Parce que toute lutte matérielle, à savoir qui entend améliorer les conditions de vie des personnes dès le premier instant, constitue selon nous le meilleur moyen de lutter contre la fascisation en cours, la lutte pour un logement digne et stable, qui est une lutte matérielle, est une lutte antifasciste.
Chapitre 1 – Qu’est-ce qu’un discours d’extrême-droite sur la question du logement ? Reconnaître les éléments de langage récurrents
Dans un contexte où les discours réactionnaires se multiplient, il devient essentiel de développer un regard critique afin de reconnaître les stratégies de manipulation et de stigmatisation utilisées par l’extrême droite, que ce soit dans les médias ou lors de discussions quotidiennes.
Un discours d’extrême droite sur le logement se reconnaît par une logique de stigmatisation et d’exclusion, nourrie par des préjugés racistes, xénophobes et classistes. Le logement n’est plus considéré comme un droit fondamental, mais comme un privilège octroyé à une élite restreinte. Cette idéologie oppose ceux qui sont considérés comme « dignes » d’être logés (les « vrais Français », réduits à une vision ethnocentrée) et ceux qui sont accusés de « profiter » du système : les personnes issues de l’immigration, les personnes précaires, ou ceux qui occupent illégalement un logement.
Les logements sociaux et informels deviennent ainsi l’objet de toutes les attaques. L’extrême droite dénonce une prétendue « surcharge » des logements sociaux, qu’ils décrivent comme envahis par des populations étrangères ou issues des classes populaires. Ce discours démontre une vision manichéenne où l’on oppose les « bons citoyens » aux « parasites » du système, assimilant systématiquement les plus vulnérables à des délinquants en puissance. Les squatteurs sont dépeints comme une menace à l’ordre social et à la sécurité des Français. Un discours qui oublie délibérément que le droit au logement est un droit humain fondamental, inscrit dans la Constitution et dans les engagements internationaux de la France.
Ce discours n’a qu’un seul but : faire passer des mesures répressives et autoritaires, et criminaliser ceux qui, faute de moyens, n’ont pas d’autre choix que de s’installer là où ils peuvent pour éviter de dormir à la rue. Or, un toit est droit, indépendamment de l’origine, de la situation sociale ou des moyens financiers.
Le mythe du "petit" propriétaire
La victimisation des « petits propriétaires » face aux squatteurs est un autre élément de langage utilisé par l’extrême droite afin de criminaliser la précarité. Cependant, l’image d’un « petit propriétaire » ayant acquis son bien immobilier grâce à son travail acharné et à ses sacrifices est une vision largement idéalisée, voire mythifiée. En effet, en France, une faible proportion de ménages, à savoir seulement 3,5%, détient 50% du parc locatif. Lorsqu’on s’intéresse de plus près au profil de ces multipropriétaires, notamment à travers les études menées par l’INSEE, on découvre que ce groupe est composé principalement de personnes âgées et, sans grande surprise, issues de milieux relativement privilégiés sur le plan financier. De plus, la majorité d’entre eux a eu recours à un héritage pour acquérir leurs biens, ce qui démonte l’image du « petit propriétaire » autonome et issu des classes moyennes ou populaires.
C’est en jouant sur ce mythe que la loi Kasbarian-Bergé a été adoptée en 2023, juste quatre jours après la fin de la trêve hivernale. Cette loi a reçu l’appui de la majorité des députés macronistes, des Républicains (LR) ainsi que du Rassemblement National (RN). Ainsi, une coalition s’est formée entre les libéraux et l’extrême droite pour soutenir ce texte, malgré les multiples alertes émises par diverses associations et organisations spécialisées dans les questions de logement.
