Les inculpé.es sont grosso modo les mêmes que d’hab’ : des gens pas fortuné.es, habitué.es aux petites combines et qui, une fois attrapé.es, se font impitoyablement sabrer par la machinerie judiciaire.
Exemples : deux vieux de la vieille qui tentent un vol de bouteilles de Ricard (147 !) dans un entrepôt Leclerc en pleine journée (sauf que la police a posé une balise sous leur voiture), une embrouille entre détenus de la même cellule à Corbas, un type qui achetait sur Internet et revendait des « chandelles romaines » (mortiers) et qui se fait perquisitionner au domicile de sa mère, etc.
Première affaire : « vol en réunion »
Entre dans le box vitré, un jeune homme arrêté chez lui il y a quelques jours. La police l’a remonté grâce à des empreintes sur une boite de téléphone et des traces de sang dans une magasin de téléphonie du centre-ville (pillé au moment des émeutes pour Nahel).
Les policiers ont utilisé la géolocalisation de son téléphone pour montrer qu’il était présent dans la zone au moment des « faits ». Pas de preuves qu’il ait pris quoi que ce soit. Les policiers n’ont rien retrouvé chez lui en perquisition ni même quand il s’est fait contrôlé le soir-même (des flics ont fouillé sa voiture) en allant à l’hôpital – il s’est blessé dans le magasin. Tarif : 8 mois avec sursis. Une « peine sévère car les faits ont été commis dans un contexte particulier qu’il convient de sanctionner » pour la juge. Pour les dommages et intérêts que réclament le magasin, l’audience est renvoyée plus tard.
Affaire n°2 (manif sauvage contre réforme des retraites)
Deux jeunes gens comparaissent libres pour leur participation à une manifestation sauvage le 17 mars pendant le mouvement contre la réforme des retraites. L’un décorateur dans le cinéma, l’autre barista, tous deux accusés de « participation à une groupement en vue de comettre des violences... » et « violences » sur policiers à l’aide d’un bout de tuile et d’une canette jetée en leur direction.
Les deux reconnaissent les lancés (« J’ai vu la police charger, j’ai ramassé une bouteille et je l’ai jeté »). L’un reconnaît avoir ramassé un « sac en plastique » avec des pierres, en avoir rajouter et avoir voulu en distribuer à d’autres manifestants. « Ça procède d’une certaine intention, d’une certaine organisation » lance la juge.
Elle lui demande ce qu’il pense de son geste. « C’était irréfléchi. Je ne vais plus en manifestation, ça ne sert à rien. Je suis retourné à Troyes ».
Les deux baceux « victimes » ne sont pas présents mais représentés par deux baveux. Le premier demande 600 euros aux deux et le second 400 aux deux. Même sans blessures, sans « traumatisme ». Pourquoi se priver d’un petit 13e mois ? L’un de leurs deux avocats en rajoute : « Seulement parce que vous faites votre métier, seulement pour votre qualité de policier, on vous caillasse, on essaie de vous blesser »...
La proc’ renchérit et démarre le prêche : « On vit dans une société dans laquelle le rôle de la police est le maintien de l’ordre, le fait qu’on puisse vivre ensemble et qu’on ait une institution vers qui se tourner en cas de problème ». Avant d’ajouter « la police n’est pas là pour se défendre mais pour défendre la société et ses intérêts ». ... Qui ne sont sans doute pas les mêmes que ceux des manifestant-e-s et de tous ceux et celles qui se sont soulevés contre le gouvernement ces dernières années. Mais passons.
Puis, reprenant ce qu’a dit un des deux sur la « rage » qu’il a animé quand il s’est fait gazé durant la manif : « je préfère que vous alliez voir un psychologue ou un addictologue quand vous voulez vous défouler [il a admis en garde-à-vue consommer du cannabis et boire souvent] ».
Un des avocats de la défense : « Qui dit jeunesse dit peut-être immaturité dans les manières de se mobiliser, quand c’est des jeunes, que c’est pas encadré par des organisations syndicales. Ce ne sont pas les instigateurs, ceux qui ont le plus cassé. On a les moins doués comme souvent dans ce genre de contexte [sic]. C’est la fougue, le contexte, la jeunesse qui explique mais qui n’excuse pas leurs actes ».
