Index :
Qu’est-ce que l’industrialisme ?
Conséquences territoriales et humaines de la perte de sens des limites qui caractérise l’industrialisme
Comment nous sommes assujetti/es à l’industrialisme
QU’EST-CE QUE L’INDUSTRIALISME ?
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En novembre 2011, des rencontres ont eu lieu à Lyon sur le thème « Sortir de l’industrialisme », à l’initiative d’adhérent.es de la Ligne d’Horizon. Cette association [1] diffuse les textes et les idées de François Partant (1926-1987), un ex-banquier devenu opposant aux politiques alors dites de « développement du Tiers-Monde ».
Ce qui suit est une « synthèse » des ateliers qui furent consacrés à définir l’industrialisme, à décrire ses effets et la manière dont nous sommes enrôlé.es. C’est une mise en ordre des idées notées sur les affiches des ateliers, éclairées par des entretiens avec les personnes animatrices, et relue et révisée presque deux ans après [2].
L’invitation aux rencontres comprenait déjà une première définition de l’industrialisme :
Socialisme et capitalisme (ou plutôt socialismes et capitalismes ?) ont un fond commun, l’industrialisme, un système dont la production industrielle est le pivot, mais qui ne se limite pas au secteur industriel.
L’industrialisme n’est pas seulement le productivisme. C’est un ensemble cohérent d’habitudes et de processus, incarné dans nos mentalités, dans des objets et dans une organisation de l’espace et du temps. Cette cohérence évolue au prix de multiples conflits.
Le mot « industrialisme » veut donc signifier notre assujettissement aux logiques de l’industrie bien au-delà des espaces de travail [3]. Une question suivait cet extrait, à laquelle la « synthèse » d’aujourd’hui permet de répondre : L’industrialisme est-il dissociable de l’appétit de profit et de domination ?
L’industrialisme, produit de la concurrence entre oligarchies
Sur les affiches des ateliers, on trouve peu d’évocations de la généalogie de l’industrialisme. On lit une seule fois : *dès la Renaissance, la relation marchande devient importante, davantage de rapports humains passent par l’argent* et ailleurs sont évoquées *les enclosures en Angleterre et la fin des Communaux*. Pourtant, comprendre, même « à la diable », comment est advenu l’industrialisme m’a été nécessaire pour organiser nos idées. Mon hypothèse est ici que l’oligarchie est le régime sociopolitique sans lequel l’industrialisme ne se serait pas développé. Il se définit par le fait qu’une minorité d’une population domine la majorité : capitalismes et socialismes ne sont que des avatars de la domination oligarchique, et être dominant.e c’est toujours instrumentaliser, au profit de sa puissance, la vie de celles et ceux qui sont assujetti.es.
Les clans d’oligarques ont toujours été en concurrence entre eux, à l’échelle des régions, des nations et aujourd’hui de la planète. *De nos jours, la maîtrise des décisions semble incomber aux seuls grands groupes financiers*, et la *collusion Etat-industrie* est manifeste. Dès lors, l’industrialisme est la somme des choix culturels (détaillés par nos ateliers) qui ont favorisé la domination de certaines oligarchies. On trouve en son coeur la compétition et la guerre, y compris entre les dominés eux-mêmes pour quelques paliers d’ascension sociale.
Dès le 18e siècle, mais surtout au 19e, certaines oligarchies européennes ont investi dans le thermo-industriel, dans des machines thermiques recourant aux énergies fossiles, ce qui les a dopées comme jamais dans leur concurrence mutuelle [4]. Ce choix n’a rien enclenché de mécanique, chaque changement de manière d’agir ou de penser, chaque oppression nouvelle a été l’enjeu d’un conflit impliquant tous les facteurs sociaux [5].
