La Cour de cassation se penche sur le « permis de tuer » dans la confusion

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Meurtre policier

Le 4 avril, la plus haute juridiction française doit examiner l’affaire Luis Bico. Elle risque fort de maintenir le flou sur l’application de la loi votée en 2017. Pourtant, sept ans et cent morts par balle plus tard, il semble temps d’encadrer enfin l’usage des armes.

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ILLUSTRATION DE LAFFRANCE

Le 4 avril prochain, la Cour de cassation va juger l’homicide policier de Luis Bico. Ce dernier avait été tué par la police en août 2017, quelques mois après l’adoption du nouvel article L435-1 du Code de sécurité intérieure (CSI). La justice est amenée à donner son interprétation de ce texte. Cette affaire pourrait donc sceller le sort de nombreux autres dossiers en attente de jugement, comme ceux de Jérôme Laronze, Gaye Camara, Olivio Gomes, ou Adam et Raihane.Au moins 99 personnes ont été tuées par les balles de la police depuis cette loi, en sept ans.

Cette audience n’intervient pas n’importe quand : suite à la mort de Nahel Merzouk, l’Assemblée nationale est en train d’examiner une proposition de loi déposée par LFI pour abroger l’article L.435-1. Une mission parlementaire Renaissance est également en train d’auditionner diverses personnes concernées par la question pour faire des propositions. Elle doit rendre ses conclusions en avril.

Dans ce contexte hautement politique, la Cour de cassation va-t-elle apporter sa pierre à l’édifice ? Tout laisse à penser qu’il n’en sera rien. Car si elle suit l’avis du magistrat « rapporteur » du dossier, elle va rendre un arrêt de « non admission ». C’est-à-dire que, comme elle l’a fait pour la mort de Shaoyao Liu et d’Angelo Garand, tués juste avant Luis et après la loi de 2017, elle s’apprête à conclure l’affaire d’une phrase type après une audience purement formelle, au cours de laquelle ni la famille ni leur avocat n’auront la parole.

Une loi qui n’a jamais été interprétée clairement

Or les enjeux juridiques de ce dossier sont énormes, et mériteraient un peu mieux que le silence de la plus haute juridiction française. Depuis 2017, l’article L435-1 du CSI est le nouveau cadre légal d’usage des armes par la police et la gendarmerie. Il prévoit que ces derniers peuvent tirer dans cinq cas, et notamment :

« 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ». C’est le cas classique de la légitime défense en cas de danger « immédiat » ou « imminent », qui préexiste à la loi de 2017.

« 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules […] dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». C’est le cas, nouvellement introduit par la loi de 2017, des tirs pour « refus d’obtempérer ».

Or, le silence que s’apprête à conserver la Cour de cassation dans l’affaire Bico s’appuie sur une double confusion.

La première confusion est juridique

Faut-il, ou non, que le danger auquel répond le tir des policiers soit « imminent » ? C’est sur ce point précis et crucial que la loi de 2017 a été très largement critiquée comme étant confuse.

Le magistrat rapporteur de la Cour de cassation dans l’affaire Luis Bico souligne que « à propos de l’application du code de la sécurité intérieure, la Cour de cassation a jugé que, bien que le texte ne le précise pas expressément, l’usage de l’arme doit être réalisé dans le même temps que sont portées des atteintes ou proférées des menaces à la vie ou à l’intégrité physique des agents ou d’autrui » (nous soulignons). L’« imminence » serait donc nécessaire.

Mais quelques paragraphes plus haut, le magistrat rappelle que dans le cas des tirs pour refus d’obtempérer, « la référence à l’imminence a été supprimée à l’occasion des débats parlementaires, le rapporteur du Sénat, M. François Grosdidier relevant : “nul n’est capable de définir l’imminence, pas même les magistrats : est-ce une affaire de secondes, de minutes ? N’oublions pas que ce texte a vocation à être utilisé concrètement par les forces de l’ordre. Que doivent-elles faire si deux terroristes armés, après sommations, n’obtempèrent pas et s’enfuient ?” ».

Autrement dit, le magistrat de la Cour de cassation estime que l’« imminence » est un critère décisif, mais ne dit rien du fait que les parlementaires aient supprimé toute référence à ce critère. Si elle suit cet avis, la Cour de cassation va donc entériner le flou sur un point essentiel du droit, qui aura des répercussions cruciales sur les pratiques policières.

La seconde confusion est factuelle

Pour l’auteur du rapport de la Cour de cassation dans l’affaire Bico, « les faits […] traduisent une situation dans laquelle […] le risque d’atteinte à la vie et à la sécurité des personnes était avéré [notamment] par l’usage qui pouvait être fait du véhicule à l’encontre de personnes qui étaient présentes et rassemblées alentour, et se trouvaient en conséquence en danger immédiat ». Au moment des tirs, Luis Bico venait pourtant de démarrer sa voiture et fuyait les policiers.

Au contraire de ce que retient la Cour de cassation, la cour d’appel exclut justement l’hypothèse d’un « danger immédiat ». Elle estime que « les éléments de l’instruction ne permettent pas de retenir que des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique étaient portées contre les policiers ou contre autrui au moment des tirs dès lors que les policiers s’étaient écartés ainsi que les témoins et qu’il n’est pas établi que des personnes se trouvaient alors sur la trajectoire du véhicule dans sa fuite ».

La conclusion de la cour d’appel dans l’affaire Bico est clairement formulée : « il ne saurait être fait application de l’article L435-1 1er du code de la sécurité intérieure » (les conditions de la légitime défense ne sont pas réunies). Mais les policiers « ont fait usage de leurs armes dans les conditions prévues par l’article 435-1 4° du code de la sécurité intérieure » (les conditions du tir suite à refus d’obtempérer sont réunies). La seule différence entre les deux hypothèses, c’est justement le caractère « immédiat » (ou « imminent ») du danger.

La question qui est posée le 4 avril à la Cour de cassation est donc simple : en cas de refus d’obtempérer (article L.435-1 4° du CSI), le police peut-elle tirer même si le danger n’est pas immédiat ? Si la réponse est « oui », la justice validera le principe du « permis de tuer », et sera probablement condamnée par la Cour européenne. Si la réponse est non, le policier qui a tué Luis Bico devra être poursuivi.

Au vu du contexte, toute solution intermédiaire qui ferait persister le flou juridique en vigueur risquerait de signer une inconséquence juridique irresponsable.

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