Pour un résumé de l’affaire du 8 décembre voir notamment les témoignages disponibles dans cet article de la Revue Z, cet article de Lundi matin, les articles des comités de soutien suivants (ici, ici et ici) et la page Wikipedia ici.
L’affaire de Tarnac est un fiasco judiciaire de l’antiterrorisme français. Les inculpé·es ont tous et toutes été relaxé·es après dix années d’instruction. C’est la dernière affaire antiterroriste visant les mouvements de gauche en France.
L’accusation de terrorisme est rejetée avec force par les inculpé·es. Ces dernier·es dénoncent un procès politique, une instruction à charge et une absence de preuves. Ils et elles pointent en particulier des propos decontextualisés et l’utilisation à charge de faits anodins (pratiques sportives, numériques, lectures et musiques écoutées…) [1]. De son côté la police reconnaît qu’à la fin de l’instruction – et dix mois de surveillance intensive – aucun « projet précis » n’a été identifié [2].
L’État vient d’être condamné pour le maintien à l’isolement du principal inculpé pendant 16 mois et dont il n’a été libéré qu’après une grève de la faim de 37 jours. Une seconde plainte, en attente de jugement, a été déposée contre les fouilles à nu illégales et répétées qu’une inculpée a subies en détention provisoire [3].
De nombreuses personnalités, médias et collectifs leur ont apporté leur soutien [4].
C’est dans ce contexte que nous avons été alerté du fait que les pratiques numériques des inculpé·es – au premier rang desquelles l’utilisation de messageries chiffrées grand public – sont instrumentalisées comme « preuves » d’une soi-disant « clandestinité » venant révéler l’existence d’un projet terroriste inconnu.
Nous avons choisi de le dénoncer.
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« Tous les membres contactés adoptaient un comportement clandestin, avec une sécurité accrue des moyens de communications (applications cryptées, système d’exploitation Tails, protocole TOR permettant de naviguer de manière anonyme sur internet et wifi public). »
DGSI
« L’ensemble des membres de ce groupe se montraient particulièrement méfiants, ne communiquaient entre eux que par des applications cryptées, en particulier Signal, et procédaient au cryptage de leurs supports informatiques […]. »
Juge d’instruction
Ces deux phrases sont emblématiques de l’attaque menée contre les combats historiques de La Quadrature du Net dans l’affaire du 8 décembre que sont le droit au chiffrement [5] des communications [6], la lutte contre l’exploitation des données personnelles par les GAFAM [7], le droit à l’intimité et la vie privée ainsi que la diffusion et l’appropriation des connaissances en informatique [8].
Mêlant fantasmes, mauvaise foi et incompétence technique, les éléments qui nous ont été communiqués révèlent qu’un récit policier est construit autour des (bonnes) pratiques numériques des inculpé·es à des fins de mise en scène d’un « groupuscule clandestin », « conspiratif » et donc… terroriste.
Voici quelques-unes des habitudes numériques qui sont, dans cette affaire, instrumentalisées comme autant de « preuves » de l’existence d’un projet criminel [9] :
– l’utilisation d’applications comme Signal, WhatsApp, Wire, Silence ou ProtonMail pour chiffrer ses communications ;
– le recours à des outils permettant de protéger sa vie privée sur Internet comme un VPN, Tor ou Tails ;
– le fait de se protéger contre l’exploitation de nos données personnelles par les GAFAM via des services comme /e/OS, LineageOS, F-Droid ;
– le chiffrement de supports numériques ;
– l’organisation et la participation à des sessions de formation à l’hygiène numérique ;
– la simple détention de documentation technique.
Alors que le numérique a démultiplié les capacités de surveillance étatiques [10], nous dénonçons le fait que les technologies qui permettent à chacun·e de rétablir un équilibre politique plus que jamais fragilisé soient associées à un comportement criminel à des fins de scénarisation policière.
Le chiffrement des communications assimilé à un signe de clandestinité
Le lien supposé entre pratiques numériques et terrorisme apparaît dans la note de renseignements à l’origine de toute cette affaire.
Dans ce document, par lequel la DGSI demande l’ouverture d’une enquête préliminaire, on peut lire : « Tous les membres contactés adoptaient un comportement clandestin, avec une sécurité accrue des moyens de communications (applications cryptées, système d’exploitation Tails, protocole TOR permettant de naviguer de manière anonyme sur internet et wifi public). »
Cette phrase apparaîtra des dizaines de fois dans le dossier. Écrite par la DGSI, elle sera reprise sans aucun recul par les magistrat·es, au premier titre desquels le juge d’instruction mais aussi les magistrat·es de la chambre de l’instruction et les juges des libertés et de la détention.
Durant la phase d’enquête, l’amalgame entre chiffrement et clandestinité est mobilisé pour justifier le déploiement de moyens de surveillance hautement intrusifs comme la sonorisation de lieux privés. La DGSI les juge nécessaires pour surveiller des « individus méfiants à l’égard du téléphone » qui « utilisent des applications cryptées pour communiquer ».
Après leurs arrestations, les mis·es en examen sont systématiquement questionné·es sur leur utilisation des outils de chiffrement et sommé·es de se justifier : « Utilisez-vous des messageries cryptées (WhatsApp, Signal, Telegram, ProtonMail) ? », « Pour vos données personnelles, utilisez-vous un système de chiffrement ? », « Pourquoi utilisez-vous ce genre d’applications de cryptage et d’anonymisation sur internet ? ». Le lien supposé entre chiffrement et criminalité est clair : « Avez-vous fait des choses illicites par le passé qui nécessitaient d’utiliser ces chiffrements et protections ? », « Cherchez-vous à dissimuler vos activités ou avoir une meilleure sécurité ? » . Au total, on dénombre plus de 150 questions liées aux pratiques numériques.
Et preuve de l’existence d’« actions conspiratives »
À la fin de l’instruction, l’association entre chiffrement et clandestinité est reprise dans les deux principaux documents la clôturant : le réquisitoire du Parquet national antiterroriste (PNAT) et l’ordonnance de renvoi écrite par le juge d’instruction.
Le PNAT consacrera un chapitre entier aux « moyens sécurisés de communication et de navigation » au sein d’une partie intitulée… « Les actions conspiratives ». Sur plus de quatre pages le PNAT fait le bilan des « preuves » de l’utilisation par les inculpé·es de messageries chiffrées et autres mesures de protection de la vie privée. L’application Signal est particulièrement visée.
Citons simplement cette phrase : « Les protagonistes du dossier se caractérisaient tous par leur culte du secret et l’obsession d’une discrétion tant dans leurs échanges, que dans leurs navigations sur internet. L’application cryptée signal était utilisée par l’ensemble des mis en examen, dont certains communiquaient exclusivement [surligné dans le texte] par ce biais. ».
Le juge d’instruction suivra sans sourciller en se livrant à un inventaire exhaustif des outils de chiffrement qu’ont « reconnu » – il utilisera abondamment le champ lexical de l’aveu – utiliser chaque mis·e en examen : « Il reconnaissait devant les enquêteurs utiliser l’application Signal », « X ne contestait pas utiliser l’application cryptée Signal », « Il reconnaissait aussi utiliser les applications Tails et Tor », « Il utilisait le réseau Tor […] permettant d’accéder à des sites illicites ».
Criminalisation des connaissances en informatique
Au-delà du chiffrement des communications, ce sont aussi les connaissances […]
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