Pas de répit pour les opposants au pass sanitaire : procès & condamnations

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Lundi dernier, comme après de nombreuses manifestations, se déroulaient les habituelles comparutions immédiates à l’encontre des personnes arrêtées le samedi précédent. Sauf que la manifestation en question n’avait rien d’habituel puisqu’elle a eu lieu en plein mois de juillet, qu’elle n’était appelée par aucun parti ni syndicat et qu’au niveau national, la mobilisation a réuni plus de cent mille personnes. La manifestation était interdite par le préfet, ce qui n’a pas empêché une foule nombreuse de se retrouver place Jean-Macé face aux camionnettes des gendarmes mobiles. Bloqués et gazés sur le lieu de départ, des manifestant.es ont réussi, tant bien que mal, à déborder le dispositif policier et à défiler. En fin d’après-midi, les lacrymogènes noyaient la place Bellecour tandis que les cordons de police recevaient des projectiles en tout genre. Côté répression, neuf personnes ont été interpellées. Après 40h de garde-à-vue, trois ont été jugés en comparution immédiate et trois autres en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

L’audience des comparutions immédiates s’ouvre sur une histoire de vol de climatiseurs dans l’annexe d’un local appartenant à Interpol, près du parc de la Tête d’Or. Les « ravisseurs » n’ont malheureusement pas pris suffisamment de précautions et se sont fait attraper [1]...

Arrive le premier inculpé de la manifestation du 17 juillet. C’est un saisonnier qui travaillait en restauration jusqu’à ce que son poste disparaisse, l’année dernière, en raison des mesures sanitaires. Aujourd’hui intérimaire dans le bâtiment, Michel [2], 35 ans, est inculpé de « groupement en vue de commettre des violences ou dégradations », « outrage » et « violence sur agent ». Concrètement, il est accusé d’avoir, lors d’une charge de police place Antonin Poncet, fait une balayette à un policier puis lui avoir fait un doigt d’honneur une fois le robocop au sol. Il reconnaît les faits et explique qu’il était en voyage à vélo entre l’Atlantique et l’Ardèche quand il a entendu les annonces de Macron le 12 juillet dernier. Excédé à l’idée de voir le champ des libertés restreints une fois de plus, il s’est rendu dans la ville la plus proche, à savoir Lyon, lors de la première mobilisation (14 juillet). Samedi dernier, c’était la deuxième manifestation de sa vie.

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Sans rougir, la proc demande 6 mois ferme et une interdiction de manifestation pour une durée de 2 ans. Le juge prend la parole et lui demande pourquoi il s’est rendu à une manifestation interdite. Le jeune homme répond qu’il ne savait pas qu’elle l’était et qu’il trouvait important de se retrouver nombreux et nombreuses dans la rue pour marquer une opposition franche aux dernières mesures gouvernementales, voulant notamment préserver la possibilité de chacun.e de se faire vacciner ou non. Le juge l’arrête et lui explique qu’il n’est pas présenté devant lui en raison de ses idées politiques mais pour des faits précis. Cette affirmation vole en éclat très vite lorsque le même juge lui demande sur un ton sarcastique : « et vous, vous êtes vacciné ? ». Avant de sourire d’un air méprisant quand le prévenu lui répond « non ».

Cette question, il la posera à chacun des prévenus interpellés place Bellecour. A chaque fois, il moquera leur réponse et par là, les raisons, qu’il imagine débiles pour lesquelles les gens sont descendues dans la rue ce samedi-là. Pour la neutralité de la justice, on repassera !

L’avocat de la police ne parle que très peu de son client mais prend 10 minutes pour expliquer à la cour que la manifestation était extrêmement violente, que les policiers faisaient face à des gens très aguerris, qu’ils ont été obligés de reculer à plusieurs reprises, bref qu’ils ont eu peur. Il demande 500€ pour « préjudice moral » car de son aveu même, le policier n’a pas été blessé au cours de sa chute.