Certaines affiches soulignent l’importance qu’a eue, dans cet avènement conflictuel de l’industrialisme, l’érosion des limitations culturelles qui empêchaient que, dans une société hiérarchisée, ça tourne mal. En effet, il y a normalement dans ces sociétés une interdépendance entre l’oligarchie et les personnes assujetties ; « ça tient », « ça dure », au prix de certaines limites mutuelles qui sont sans doute le fruit d’une longue expérience qui date peut-être du néolithique, qui se perd en tout cas dans la mémoire collective. Or, on relève plusieurs fois sur les affiches les mots *démesure* et *illimitation*, et ce qui semble caractériser l’industrialisme, en tant que relation politique oligarchique, est une perte de sens des limites. A quoi est-elle due ?
L’industrialisme, perte de sens des limites
Avant le choix des machines thermiques et des énergies fossiles, les mots « manufacture » ou « fabrique » étaient employés, de même que le mot « industrie » [6]. Mais la concurrence entre industriels (alors dominés par une oligarchie aristocratique) avait lieu à l’échelle locale, plutôt sous forme d’élévation de la qualité des produits. Désormais, ceux qui auront choisi les machines thermiques et l’énergie fossile joueront de façon décisive sur des changements d’échelle dans la concurrence : c’est maintenant produire toujours plus à un toujours moindre coût qui va être recherché en élevant la productivité, et sans cesse il faudra produire du nouveau. Les sauts d’échelle seront considérables, à la fois dans l’espace (colonialisme puis néocolonialisme), et dans le temps (productivité mesurée à l’heure, à la minute, puis à la seconde ; accélération permanente). La concurrence, aujourd’hui planétaire, n’est plus limitée par les relations locales, mais se joue en termes de « compétitivité internationale ».
Un atelier remarque : *l’industrialisme réduit tout aux moyens*. Mais les moyens ne sont-ils pas toujours en relation avec des fins ? Hélas, il y a un quasi-monopole des moyens-fins des oligarchies : rester puissantes grâce à une techno-science orientée vers la guerre et la prédation des « ressources » à l’échelle planétaire. Ce qui reste de sens des limites disparaît à mesure que les performances augmentent, que les innovations se bousculent, que le *court terme* l’emporte…
Du « destin » à la « liberté » ?
Subissons-nous dès lors une *perte d’autonomie* ? Cette expression a beaucoup été employée. Mais la perte n’est-elle pas plutôt celle de notre auto-socio-limitation ? En effet, autrefois beaucoup d’humains habitaient des territoires hiérarchisés, chacun avec sa petite oligarchie, mais où les possibilités d’activité et de comportement étaient socio-limitées parce que les relations étaient surtout de proximité, entre personnes ou avec les « ressources ». Aussi, soit les conséquences des actions étaient manifestes, soit la mémoire collective entretenait un garde-fou sous forme de tradition. Chaque humain avait le plus souvent un « destin » local qui s’inscrivait dans un sens commun dont on héritait à la naissance et qui encadrait l’existence. Ce sens permettait d’effectuer certains choix parmi des possibilités souvent accessibles à beaucoup (d’un point de vue masculin !) et c’est peut-être pourquoi certains emploient parfois avec nostalgie le mot d’« autonomie ». Mais ce passé n’illustre pas ce qu’on met aujourd’hui dans ce mot : un choix sans limites sinon celles du « libre-arbitre » ou de la « volonté », des attributs humains qui furent revendiqués d’une manière abstraite au 18e siècle, par les penseurs de la révolution scientifico-industrielle…
Suite au choix thermo-industriel et aux productions de masse en concurrence, on a vu arriver dans les territoires locaux des choses et des récits inconnus, et de plus en plus d’humains ont envisagé un ailleurs et un autrement, en bref la possibilité de quitter leur « destin ». Beaucoup l’ont fait : aller travailler à la ville, partir pour les colonies... Ce qui s’ouvrait semblait sans autre borne que la volonté, une fois abandonné l’ancrage dans une collectivité auto-socio-limitée. Il ne s’agissait pourtant que de choisir de nouveaux maîtres, eux-mêmes en proie à une concurrence sans fin…
Pareille rétrospective, si sommaire soit-elle, amène à envisager notre époque comme un carrefour politique : les dégâts environnementaux ont leur source dans l’emballement de la concurrence entre oligarchies. Cet emballement a été rendu possible par une énergie fossile concentrée et facilement accessible. Aujourd’hui, films, jeux vidéos et BD sont intarissables sur l’apocalypse en cours, version lente ou rapide... Elle se poursuivra selon les pires scénarios de science-fiction si nous ne parvenons pas à nous désolidariser en masse.