Il est intéressant de noter que le Rassemblement National, bien qu’il se revendique en désaccord avec la majorité présidentielle sur de nombreux sujets, a explicitement soutenu cette loi en rappelant qu’elle était en grande partie « inspirée de la proposition de loi de Marine Le Pen de mars 2021 ». Ceci démontre une fois de plus la convergence idéologique qui règne entre des ces deux partis politique : criminaliser les logement informels et accentuer la lutte contre les « squatteurs », tout en poursuivant une vision économique favorable aux propriétaires les plus riches. L’extrême droite y voit un outil de protection de la propriété privée et de l’ordre public, où les droits des plus faibles passent après ceux des propriétaires.
Pour rappel, la loi Kasbarian-Bergé :
- Condamne jusqu’à 2 ans de prison et 30 000 € d’amende les personnes et familles qui, faute d’hébergement d’urgence, se mettent à l’abri dans des logements inhabités, des bureaux vides, des bâtiments industriels ou agricoles désaffectés, ainsi que les salarié·e·s qui occupent leur lieu de travail dans le cadre d’un mouvement social ;
- Accélère la procédure d’expulsion locative, court-circuite les dispositifs de prévention déjà fragiles et retire au juge le pouvoir de suspendre l’expulsion quand il l’estime possible et nécessaire ;
- Alourdit d’une amende de 7 500 € l’endettement des locataires victimes de la cherté du logement ou d’un accident de la vie, s’ils se maintiennent dans les lieux après une décision d’expulsion ;
- Entrave le travail d’information, de témoignage et d’accompagnement des associations et collectifs intervenant auprès des personnes vivant en lieux de vie informels par la création d’un nouveau délit de propagande ou de publicité facilitant le squat, puni de 3 750 € d’amende.
Cette loi ne fait que criminaliser la misère et renforcer l’exclusion sociale, sans s’attaquer aux racines du problème : le manque de logements accessibles et de solutions pérennes pour ceux qui en ont besoin.
Sources :
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432517?sommaire=5435421#figure9_radio2
- https://www.fondation-abbe-pierre.fr/nos-publications/communiques-de-presse/loi-kasbarian-berge-la-constitution-dernier-refuge-des
Chapitre 2 – Comment se matérialise en pratique les idées d’extrême-droite sur la question du logement ?
La « préférence nationale » dans l’accès au logement social
Dans l’ensemble des pays d’Europe, dont la France, l’habitat social est la forme d’habitat principale pour les personnes immigrées ou issues de l’immigration. Mais le parcours d’accès à un logement digne pour ces catégories de personnes redouble d’obstacles. Si on sait qu’à dossier égal et demande de logement social égale, une personne racisée n’a pas les même chances qu’une personne blanche de voir sa demande de logement aboutir, même l’accès au logement social quand il est accordé ne se fait pas dans les même conditions.
En effet, accéder au logement social pour les personnes racisées, c’est aussi subir la politique de ségrégation urbaine qui se joue dans l’accès au logement en France depuis les années 70. C’est donc accepter d’être parqué dans des grands ensembles urbains, ou « cités HLM », et relégué toujours plus loin des centres urbains, qui restent encore aujourd’hui l’apanage des personnes blanches.
Alors que les métropoles s’étendent toujours plus, ces cités dortoirs font aujourd’hui l’objet de grands projets de rénovation urbaine, comme c’est le cas des UC Parilly, à Bron, qui comptent 2608 logements dont une partie est vouée à la démolition dans le cadre du NPNRU (Nouveau Programme National pour le Renouvellement Urbain). La ségrégation spatiale s’accentue avec ces projets de rénovation dont l’objectif affiché est de « dédensifier » certaines zones d’habitat et d’encourager la « mixité sociale » par la démolition de logements sociaux et le passage de certains logements dans le parc locatif privé. Alors que ces derniers bénéficient aujourd’hui à des milliers de personnes précaires ; l’objectif est de les remplacer petit à petit par du « logement intermédiaire » accessible aux classes moyennes-supérieures, des populations souvent blanches venues des centres-urbains.
