Retour sur une semaine agitée à Lyon

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zbeul hiver 2018/2019 | Gilets Jaunes 1 complément

Curieusement épargnée jusqu’ici malgré un contexte national particulièrement conflictuel, l’agglomération lyonnaise semble s’être réveillée au cours de la semaine dernière.

Tout commence par la mobilisation lycéenne.

Dès le lundi 03 décembre, plusieurs lycées de Lyon, Vaux-en-Velin, Bron et Villeurbanne sont bloqués. Le mouvement lycéen, regroupé derrière le mot d’ordre RevancheLycéenne démarre très fort. Aux abords des lycées, la semaine va être rythmée par des blocages, des barricades enflammées et des affrontements avec la police. Malgré une répression très violente, plusieurs arrestations chaque jour, coups de matraques et tirs de flashball, la détermination des lycéens-ennes ne faiblit pas.
Comme d’habitude, les lycées de banlieues sont particulièrement réprimés. Le gouvernement est aux abois, affaiblit par un mouvement populaire hétérogène. Il craint de voir la jeunesse du pays et particulièrement celle des quartiers populaires emboîter le pas aux désormais célèbres Gilets Jaunes. Il fait donc matraquer à tout va et lâcher la bride à des flics trop contents de pouvoir venger l’affront subit ces derniers samedi.

Les revendications lycéennes sont claires : pas de ParcouSup, pas de réforme du Bac, pas de réforme des lycées professionnels, pas de SNU (une variante du service militaire, obligatoire et d’une durée d’un mois) pour ce qui est des exigences corporatistes. Pour le reste, la chute du gouvernement reste un horizon désirable.

Une fois n’est pas coutume, lycées généraux et lycées professionnels avancent ensemble. Et si les syndicats lycéens restent particulièrement visibles, surtout dans le champ médiatique, la base lycéenne semble bouillonnante et difficilement récupérable.

Vendredi 07 décembre. Appel national pour une journée de mobilisation lycéenne.

Comme depuis le début de la semaine, de nombreux lycées de l’agglomération sont bloqués. Rendez-vous est donné à 10h à Jean Macé pour partir en manif. La manifestation s’élance donc et ne cessera de grossir jusqu’à regrouper pas loin de 4000 personnes. Des lycéen-ennes très majoritairement, mais aussi des profs qui soutiennent le mouvement et dénoncent les violences policières exercées contre leurs élèves ainsi que des étudiant-es en lutte contre parcoursup et la hausse des frais d’inscription pour les étudiant-tes étranger-ères. A ce titre, craignant une forte mobilisation étudiante et un blocus des locaux, la présidente de l’Université de Lyon 2, Nathalie Dompnier, a préféré fermer administrativement la fac pour la journée. D’autant plus qu’une AG étudiant-es et lycéen-nes était annoncée à la fac à midi.

Le cortège démarre donc sur les chapeaux de roues. Poubelles renversées et tags colorent le parcours. Le dispositif policier est conséquent en ce premier jour de fête des Lumières. CRS, BAC et hélico collent le cortège.

Un peu avant l’intersection Saxe-Gambetta, la manif se fait gazer. Un échange de projectiles s’en suit. La tension est vive. Les flics bloquent la manif. Le cortège bifurque et rejoint la bourse du travail place Guichard par les petites rues. Là, la police verrouille et gaze la place. S’en suivent quelques charges et contre-charges. Beaucoup de manifestants se réfugient dans la Bourse du travail où se tient une assemblée générale. Plusieurs centaines de personnes discutent de comment intensifier le mouvement et de rejoindre ou pas le mouvement des Gilets Jaunes. Sur ce dernier point, les positions divergent, laissant place aux initiatives personnelles. Plus tard, le calme revient sur la place, l’AG se termine et les personnes se dispersent.

Rendez-vous est donné pour poursuivre la RevancheLycéenne la semaine suivante.