Pour lui manifestement, tout est bon pour défendre son « client », y compris charger l’autre manifestant : il n’hésite donc pas à le charger en disant que ce dernier a plus jeté de projectiles que son client… Pas de morale, pas d’éthique…
Résultat des courses : celui qui avait reconnu en GAV porter un sac se prend 6 mois de sursis + 200 euros pour un flic + 200 euros pour l’autre. Le deuxième est relaxé de la « participation » mais également condamné pour les « violences » à 4 mois de sursis ainsi que 200 euros pour chacun des deux baceux parties civiles.
Dernière affaire de la soirée
Une femme de 27 ans et une jeune homme de 22 ans passent pour « participation à un groupement », refus de signalétique et d’ADN pour elle, refus d’ADN et tentative de dégradation d’un bien par substance explosive pour lui. La justice leur reproche d’avoir essayé d’incendier le poste de police municipale de Vénissieux dans la nuit du 29 au 30 juin pendant le mouvement pour Nahel.
Elle est travailleuse sociale, lui étudiant. Iels ont fait deux semaines de détention avant d’être relaché.es. Auparavant, en GAV, iels n’ont rien dit. « C’était comme si la manifestation continuait en garde-à-vue ces refus, cette opposition » considère la juge. La procureur, un peu amère : « On devra se contenter de ces éléments ».
La juge : « Les fait sont quand même graves. Des policiers municipaux constatent qu’un certain nombre de personnes [6] vêtus de sombre, le visage dissimulé se présentent avec l’intention de commettre une infraction ». L’un est muni d’un brise-vitre et s’affaire sur les vitre. Un autre tient une bouteille blanche type alcool à brûler.
Les policiers présents dans le commissariat ont entendu le bruit, sont sortis, les ont coursé et rattrapé. Ils se sont constitués parties civiles. « Les faits sont absolument choquants et terrifiants » commente leur avocate. Elle réclame 600 euros de dommages et intérêts pour chacun d’eux. La ville de Vénissieux demande 1300 euos pour réparer les vitres et 800 pour « préjudice à son image ».
Les deux jeunes gens regrettent leur geste et disent qu’iels n’ont pas saisi la « gravité » de ce qu’iels faisaient. « Monsieur, c’est une chose de manifester c’en est une autre que d’aller mettre le feu dans un commissariat à l’autre bout de Vénissieux, en terme d’engagement ».
Toujours la même rengaine. La justice est prête à tolérer, à la rigueur, qu’on manifeste sa peine. On a le « droit » de montrer une « opinion » mais pas plus. Agir, s’en prendre aux responsables de son malheur, hors de question.
Sur ce sujet, la proc ne comprend pas : « Qu’est-ce que vous allez chercher, qu’est-ce que ça allait changer par rapport à la mort de Nahel ? » Dans son logiciel, c’est à la justice de « passer » et de « traiter » cette « affaire ». Les gens n’ont pas leur mot à dire. Pleine de certitudes, elle continue : « c’est l’expression d’une colère pour l’expression d’une colère, sans réflexion derrière ».
La défense : « Les réquisitions sont gravissimes. La peine demandée [6 mois de bracelet + 6 mois avec sursis] est aberrante. C’est une peine d’exemplarité. Le contexte, il faut s’en dégager. On a pas à leur mettre de bracelet à la cheville […] Le contexte, on a que ce mot à la bouche depuis des semaines. C’est moins grave d’avoir commis ce qu’ils ont commis dans le contexte, que s’il n’y avait pas de contexte, au regard de l’émoi national partagé par des centaines de milliers de personnes ».
« La détention, ils l’ont sentie, la "sanction de la société", elle est déjà tombée [les deux semaines de prison après avoir demandé un délais pour préaprer leur défense], ça les a marqués. Il faut les laisser reprendre le cours de leur vie. Il n’y a eu aucune atteinte aux personnes ».
Lui prend la parole en dernier : « J’ai vu des choses que je n’oublierai jamais durant ces dix-neuf jours [de détention]. J’ai vu un homme mettre le feu à sa cellule. J’ai vu des gens se battre jusqu’au sang pour des clopes. Ça a été un électro-choc ».
Le verdict tombe après minuit : elle est condamnée à 9 mois de sursis probatoire, 105h de travail d’intérêt général, 300 euros d’amende pour le refus ADN & signalétique. Lui à peu près la même chose : 12 mois de sursis, 140h de TIG, 300 euros pour l’ADN. Lui doit payer 400 euros de dommages et intérêts pour chacun des quatre policiers parties civiles. Les deux doivent 1300e pour les fenêtres et doivent payer les frais d’avocate des policiers (600 euros).
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