Pour démultiplier la non-collaboration et les alternatives, choisissons-nous d’espérer en de nouveaux chefs, en une élite enfin bienveillante, une oligarchie qui n’entrerait pas en concurrence avec les autres ?! Ou misons-nous sur l’égalité politique en déjouant partout les dominations, afin d’être toutes et tous partie prenante dans les décisions qui nous concernent, et attentif.ves quant à leurs conséquences ?
CONSÉQUENCES TERRITORIALES ET HUMAINES
DE LA PERTE DE SENS DES LIMITES
QUI CARACTÉRISE L’INDUSTRIALISME
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Du point de vue des territoires, l’industrialisme a privilégié la *spécialisation* (appelée par certain.es perte d’*unité organique* [7]) puisque le choix machines thermiques/énergies fossiles a permis, quasiment, d’inventer les transports ainsi que les moyens dits de communication. Les territoires ont été spécialisés en fonction de leur rôle dans la compétition générale (aujourd’hui au nom de « l’attractivité »), ils ont été *restructurés* autour des sources d’énergie fossile et il y a eu *concentration* des pouvoirs et des décisions. De plus, le choix de produire en masse et le plus vite possible pour l’emporter (du point de vue de chaque clan oligarchique) a fait entrer dans une *logique de standardisation, de normalisation* qui s’emballe encore davantage aujourd’hui, et qui *verrouille les pratiques, les transformations qu’on pourrait décider localement ainsi que l’accès aux métiers qui sont concernés*. Énormément de normes sont édictées [8], des choix sont faits pour, comme on dit, rationaliser les processus de production, pour pouvoir *quantifier, mesurer, évaluer sans cesse*, et on a bien l’hégémonie de la rationalité analytique que soulignait Ingmar Granstedt dans son introduction à nos rencontres. L’atelier « agriculture et agroalimentaire » a particulièrement évoqué *l’obligation, aujourd’hui, du puçage, de la traçabilité, des vaccins* : on norme ici aussi à tour de bras, *jusqu’aux bétaillères* ! Pareil dans l’urbanisme et l’habitat : *on n’oblige personne à acheter une maison normée, mais les constructeurs y sont assujettis*. Partout, tout est fait pour que la concurrence soit canalisée au profit de certains choix industriels, à savoir ceux des entreprises les plus influentes auprès de l’Etat, du moins à leur profit momentané, car la concurrence interne à l’oligarchie est sans fin.