Au final, notre pratiquant du croque-en-jambe est condamé à 5 mois avec sursis, une interdiction de manifestation de 2 ans dans le Rhône et 300€ de dommages et intérêt pour le policier « victime ».

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Est ensuite extrait des geôles un jeune homme de 27 ans, arrêté place Bellecour alors qu’il portait de nombreuses protections (dorsales, abdominales, masque à gaz, etc.). Il a beau expliquer qu’« un accident est vite arrivé » et qu’il a enfilé son matériel d’airsoft avec la simple intention de se protéger, encore une fois, d’un ton péremptoire, le juge lui demande s’il croit vraiment que la cour est dupe : s’il est venu là, c’est pour en découdre, comme le prouvent ses protections. CQFD. La seule chose qu’on lui reproche (« participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations ») c’est donc une intention supposée.

La procureur réclame 4 mois de sursis probatoire de 18 mois pendant lesquels le prévenu devra se plier à certaines mesures à savoir : le paiement et le suivi d’un stage de citoyenneté, 105 heures de Travaux d’Intérêt Général (TIG), et l’obligation de trouver un travail ou une formation. Peine assortie, comme toujours depuis le mouvement des gilets jaunes et la loi dite « anti-casseur », d’une interdiction de manifester pendant deux ans.

Il est condamné à 2 mois de prison avec sursis, 2 ans d’interdiction de manifestation dans le Rhône. Le juge commente : « Donc plus de manifestation, vous faites ce que vous voulez avec vos opinions mais on ne veut plus vous voir ». Là, dans cette affaire, il n’y a même pas de « violences sur agent », il y a le simple fait de s’être trouvé dans la rue – contre l’opinion du préfet – et d’avoir protesté contre les mesures gouvernementales.

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Ensuite, vient le tour d’un jeune homme de 21 ans, Romuald. Il est accusé, place Bellecour, d’avoir jeté un palet de lacrymogène en plastique sur un agent de police qui l’a évité. En langage judiciaire, cela se traduit en « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique » et, évidemment, « groupement en vue de commettre des violence ou des dégradations ». Le juge ouvre les hostilités en se foutant de sa gueule : « Vous êtes venu spécialement de Valence pour manifester alors ? » Il continue : « Vous n’êtes pas vacciné j’imagine ? Vous n’avez pas voté j’imagine ? Non évidemment ». Puis il écume son casier. « Outrage » et « rébellion » en 2019 et « organisation d’une manifestation non-déclarée » en 2020. Pour cette dernière, il a été condamné à 4 mois avec sursis, 3 ans d’interdiction de manifester à Valence et à trouver un travail. Et il faut vraiment croire que le Juge d’Application des Peines de Valence n’a rien à faire de ses journées, car informé de la nouvelle procédure contre Romuald, il a écrit précipitamment au tribunal judiciaire de Lyon pour demander que son sursis soit révoqué ! Le juge continue : « Vous avez de grosses amendes SNCF aussi je vois » [3]. Vous aviez un billet de train lorsque vous êtes venu de Valence ? ». Le jeune homme argue qu’il n’en a pas les moyens. En bon Père La Morale, le juge lui répond qu’au vu de sa situation, il ferait mieux de baisser la tête, d’être humble et de s’excuser. Puis il fait part de ses considérations toutes personnelles sur l’exercice des manifestations : « Vous n’avez pas compris qu’il fallait partir absolument quand il y avait du gaz lacrymogène ? Vous renvoyez une capsule de gaz lacrymogène, et vous avez en plus du sursis, et vous n’avez pas de billet de train. Vous êtes mal parti ».

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Romuald a été arrêté pour avoir essayé de secourir un autre manifestant qui se faisait arrêter. Encore une opportunité pour le juge de le mépriser : « Vous vous êtes occupé d’une chose qui ne vous concernait pas : quelqu’un se faisait interpeller. Vous n’êtes pas policier à ce que je sache ? Remarquez, ils seraient ravis de vous avoir certainement ».