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Samedi 08 décembre. Marche pour le climat et Gilets Jaunes.

Comme chaque premier samedi du mois, une marche pour le climat a eu lieu. Faute de pouvoir manifester en presque-île pour cause de Fête des lumières, la marche est partie de Jean Macé pour se terminer au pont de La Guillotière. Elle a regroupé plusieurs milliers de personnes et s’est déroulée sous forte escorte policière. Ambiance festive et colorée. Une partie du cortège forme un bloc anticapitaliste clairement marqué, suivi de près par la bac. Des gilets jaunes se joignent également au cortège. Arrivé au pont de la Guillotière un « service d’ordre » estampillé Alternatiba et Greenpeace se déploie au niveau du pont pour empêcher les personnes de traverser. Le ton est donné, nul événement ne saurait venir perturber la saccro-sainte fête des lumières…

Pas si sûr. Depuis quelques jours un rencard tourne sur les réseaux sociaux, qui invite les Gilets Jaunes à se réunir à 13h place Bellecour. En plein cœur des festivités. Les minutes s’égrènent et le groupe grossit de plus en plus.

Quand nous croisons enfin sa route, il est 14h passé et le cortège jaune qui regroupe plusieurs centaines de personnes se fait repousser de la presqu’île à coups de gazs lacrymogènes. Le cortège traverse le pont de l’université puis remonte les quais jusqu’au pont de la Guillotière. Comme depuis le début du mouvement, le cortège est très hétérogène. Les fafs sont présents, c’est une habitude ici à Lyon. A ce moment là de la manif un groupe de fafs défile derrière une banderole « non au pacte de Marrakech ». Des groupes de jeunes, voir très jeunes lascars sont aussi présents et plutôt remontés. Des militants d’extrême-gauche et des syndicalistes, avec ou sans gilets jaunes. Bref, la foule des gilets jaunes dans toute sa complexité.

Arrivées au pont de la Guillotière, les forces de l’ordre bloquent la route. S’en suit une séquence longue et confuse. Les flics gazent et un petit groupe emmené par des fafs part en direction de la Guillotière par les petites rues. On apprendra plus tard qu’ils cherchaient à rejoindre la Préfecture. Une grosse partie du cortège fait demi-tour et part en direction de la presqu’île via le pont de l’université. Un petit groupe reste au niveau du pont de la Guillotière alors que la présence policière se fait de plus en plus nombreuse. Visiblement, le dispositif commence à être un peu dépassé. A ce moment, une bagarre éclate dans le cortège, des fafs s’attaquant à une personne avec un drapeau rouge et noir. Les CRS en profitent pour gazer le groupe, et la BAC charge sous les huées. Au moins deux personnes sont arrêtées. Suite à quoi la foule se disperse.

Sur la presqu’île, le cortège de Gilets Jaunes et associé-es se fond dans la masse des touristes. Un groupe important rejoint la place des Terreaux et se rassemble devant l’hôtel de ville où il n’y a quasiment pas de flics. Les grilles sont secouées et finissent par s’ouvrir. La foule est stupéfaite et ne sait pas trop si elle doit investir le bâtiment. Des municipaux « stockés » dans la mairie se précipitent à l’entrée, ferment les grilles et gazent les gens. A noter que quelques fafs sont encore là, de moins en moins nombreux. Des groupes de jeunes les identifient et se montrent de plus en plus hostiles envers eux. Visiblement, tout le monde n’est pas acquis à leur cause…

Pendant ce temps là, un autre groupe de Gilets Jaunes et associé-es squattent le carrefour entre la place Bellecour et la rue de la République autour d’une fanfare. L’ambiance est plutôt détendue. Les flics balancent quelques lacrymos. Puis une compagnie de CRS (une dizaine ?) se met à avancée vers la foule, beaucoup plus nombreuse, et se retrouve nassée. L’étau se resserre, les insultes fusent, quelques projectiles volent, des claques secouent les casques. D’autres CRS arrivent. Grenades et lacrymos pour se dégager. S’en suit une petite bataille entre Gilets Jaunes et associé-es et forces de l’ordre pour le contrôle du carrefour qui va durer plusieurs heures. Aux lacrymos répondent des projectiles et des tentatives de barricades. Il y a énormément de monde sur place, Fête des lumières oblige. Certains observent, d’autres participent, d’autres encore partent en courant. Tout ce monde rend compliquée l’opération de maintien de l’ordre malgré la très forte mobilisation policière.