Du point de vue du travail : fini de travailler au sens d’oeuvrer, désormais le salariat se généralise ou presque, car même ceux qui sont dits « travailleurs indépendants » sont enrôlés dans un système de plus en plus intégré : tout à la fois *centralisé*, *hiérarchisé* et *autoritaire*. Dans l’atelier éducation-travail-santé, une directrice de crèche explique, qu’elle a essayée *que les décisions soient prises de manière plus horizontale*, mais qu’elle a échoué, car son intégration dans ce qu’on peut appeler aussi une filière (la fonction publique) avait conduit *la CAF à exiger des relations d’autorité avec des évaluations*. On retrouve encore et toujours : division du travail, centralisation, hiérarchisation, autorité des expert.es et *individualisation du contrôle*. Une jeune femme a résumé ces mutations au niveau du travail : *à quoi avons-nous affaire aujourd’hui ? A flexibilité plus mobilité exigée pour tout le monde, et tout ça égale précarité !*
On l’a dit plus haut, dans le détail historique, il y a toujours eu des épisodes de lutte contre la progression de l’industrialisme, des moments où on aurait pu bifurquer. Ces moments, il s’en joue encore énormément aujourd’hui, au niveau de l’agriculture, de la relation à la terre et à son usage. Quelqu’un a rapporté la phrase *l’industrie est malade de l’agriculture* : en effet, *l’agriculture et l’élevage ont affaire au vivant dont la logique, dont le mode d’existence, résiste à la standardisation*. Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer : *la zootechnie assimile les animaux à des choses*. Il y a *perte de la relation avec les animaux qu’on élève, une relation qui a des dimensions affective, imaginaire, culturelle et même individuante pour nous [9]. *La nature disparait derrière la société ; on parle de développement durable alors qu’avec la perte de sens des limites qui résulte de l’emballement industrialiste, des conséquences terrifiantes sont négligées. On vit le « temps des catastrophes » : la biodiversité assassinée, le climat déréglé, des poisons partout répandus...
Du point de vue des relations humaines, *on perd la confiance entre nous*, car tout ce qui est réalisé à l’échelle locale *devient suspect*, *la relation humaine directe est dévalorisée*. Pourquoi ? Parce qu’*on se réfère, par exemple pour l’artisanat, à la pédagogie industrialiste, celle de la grande distribution*, avec les fameuses fiches qui expliquent qu’il faut bien utiliser tel produit, tel outil sinon ça ne va pas tenir, etc. *L’industrie oriente l’enseignement* : les métiers aujourd’hui sont enseignés en fonction des critères et des matériaux industriels. On est alors dans une insécurité de fait parce qu’on a affaire à des objets et des matériaux qui ont une obsolescence programmée [10]. Du coup, non seulement on perd confiance dans les savoir-faire de l’artisan, qui ne nous semble pas assez professionnel parce qu’insuffisamment industriel, mais en plus on a affaire à des objets qu’il a souvent *du mal à réparer ou à entretenir*. *Les relations humaines deviennent méfiantes, utilitaristes*, et *l’anonymat*, dû aux grandes échelles dans lesquelles on se trouve intégré, augmente encore. Nos ateliers ont parlé de *l’hôpital : on n’y est même plus un patient, un malade est devenu quasiment un objet face à un médecin qui est un technicien, qui cherche l’organe à réparer, le symptôme à rectifier*, et la relation entre humains est difficile à maintenir et plus encore à cultiver.
Du point de vue de la politique qui est l’art de décider de nos conditions de vie, on a beau voter sachant qu’on est en démocratie, *l’importance du lobbying* oligarchique fait que sur l’essentiel des choix on n’est pas vraiment amené.es à se prononcer : ça a lieu, ça change, les produits changent, le management change, les entreprises changent, la ville change, l’école change, mais à quel moment s’est-on concerté entre nous pour en décider ? Jamais ! Les décisions sont loin de nous, elles sont intégrées elles aussi dans les longues filières industrialistes. *Les lieux de réflexion et de débat non hiérarchisés sont de plus en plus rares*. Comme on sent qu’entre nous progresse quand même une certaine envie de reprise en mains de nos conditions d’existence, on a affaire à des caricatures : avec par exemple les conseils de quartier, où ne serait-ce qu’en raison de la façon dont est organisée la salle, on est d’emblée dans des positions hiérarchisées, on écoute des discours et on a droit aux justifications des gens qui ont pris toutes les décisions sans nous. *La coopération, l’esprit d’équipe* comme les manières de se parler, de prendre des décisions ensemble, tout ça est mis sous contrôle par le management et l’animation sociale.
