois de prison et 7 500 € d’amende. Il sanctionnait auparavant 10 PV pour fraude non payés dans l’année, il suffira désormais de 5 verbalisations impayées pour passer devant le juge (article 8-2-a).
6 mois de prison et 45 000 € d’amende pour la publicité à une mutuelle de fraudeurs (article 8 ter) ;
6 mois de prison et 3 750 € d’amende pour « vente à la sauvette » dans les couloirs de métro ;
2 mois de prison et 3 750 € d’amende tout signalement de contrôleurs sur les réseaux sociaux, par SMS ou autre. Lire sur ce sujet l’article de Rebellyon qui donnait l’alerte et les suites sur Next Impact (article 13-4) ;
2 mois de prison et 7 500 € d’amende si vous prenez la poudre d’escampette pendant le contrôle (article 8 bis) ;
2 mois de prison et 3 750 € d’amende le fait de donner intentionnellement une fausse adresse (article 13-3).
Une déclaration de guerre aux pauvres. Dans le même temps, des régions suppriment des aides à des catégories entières de personnes qui ne peuvent se payer les transports. Wauquiez évoque la suppression de la carte Illico solidaire dans les trains en Rhône-Alpes pour les précaires, tandis que Pécresse fait voter la fin de la réduction pour les bénéficiaires de l’Aide médicale aux étrangers en Île-de-France. Les mêmes qui ont porté cette loi de criminalisation de la fraude.
Un projet de loi emblématique
Les médias, quand ils s’y intéressent, n’hésitent pas à colporter les fallacieuses argumentations des politiciens à l’origine du projet. Ainsi, l’aggravation énorme du délit de « fraude par habitude », de 10 PV impayés à seulement 5, viserait principalement les très médiatisées mutuelles de fraudeurs. Les chiffres montrent pourtant que ce délit, instauré sous la gauche en 2001, vise bien davantage de personnes [1]. Celles-ci sont loin d’être toutes organisées collectivement. Et loin d’être un choix personnel, la fraude régulière concerne en premier lieu les plus pauvres : les juges peuvent exiger jusqu’à 7 500 € d’amende des contrevenants. Devant le peu de ressources des inculpés pour ce délit, ils ne demandaient, en moyenne, que 321 € en 2014.
Ce désintérêt ou cette méconnaissance, assez largement partagée, est étonnante. On sait pourtant depuis des années que les transports sont le lieu d’expérimentation des politiques les plus répressives.
C’est ainsi le métro qu’ont ciblé en premier les grandes vagues d’installation de caméras. Aujourd’hui, c’est dans les transports les plus quotidiens qu’on évoque des détecteurs de comportements ou des systèmes de reconnaissance faciale, ou la fouille possible de tous les usagers. Dans les gares, on parle de détecteurs de métaux et de scans de bagages. C’est dans les transports que va être puni de prison le signalement d’agents (à quand le signalement de policiers ?). La répression de la fraude sera l’occasion d’une interconnexion inédite de fichiers administratifs. Enfin, elle va permettre la création inquiétante d’un « délit de soustraction à relevé d’identité » [2].
La presse a donc lamentablement failli à son rôle d’alerte sur l’ensemble de ce projet de loi (à la différence d’autres, comme sur la surveillance). Mais il est également regrettable qu’aucune mobilisation n’ait eu lieu contre ce projet de loi. Aucun communiqué d’organisation ou d’association n’a par exemple été publié à notre connaissance. Les salarié·es des transports en commun, en première ligne de cette pénalisation extrême qui ne risque pas d’améliorer leurs relations avec les usagers, n’ont pas encore réagi.
A.F.
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