Les installations de la fête des lumières sur la place Bellecour sont détruites ou recyclées en jeux et/ou projectiles. Cette fête des lumières n’aura jamais été si populaire.

A la tombée de la nuit, les Gardes Mobiles finissent par reprendre le contrôle de la place, appuyés par le projecteur de l’hélicoptère. L’air est saturé de gaz et l’ambiance un peu surréaliste. Une dernière équipée sauvage remonte la rue de la République en déployant des barricades. La Bac, en nombre, charge et matraque. Le spectacle est terminé. L’autre, officiel, propre et lisse, véritable machine à fric, peut commencer.

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Quelques réflexions à propos de la période en cours :

- La répression du mouvement lycéen est particulièrement dure. Lycéens et lycéennes ont besoin d’être soutenus, en se rendant par exemple aux abords des lycées bloqués.

- Le mouvement des Gilets Jaunes ne faiblit pas. On peut même dire qu’il gagne en intensité en témoigne ce week-end particulièrement chaud à Bordeaux, Toulouse, Marseille ou encore Saint-Etienne… Et ce malgré la violence de la répression.

On l’a déjà dit, c’est un mouvement protéiforme, hétérogène… Comme tout soulèvement populaire un tant soit peu conséquent, il porte en lui les contradictions de son temps. Il les exacerbe même. C’est à nous de pousser ces contradictions dans le sens qui nous semble le plus juste. Tout mouvement est un rapport de force. Personne n’est au-dessus de la mêlée.

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  • Le 13 décembre 2018 à 12:22, par

    Vous écrivez : A ce moment là de la manif un groupe de fafs défile derrière une banderole « non au pacte de Marrakech ». Des groupes de jeunes, voir très jeunes lascars sont aussi présents et plutôt remontés. Des militants d’extrême-gauche et des syndicalistes, avec ou sans gilets jaunes. Bref, la foule des gilets jaunes dans toute sa complexité.

    Depuis quand la présence massive de fachos est synonyme de "complexité" ? Je suis désolé mais on nage vraiment un plein relativisme.
    Idem à la fin quand vous parlez d’hétérogénéité.

    Au plan national, je pense qu’il n’y a quasiment aucune chance de faire basculer un mouvement venu de la droite (anti taxes, pro bagnoles, parfois plus que craignos sur l’immigration ou "l’assistanat") vers quelque chose qui "nous semble juste" comme vous écrivez. Au plan local, dans un mouvement clairement organisé et dominé par les fafs (cf. notamment les agressions du 8 mais aussi les drapeaux vu dans les manifs précédentes (notamment un drapeau BBR avec une croix rouge au milieu (je sais pas qui c’est)), il est très clair que tout ce qu’on peut faire c’est venir les renforcer ou prendre les risques de se faire agresser.

    J’étais dans la rue le 8, pour voir. Je n’y suis pas resté longtemps après Bellecour avant de fuir parce que j’étais hyper mal à l’aise de voir des camarades mêlées à des fafs et surtout parce j’avais peur (des fafs, pas que des flics). De ce que j’ai vu je pense qu’il y avait au moins 100 fafs "radicaux" facilement identifiables (identitaires et gudards) et probablement aussi une centaine d’autres fafs plus "propres sur eux" (FN, Dupontaignards, UPR). C’est clairement la dernière fois que je mets les pieds dans une manif gilets jaunes. Et hors de question de voir cela comme de la "complexité"...

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