Du coup, *l’esprit critique devient de plus en plus difficile à maintenir*, et ce n’est pas un problème individuel, mais provient du manque de relations et d’échanges entre nous, du manque d’occasion de prendre de vraies décisions, sur des enjeux vitaux à notre portée, en conciliant des pensées différentes. De plus, la façon partidaire dont est structuré le débat politique, avec ses habitudes de confrontation spectaculaire, fait qu’on a tendance à rester entre nous quand on forme un collectif et à privilégier la lutte idéologique par rapport aux solidarités concrètes.
Dans les domaines du savoir et de la langue, l’auto-socio-limitation qui existait autrefois, quand les échelles n’étaient pas démesurées, sous-tendait le sens des mots qu’on employait. Mais quand il n’y a plus rien qui sous-tend, la porte est ouverte à la colonisation par la langue de bois ou la langue des boîtes et *toutes sortes de novlangues*. On voit se multiplier *les détournements de mots et les oxymores* (ou injonctions contradictoires). La poésie qui est une *forme de com-préhension du monde* [11] parce qu’elle a lieu dans la relation avec ce qui nous entoure, au plus près, dans les moments les plus attentifs à la singularité comme à la complexité de ce qui nous touche, tend à être *oubliée, niée*, parce que presque tout se passe maintenant à de trop grandes échelles et beaucoup trop vite. En sciences, dans des domaines où le souci des faits devrait dominer, l’*aliénation des chercheurs* par l’industrie, leur mise en concurrence permanente, conduit à l’augmentation des études falsifiées [12] et les rend complices d’une *récupération utilitariste des savoirs populaires* encore vivants.
Partout des contre-productivités
Cette course folle induit des *contre-productivités*, et Ingmar Granstedt nous a invités à les repérer. L’opacité a été évoquée plus haut : c’est quand on ne comprend ni les choses ni les processus, et beaucoup d’ateliers en ont relevé des exemples. *Maîtriser sa consommation énergétique, comme on nous le préconise, est en fait très difficile*, car la plupart du temps *les coûts réels sont invisibles*, en particulier en termes environnementaux et sociaux : *le système masque le système*. Par ailleurs, *un seul modèle d’avenir semble mis en avant : les villes*, le modèle urbain. On est dans le siècle des villes, c’est là où ça se passe, *tu habites en ville, ou tu disparais*. Or, les villes sont contre-productives : on y dépense une énergie folle pour l’approvisionnement et les échanges.. On a aussi *sous le beau nom de « partenariat public-privé » un véritable rançonnement par le privé* de tout ce qui nous reste de commun, d’« entre-nous » sous forme de services publics. *Le public finance les formations, les grands industriels emportent les appels d’offres en raison de leurs moindres coûts, ils présentent un produit bien « looké », en particulier dans le domaine de l’urbanisme, mais avec des malfaçons, d’où des contrats de maintenance qui sont des rentes à vie, en tout cas de longue durée*, et voilà assuré pour longtemps le règne de l’industrialisme.
Un autre exemple de contre-productivité précise relevée par un atelier concerne les transports : on peut se transporter très loin de plus en plus facilement, par contre le trajet domicile-travail est de plus en plus difficile en raison de l’urbanisation dont je viens de parler. Et *si la vitesse augmente, on ne réalise pas qu’il faut de plus en plus d’énergie nécessaire, car ça n’augmente pas de manière parallèle, l’énergie nécessaire à chaque augmentation de vitesse est toujours plus grande*. Or l’énergie c’est aujourd’hui énormément de temps salarié dépensé pour la payer comme pour la produire sur toute sa filière... Enfin, l’intégration des réseaux fait que *toute panne est de plus en plus problématique*, avec des conséquences à de plus en plus grande échelle.
Nos ateliers ont également évoqué quelques « effets rebonds » : une économie d’énergie, de matériau ou de temps dans telle activité (par exemple : pas de papier nécessaire pour un courriel, ou plus que 2 heures pour Lyon-Paris) ouvre la possibilité de s’y adonner encore plus, ce que la concurrence générale ne tarde pas à rendre effectif.