Puis c’est au tour de l’avocat du policier de nous refaire le sempiternel refrain : manifester est un droit MAIS les enfantsmanifestants doivent comprendre, contre l’évidence, que les policiers ne sont pas contre eux mais qu’ils font leur travail. Qui est d’être contre eux. Il finit sa plaidoirie en indiquant que son « client » réclame 300€ de dommages pour préjudice moral. Ben voyons.

La procureur demande 6 mois ferme avec mandat de dépôt ainsi que la révocation de 2 mois de son sursis et une interdiction de manifestation pour les 3 ans à venir. On rappelle au besoin, qu’on l’accuse d’avoir jeté une capsule en plastique sur un agent de police sans l’avoir touché. Les policiers qui ont tabassé un jeune manifestant (Arthur), place Bellecour en décembre 2019, et lui ont cassé 9 dents n’ont, eux, toujours pas été jugés et exercent encore. Là ce n’est plus une justice à deux vitesses, c’est une justice qui ne cache même plus son parti pris pro-police.

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L’avocate (comise d’office) de Romuald prend la parole et le défend piteusement, comme si elle s’en foutait. Elle n’essaie même pas de contester les charges comme la scandaleuse infraction du « groupement en vue de préparer des violences » qui peut toucher virtuellement n’importe quel manifestant.e du moment que la préfecture refuse un parcours, que les policiers gazent et dissolvent une manifestation qui ne leur convient plus ou qu’un manifestant est arrêté avec du matériel « de manifestant » sur lui. Elle ne s’indigne pas que le parquet ose qualifier de « violences » le fait de jeter une capsule de gaz lacrymogène sur un robocop casqué et en tenue de maintien de l’ordre. Elle n’argumente sur rien, se contente d’être désolée et en appelle à la mansuétude de la cour : « il regrette d’être devant vous, il regrette son geste », « il vivote plus qu’autre chose », « il a pris les mauvaises décisions », etc.

Avant que la cour se retire pour délibérer, Romuald a le droit à une ultime déclaration. Le juge : « faites un effort pour articuler ». Son avocate vient à sa rescousse : on a du mal à comprendre ce qu’il dit parce qu’il a plusieurs dents cassées. Ambiance.

Finalement, il ramasse 7 mois ferme (sans mandat de dépôt, donc aménageables), interdiction de manifestation dans le Rhône pour 2 ans et 200€ de dommages et intérêts pour le policier plaintif. Le juge conclut : « Les manifs, c’est terminé. Les rendez-vous facebook, c’est terminé. On ne veut plus vous voir. Vous rentrez chez vous, vous restez chez vous ».

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Trois autres manifestant étaient présentés en CRPC ce jour-là. Pour l’un, elle s’est soldée par 6 mois de sursis et une interdiction de manifester. Un autre a été condamné à 6 mois de sursis probatoire conditionnés à ce qu’il effectue un stage de citoyenneté, des Travaux d’Intérêt Généraux et suive une formation ainsi qu’une interdiction de manifestation. La machine à condamner tournait à plein régime cette après-midi là.

Les gaz lacrymogènes, les coups qui pleuvent sur les manifestants, les interdictions de manifester individuelles ou celles plus collectives décidées par les préfectures, la peur d’être blessé, etc. : tout cela sert bien sûr à dissuader les gens de sortir en nombre et de protester. Le tribunal est la version light de ce dispositif : dissuader les gens en les condamnant lourdement et diffuser un affect de peur chez les proches et les autres manifestant.es : « voyez ce que vous risquez si vous continuez à manifester ». Gageons qu’en étant solidaires entre nous et ne laissant personne au bord du chemin, ces tentatives ne réussiront jamais.

* * *

Aller en manifestation n’est pas une promenade de santé ! Petit tour d’horizon des réflexes et des choses à savoir pour limiter les risques d’interpellation et mieux s’en sortir en cas de pépin :

Notes

[1Et condamner à 15 et 6 mois de prison ferme.

[2Les prénoms ont été modifié.

[3Il a apparemment accès à ces informations !

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