ILLUSTRATION DE LAFFRANCE
Mardi 3 décembre, le ministère de l’Intérieur va enfin devoir rendre des comptes. Le tribunal administratif a convoqué une audience, prélude à une prochaine décision sur la responsabilité de l’État dans cette affaire. Les faits remontent à février 2020. Suite à la publication d’un article sur l’impunité de policiers de la BAC de Lyon, nous sommes subitement submergés par une multitude d’appels et de courriels à caractère publicitaire non sollicités. Un peu alarmés par la concomitance entre la publication de notre article et ces appels bizarres, nous décidons de mener l’enquête. Laquelle nous permet rapidement d’établir que les actes malveillants provenaient d’une seule et même adresse IP, appartenant… aux services de l’État. Brrrr. Alarmés, nous déposons plainte, et l’enquête judiciaire confirme nos soupçons : l’adresse informatique en cause appartient au ministère de l’Intérieur.
En clair : un ou plusieurs agents du ministère de l’Intérieur s’étaient amusés à nous créer des noises, confortablement installés derrière leur ordinateur de fonction. L’inertie du procureur de la République de Lyon dans la conduite de l’enquête (d’une simplicité pourtant enfantine) avait opportunément permis aux policiers en cause d’échapper à toute poursuite. Néanmoins, à défaut d’auteurs à punir, les faits étaient établis. En avril 2022, nous avons donc saisi le tribunal administratif de Lyon pour faire juger la responsabilité du ministère de l’Intérieur, qui avait permis que ces manœuvres d’intimidation envers notre association soient diligentées depuis ses locaux, avec les moyens du service. Dans un récent article, nous avons raconté comment le ministre avait joué la montre, se faisant tirer l’oreille par le tribunal pour produire ses écritures en défense. Après deux ans et demi d’attente, justice va enfin être (un peu) rendue.
Pour tout savoir sur cette affaire :
Les manœuvres d’intimidation
L’inertie coupable du procureur dans la conduite de l’enquête
La piteuse défense du ministre de l’Intérieur
Certitude de ne pas se faire prendre
Les appels malveillants, qui sur le coup nous avaient inquiétés, peuvent presque prêter à rire aujourd’hui. On imagine un ou deux fonctionnaires s’amusant derrière leur poste de travail à « faire chier des droits-de-l’hommistes », tels des adolescents sûrs de ne pas se faire prendre par leurs parents. Mais le visage inquiétant de cette affaire se trouve là, précisément : dans l’impunité, et la certitude des policiers en cause de ne pas se faire prendre. A l’heure de la montée de l’extrême-droite et du déploiement autoritaire de l’État, on continue d’attendre, un peu naïf peut-être, que l’institution judiciaire joue son rôle de protectrice des libertés. Or, pour l’instant, Flagrant déni n’a eu droit qu’à une enquête judiciaire bidon, et des visites d’huissiers pour communiquer des pièces de procédure destinées à allonger les délais de justice.
A l’époque, nous démarrions nos enquêtes, tentant d’obtenir des réponses officielles et d’alerter les médias locaux sur des pratiques illégales et inquiétantes de la police. Cette brusque réaction montrait que quelque part, notre activité, même modestement, dérangeait. Tous ces faits ne sont qu’un grain de sable au milieu des torrents de boue que doivent parfois, souvent, affronter les victimes et les familles de victimes de violences policières : pressions tous azimuts, coûts de procédure, craintes de représailles en tous genres. Aujourd’hui, ce petit grain de sable affute toujours notre ténacité et notre volonté de soutenir, avec nos savoir-faire, toutes les personnes qui continuent de lutter malgré la montée oppressante de l’autoritarisme.
la rédaction de Flagrant Déni
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info