Mais comment sommes-nous enrôlé.es dans ce qui fait notre malheur ? Comment notre collaboration est-elle obtenue, et entretenue ? Comment se fait-il que jusqu’à présent ce soient plutôt les mauvais choix qui l’aient emporté, les choix de « toujours plus » de croissance, sans limites ? Cela a été examiné par plusieurs ateliers...
COMMENT NOUS SOMMES ASSUJETTI/ES À L’INDUSTRIALISME
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0. Par la *perte des savoir-faire individuels* : ces savoirs et savoir-faire dits vernaculaires étaient liés à un terroir, à une collectivité qui avait ses métiers et ses habitudes et qui s’auto-socio-limitait grâce à un « savoir » immémorial sur son écosystème (ses sols, ses eaux, sa météo...) et sur elle-même. De nos jours, *on ne comprend plus ce à quoi on recourt*, *on ne sait pas réparer*, on devient dépendant.e des filières industrielles, c’est la *dépossession des usagers*.
1. Par des habitudes : l’industrialisme *ça s’apprend à l’école, le cul sur sa chaise* : ainsi le fait de *déléguer à des professionnels, à des experts*, de ne pas décider par soi-même, de *dépendre d’une évaluation toujours extérieure*… Les techniques managériales sont évidemment dans la continuité de ces formatages précoces : performance, évaluation, etc. Notre langue est colonisée : *on gère*, on cherche un « emploi » (quelle terrible expression pour une vie humaine !). On adhère à un certain modèle d’objectivation du réel, la « rationalité analytique » dont parlait Ingmar : toujours analyser par réduction à du plus simple, et quantifier pour évaluer...
2. Par le sacrifice de notre liberté à la nécessité : étudier d’abord, puis avoir un revenu : avec le salariat, nous sommes intégré.es en tant que quasi rouages, il est *très difficile d’envisager sa vie autrement que dans le système de l’argent et des revenus*.
3. Par la dette et la *tromperie du cycle publicité-crédit*, et cela de plus en plus tôt : on voit des étudiant.es s’endetter pour des années, pour un avenir sur lequel ils auront de moins en moins de prise, de possibilité de choisir. On va souvent s’endetter aussi pour la bagnole, ou pour se loger, avec le fameux « tous propriétaires » de Sarkozy. On a aussi affaire au quotidien à des choix qui souvent ne vont pas être satisfaisants : à cause de l’obsolescence programmée, mais aussi du fait qu’une fois engagé.e dans un travail, dans une filière, ça ne nous satisfait pas parce qu’on n’y est pas en mesure de décider de ce qu’on y fait, donc on va éprouver le besoin de changer avec encore de nouvelles dettes en vue.
4. Par la peur et la facilité du « bouc émissaire » : dans la mesure où *le cycle publicité-crédit est insécurisant*, que ce soit pour s’engager dans des études, un travail ou consommer, la « sécurité » et le « sécuritaire » sont des arguments que tourne à son profit la logique industrialiste. On ne change rien au cycle infernal, mais on le complique avec *des normes dites de confiance, avec de la prétendue traçabilité*, etc. On est ainsi *tenu.es par la peur*, l’insécurité est permanente et il est facile de nous aiguiller vers des causes et des « responsables » qui ne sont pas les bons...
