Leon Czolgosz
Leon Czolgosz naît le 5 mai 1873 à Alpena, dans le Michigan, au sein d’une famille d’émigrants polonais. Il est l’un des huit enfants de la famille américano-polonaise de Paul Czolgosz et de Mary Nowak. À l’âge de dix-sept ans, il trouve un emploi à la Cleveland Rolling Mill Company, mais après le krach économique de 1893, l’usine ferme ses portes. Quand elle ré-ouvre, l’entreprise cherche à réduire les salaires, en réaction de quoi les ouvriers se mettent en grève. Mais rapidement Léon et ses frères sont au chômage. Face à la tourmente économique et sociale autour de lui, Czolgosz ne trouve que peu de réconfort dans l’Église catholique, et recherche rapidement des personnes partageant ses préoccupations concernant l’injustice sociale. Il rejoint plusieurs clubs socialistes d’ouvriers modérés avant de s’intéresser à l’anarchisme. Il commence à lire des publications anarchistes et à assister à des meetings. Il est alors fortement influencé par l’attentat de Gaetano Bresci et essaie de rentrer en contact avec les éditeurs de « Free Society » à Chicago, mais sans succès.
L’attentat
Le 31 août 1901, Czolgosz se rend à Buffalo, dans l’état de New York, où doit se dérouler une grande exposition panaméricaine. Il loue une chambre à l’hôtel Nowak’s, au 1078 Broadway. Le 6 septembre, Czolgosz se rend au Temple of Music de l’exposition muni d’un revolver "Safety Automatic" de calibre 32, qu’il avait acheté quatre jours plus tôt. Il fait patiemment la queue pour rencontrer le président William McKinley qui prend un bain de foule. À 16 h 07, Czolgosz atteint le devant de la file. McKinley lui tend la main, et Czolgosz tire deux fois à bout portant sur le président. La première balle ricoche sur un bouton de manteau et se loge dans la veste de McKinley, l’autre blesse gravement le président à l’estomac. Des visiteurs arrêtent immédiatement Czolgosz, alors que McKinley s’effondre en arrière. La police a du mal à garder la foule à l’écart de Czolgosz qui tente de le lyncher.
Leon Czolgosz, arrêté, déclare être un "anarchiste individuel", lié à aucune organisation. Il reconnaît aussi avoir assisté aux meeting d’Emma Goldman mais que d’aucune façon elle ne l’a influencé dans la réalisation de son acte. Sa déclaration aura comme conséquence de placer Emma Goldman sur la liste des personnes les plus surveillées aux États-Unis. Mais ces déclarations restent encore aujourd’hui soumises à débat au sein des milieux anarchistes étasuniens. A l’époque aucuns groupes ou organisations anarchistes ne connaient, ni ne reconnaient Leon Czolgosz comme anarchiste, et ces déclarations ont étés faites dans les bureaux opaques d’une police ouvertement anti-anarchiste. Mais qu’il ait été anarchiste ou pas ne change ni son acte, ni sa portée, ni ses conséquences sur les anarchistes étasuniens. Une chose est sure, Leon Czolgosz s’intéressait à l’anarchisme, il a été influencé par des anarchistes et a clairement assassiné le président William McKinley pour venger les « gens biens, des bonnes personnes qui travaillent », et s’il fut anarchiste, il n’a laissé aucune trâce historique évidente pour que nous l’affirmions.
Le 14 septembre, le président McKinley décédera des suites d’une infection.
Le procès et l’exécution spectacle
Après la mort de McKinley, le président Théodore Roosevelt, nouvellement entré en fonction, déclare : « Par rapport à la suppression de l’anarchie, toute autre question sombre dans l’insignifiance ». Le 16 septembre, un grand jury inculpe Czolgosz de meurtre au premier degré. Tout au long de son incarcération, Czolgosz parle librement avec ses gardes, mais refuse toute interaction avec Robert C. Titus et Loran L. Lewis, éminents magistrats devenus avocats et chargés de le défendre, ainsi qu’avec l’expert psychiatre chargé de vérifier sa santé mentale. Il se sait condamné et revendique son crime en plaidant coupable. Les avocats en charge de sa défense plaident, contre sa volonté, la folie et plaide non coupable lors du procès.
L’argument de la folie porté par ses avocats aurait pu convaincre le jury, beaucoup considérant qu’aucun homme sensé ne tirerait sur le président de manière aussi publique et flagrante, sachant qu’il serait pris. Mais en vertu de la loi de New York, Czolgosz ne pouvait être légalement reconnu comme "insensé" que s’il se montrait incapable de comprendre ce qu’il faisait, or Léon Czolgosz est conscient de son acte et le revendique. Le jury, non convaincu de la folie de Czolgosz, le condamne en moins d’une demi-heure de délibérations.
