Tomboy à la Pride 2011 !

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Je me présente : j’ai la trentaine mais l’allure d’un adolescent de 15 ans rebelle et ébouriffé, un peu bronzé, bonnet A ou B (ah si je mettais des soutien-gorges…), assez mince, sportive mais sans avoir les muscles dessinés. A l’occasion de la marche des fiertés LGBT (lesbiennes gais bi trans) 2011, j’ai décidé de défiler torse nu et en caleçon d’homme. Pourquoi ? Pour transgresser les normes sexistes en vigueur sur le corps féminin, et pour profiter de cette liberté accordée une fois dans l’année d’être dans l’espace public une autre personne que celle que je suis les 364 jours restants. Et bien le résultat a été plutôt intéressant.

En fin de marche, je m’étais éloigné du cortège du Collectif Lesbien Lyonnais auquel j’appartenais pour m’allonger sur le goudron avec d’autres militants qui empêchaient le FLAG (les policiers gais) de passer. Un jeune homme d’un groupe d’adolescent-e-s spectateurs-trices s’allonge à nos côtés sous les hués de ses ami-e-s qui lui demandent s’il est devenu fou et l’invitent à se relever. Je me redresse pour aller parler aux jeunes femmes du groupe. Lorsque deux d’entre elles me voit arriver torse nu et en caleçon d’homme, elles ont un mouvement de recul et un regard effrayé : « me touche pas, le pellot ! (le mec)  ». Je m’arrête surprise qu’elles me prennent pour un homme. Je bombe mon torse pour mettre en avant mes seins, et penche la tête sur les côtés avec un regard interrogatif pour leur demander si d’après elles je suis un homme ou une femme. L’une d’elle montre mes seins et dit « me touche pas, tu prends des hormones !  ». Et là je réalise qu’elles me prennent pour un trans MtX (homme en transition vers femme) qui aurait démarré un traitement hormonal pour avoir des seins. J’enchaine en leur montrant le caleçon d’homme qui n’a visiblement pas de pénis à l’intérieur. Ce à quoi elles répondent : « fais voir à l’intérieur ? ». Là je préfère laisser planer le doute plutôt que de baisser mon caleçon.

Alors Monique Wittig aurait-elle raison : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes  » ? En tout cas la représentation de ces adolescentes est révélatrice : si tu marches torse nu dans la rue, il y a plus de chance que tu sois un homme. Et si tu as des seins et que tu portes un caleçon d’homme, alors ça ne fait pas de doute ! Tu n’es pas une femme qui a mis un caleçon d’homme, tu es un homme qui a pris des hormones pour ressembler à une femme ! Transgenre quoi (le métissage du genre féminin et masculin qui ne permet plus d’identifier clairement le sexe déclaré à la naissance). S’ensuit une éloquente réaction de rejet de cet entre-deux. C’est ce qu’on appelle la transphobie. Les codes du genre féminin (les habits, le comportement) doivent être collés à la peau pour permettre d’identifier une femme. Gare aux codes discordants.

Le pouvoir de la performativité (lorsque « ce qui est dit » devient « ce qui est ») : ces adolescentes me disent « tu es un homme », j’ai bien voulu les croire, et face à elles je le suis. Elles m’ont permis de vivre l’expérience psychique d’être un homme. C’était déjà arrivé à l’adolescence qu’on s’adresse à moi en tant que garçon à cause de l’habit masculin. Mais c’est la première fois qu’on m’assigne explicitement un sexe masculin alors que je suis adulte et dévêtue. J’ai savouré cette liberté d’être un autre alors que j’étais pratiquement nue pendant un instant.

Le pouvoir de la performance : ces adolescentes m’ont identifiée à partir du contexte, du comportement et de l’habit, et pas à partir de mon corps. Ainsi il n’y a pas besoin d’être un homme pour être en caleçon dans la rue, mais on devient un homme si on le fait dans une marche LGBT, quel que soit son corps. Montrer son torse en public est une performance d’homme. Probablement au même titre que comparer la taille de ses organes génitaux externes en groupe : une action à prévoir l’année prochaine ?

Notre place sociale varie en fonction de la performance qu’on est capable de produire. John Gagnon (sociologue de la sexualité) dit que la plupart d’entre nous essayons de réaliser des performances qui correspondent aux normes sociales. La performativité des soignants à la naissance à travers « c’est un garçon ! » ou « c’est une fille ! » et le sexe que nos parents déclarent à l’Etat, sont les premières normes sociales. Cette performativité va déterminer en partie nos performances : qui doit être productif, prendre des risques, établir des cadres, diriger, jouir systématiquement quand il baise, marcher torse nu dans la rue ? Qui doit entretenir la force de production et les personnes dépendantes, suivre les règles, prendre sur soi, patienter, se donner même si ça fait mal, se couvrir le corps mais pas trop ? Et nos performances vont aussi déterminer en partie la performativité : « ce sont des femmes qui font ce travail, donc il est moins bien payé » et « ce travail est moins bien payé donc si tu acceptes de le faire c’est que tu es une femme ». Mais certaines personnes sont incapables de réaliser la performance attendue : produire ou/et entretenir, baiser ou/et être baisé, jouir en étant pénétré ou/et en étant frotté, être torse nu dans la rue ou/et y passer sans se montrer... C’est la marge. Si la déclaration du sexe à la naissance était abolie, que deviendrait la performance de chacun-e ? Pourrait-on choisir ? Deviendrait on le sexe que l’on performerait le mieux ? Changerait-on de sexe en fonction de la performance ? Cette norme de déterminer deux sexes serait-elle remplacé par une autre norme organisée autour de la « complémentarité reproductive » mâle-femelle ? Ou bien la question de la reproduction, et donc du sexe, deviendrait-elle secondaire pour céder la place à une autre norme ?

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P.-S.

Tomboy signifie « garçon manqué » en anglais.

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