5. Par la *fascination qu’on éprouve souvent pour la puissance, le produit industriel net et sans bavure*, le côté clinique même s’il ne dure pas... On est chaque fois déçu.e, mais on réinvestit, on réachète, on y croit, du moins pas mal d’entre nous. Quant à la puissance, s’il est acquis que le mythe du progrès, autrefois, nous a enrôlé.es avec l’espoir d’une vie plus confortable pour nos enfants et pour les générations futures, aujourd’hui ce récit a changé. Il y a toujours l’idée de progrès, mais bien plus individualisée : dans beaucoup de films ou de feuilletons actuels, l’appétit des héros et des héroïnes vise une puissance, voire une omnipotence, qui n’ont plus de lien avec un avenir commun qui serait celui de nos descendants ou de l’humanité, c’est plus à courte vue. Le responsable n’est pas ici ce qu’on appelle l’individualisme, mais plutôt l’égoïsme qui est le produit du manque d’auto-socio-limitation, du manque d’entre-nous, du manque d’interdépendance vitale compréhensible, c’est-à-dire de sens commun.
6. *Par le confort*, celui qui a résulté de la consommation de masse : c’est une pente sur laquelle il n’est pas facile de s’arrêter, et moins encore de revenir. Mais les *séductions de l’État social* ne sont-elles pas plutôt des concessions ?
7. Par l’omniprésence de la répression et du contrôle : nos affiches l’ont très peu évoqué, peut-être parce que c’est trop évident. C’est souvent dans des circonstances souvent dramatiques (après-guerre, révoltes et révolutions), que nous autres, personnes assujetties par l’oligarchie, nous montrons assez de force pour en obtenir des concessions. C’est arrivé dans le passé (pour les congés payés, la sécu, les alloc…), mais ensuite l’Etat oligarchique (pléonasme) est toujours venu limiter ou reprendre ces concessions accordées d’en haut.
Vers la suite de nos débats, quelques tendances positives actuelles...
Quand nos ateliers se sont interrogés sur les avenirs pressentis à partir d’aujourd’hui, c’est surtout le négatif qui l’a emporté. On anticipe hélas davantage de mégapoles et l’aggravation de la crise sociale et écologique. On voit sans fin augmenter la surveillance et le contrôle, et on se rend de plus en plus compte que *le chaos est déjà là*, qu’il est en permanence vécue dans l’emballement industrialiste. On a juste une *navigation à vue* prétendant « contrôler » sans fin : l’outil informatique a été un atout de maître dans les mains des oligarchies. Et un nouvel atout technique est actuellement visé : la fameuse grande convergence NTIC, entre le numérique, le biologique (en particulier les neurosciences) et les nanotechnologies, qui risque d’offrir des possibilités d’asservissement et de contrôle encore plus grandes.
Néanmoins, quelques évolutions positives ont été évoquées. Il semble qu’aujourd’hui nous découvrions davantage le lien entre croissance et endettement (ou rançonnement ?) sur les biens publics, et sur nos propres vies. A l’occasion de la crise, les choses mûrissent concernant ce lien : on peut espérer que la récession que nous sommes en train de vivre nous oblige à renouer des solidarités concrètes, à un renouveau du mutualisme, à refuser les processus d’endettement bancaire et à décider à nouveau collectivement de nos conditions d’existence. L’enjeu est de chercher ensemble à « institutionnaliser le bien » (I. Granstedt) ou plutôt « un » bien commun à chacune de nos collectivités. L’échelle dite « humaine » qui permet de véritables décisions collectives ne saurait être définitivement fixée, mais l’apprentissage indispensable de la démocratie directe exige en priorité d’investir dans des collectivités modestes (quartiers, villages, coopératives…), car il n’en est qu’à ses débuts alors que c’est la seule base possible pour d’éventuelles délégations contrôlées.
Dès lors, quelles « pistes pour en sortir » ? En ateliers, ça démangeait de commencer à les explorer et certaines ont déjà été relevées : les questions de relocalisation et de démocratie émergent partout, mais d’autres voies aussi : le rêve, la poésie, et nous conclurons sur une question affichée sachant que vous en poserez sûrement d’autres : « est-ce qu’on peut sauver la science du scientisme, la technique de la technologie, l’industrie de l’industrialisme ? » Ou plus modestement « une » science, « une » technique, « une » industrie ? Plusieurs ?
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