Après un procès spectacle qui fut largement couvert par la presse nationale, l’exécution est tout aussi spectaculaire. Thomas Edison, plus commercial qu’inventeur, profite de l’évènement pour promouvoir plusieurs de ses inventions : la chaise électrique et de nouvelles caméras. L’exécution est ainsi l’une des premières filmées. Le "philanthrope" inventeur répétera plusieurs fois le procédé, comme le le 4 janvier 1903 en électrocutant l’éléphante Topsy. Le 29 octobre 1901, Leon Czolgosz est électrocuté par trois secousses, chacune de 1800 volts, dans la prison d’Auburn. Il est déclaré mort à 7h14.
Ces derniers mots furent :
« J’ai tué le président parce qu’il était l’ennemi des gens biens, des bonnes personnes qui travaillent. Je ne suis pas désolé pour mon crime. Je suis désolé de ne pas avoir pu voir mon père. »
Le frère de Leon Czolgosz, Waldek, et son beau-frère, Frank Bandowski, assistent à l’exécution. Lorsque Waldek demande au directeur de prendre le corps de son frère pour qu’il soit inhumé, il est informé que cela lui sera impossible. Les autorités pénitentiaires avaient prévu d’introduire de la chaux vive dans le corps afin d’accélérer sa décomposition, mais en ont décidé autrement après avoir testé de la chaux vive sur un échantillon de viande. Après avoir déterminé qu’ils n’étaient pas juridiquement limités à l’utilisation de chaux vive dans le processus, ils versent finalement de l’acide sulfurique dans le cercueil de Czolgosz afin que son corps soit complètement défiguré. Le directeur estimait que l’acide provoquait la désintégration du corps en douze heures. Ses vêtements et ses biens sont eux incinérés afin d’empêcher toute exposition sur sa vie. Au final, ce qu’il reste du corps est enterré dans l’enceinte de la prison, empêchant ainsi toute personne de se rendre sur sa tombe. La volonté de faire disparaître l’existence de Leon Czolgosz est la plus totale possible.
Adoption de l’Anarchist Exclusion Act
Dans les jours qui suivent l’assassinat de William McKinley, la presse dénonce les actions des anarchistes, et reprend l’idée de liens entre le mouvement anarchiste et l’immigration. Le tout nouveau président Théodore Roosevelt requiert que le Congrès vote une loi permettant d’interroger les migrants sur leurs opinions politiques. Le 3 décembre 1901, soit quatre mois après l’assassinat, Théodore Roosevelt déclare : « Je recommande vivement au congrès de prendre en considération, dans l’exercice de sa sage discrétion, l’arrivée dans notre pays d’anarchistes ou de personnes professant des principes hostiles à tout gouvernement. ... Ils et leurs semblables devraient être tenus à l’écart de ce pays ; et s’ils sont trouvés ici, ils devraient être rapidement déportés dans le pays d’où ils sont venus ». Le 3 mars 1903, le Congrès vote l’Anarchist Exclusion Act [1] qui dans sa section deux stipule :
« Que les catégories suivantes d’étrangers doivent être exclues de l’admission aux États-Unis : tous les idiots, malades mentaux, épileptiques, et personnes ayant souffert de maladie mentale dans les cinq années précédentes ; les personnes ayant précédemment souffert d’attaques de démence ; les indigents ; personnes risquant d’échoir à la charge de l’État ; les mendiants professionnels ; les personnes atteintes d’une maladie contagieuse dangereuse ; les personnes qui ont été reconnues coupables d’un crime ou autre délit impliquant la turpitude morale ; les polygames, anarchistes, ou personnes qui croient ou prônent le renversement par la force ou la violence du gouvernement des États-Unis ou de tout gouvernement ou de toutes formes du droit, ou l’assassinat d’agents de la fonction publique ; les prostituées et les personnes qui procurent ou tentent de faire venir des prostituées ou des femmes à des fins de prostitution ; … »
Le texte amalgame alors toutes les populations que le Congrès juge indésirables : anarchistes, prostitué.es, mendiant.es et épileptiques. De plus, la loi autorise la déportation des anarchistes étranger.es déjà admis.es aux États-Unis. Le premier ressortissant étranger à être expulsé en vertu de la nouvelle loi est John Turner, un anarcho-syndicaliste et communiste libertaire britannique, arrêté le 23 octobre 1903, après avoir donné une conférence au Murray Hill Lyceum. Lors d’une fouille par les agents de l’immigration, on trouve sur lui une copie du Free Society de Johann Most ainsi que son agenda de conférences qui en mentionne une sur les « martyrs de Haymarket ». Ce qui suffit à le condamner à la déportation.
Léon Czolgosz reste encore aujourd’hui un des exemples les plus frappant de « propagandiste par le fait » aux États-Unis. Mais comme souvent à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les pouvoirs autoritaires ou pseudo-démocratiques ont utilisé les attaques et assassinats politiques contre les plus hauts responsables de l’État et de l’exploitation pour ré-affirmer et renforcer des lois et des dispositifs de surveillance, de contrôle et de répression contre les anarchistes, dispositifs qui seront notamment utilisés contre les anarchistes Sacco et Vanzetti, mais aussi contre tout individu ou groupe jugé dangereux pour L’État, la bourgeoisie, et leur morale.
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