En plus d’appauvrir le parc social, un des effets direct de ces projets se matérialise dans l’organisation du relogement des personnes dont les habitats vont être détruits. Quand elles ne sont pas incitées à partir d’elles même par les bailleurs qui ont pourtant l’obligation de les reloger (arrêt de l’entretien des immeubles, refus de traiter la présence de nuisibles, etc.), des familles entières se voient proposer des solutions de relogement toujours plus loin des centres ville au profit de catégories de populations plus aisées.
Ces pratiques s’inscrivent dans une dynamique de conditionnement d’accès au logement selon la logique de la préférence nationale en incitant les personnes précaires et racisées à se déplacer toujours plus loin en périphérie des centres urbains, et en les excluant petit à petit des conditions d’accès au logement social.
Si elle est aujourd’hui insidieuse, le RN prévoit dans son programme d’instituer la préférence nationale dans l’attribution des logements sociaux, ce qui aurait pour effet d’exacerber et de rendre légitimes les discriminations déjà existantes en matière d’accès au logement pour les personnes racisées. Ces logiques s’illustrent déjà ailleurs en Europe, comme en Suède où la droite et l’extrême-droite poussent pour conditionner l’accès aux aides et au logement social à un certain niveau d’intégration à la société. En France, cela se traduit par la volonté affichée, du centre à l’extrême-droite, de conditionner les aides sociales et l’accès au logement au « respect des valeurs de la République ».
Criminalisation du squat et expulsion du territoire
A Lyon, dans un contexte de crise profonde du logement et de l’hébergement d’urgence et face à l’inaction de l’État, de la préfecture et de la métropole, vivre en squat quand on est une personne exilée constitue une des seule façon de survivre.
Pourtant, tenter de se lettre à l’abri en squattant un logement inoccupé devient de plus en plus difficile, notamment depuis la loi Kasbarian-Bergé qui criminalise toujours plus les personnes en situation de squat. Dans cette dynamique, plutôt que de respecter ses obligations en matière d’hébergement d’urgence en proposant des solutions d’hébergement digne pour tous.tes, la préfecture de Lyon a choisi de mettre de nombreux moyens dans des expulsions de squats manumilitari, et ce même en période de trêve hivernale, sans jamais proposer de solutions d’hébergement aux personnes expulsées.
Alors que la préfecture sait que le squat est une façon d’habiter pratiquée notamment par les personnes exilées faute d’autre choix, elle profite des expulsions qu’elle exécute pour accroitre le taux de délivrance d’OQTF dans la région, au nom de la « lutte contre la délinquance ». C’est ainsi que les associations chargées de réaliser des diagnostiques sociaux, visant à juger de la vulnérabilité des personnes expulsées et à leur permettre de bénéficier d’un accompagnement social, ont été remplacées depuis plusieurs mois par la présence systématique de la PAF (police aux frontières) qui réalise des arrestations pendant les expulsions !
Ces pratiques racistes visent à désinciter les personnes à la rue, et notamment les exilées et sans papier, à se trouver un abris de peur de se voir supprimer tous leurs droits sur le territoire français et de voir leurs démarches de régularisation gelées pour 3 ans. Elles se fondent sur des idées d’extrême droite ancrées dans les discours politco-médiatique selon lesquels criminalité et immigration seraient liés et qu’il serait donc justifié de les réprimés ensemble au nom de la protection des français.e.s et de toutes les personnes blanches présentes sur le territoire.
Le harcèlement et la répression des communautés de voyageurs
Ces discriminations en matières de logement et d’hébergement sont la conséquence d’années de politiques racistes, coloniales et néolibérales qui visent les personnes exilées, les personnes racisées issues de l’immigration mais aussi les communautés de voyageurs qui subissent le harcèlement quotidien de la part des institutions (mairies, métropoles, préfectures).
Alors que la loi prévoit la mise à disposition d’aires d’accueil digne pour les communautés de voyageur.euses par toutes les communes de plus de 5.000 habitant.e.s, les voyageurs se voient presque systématiquement bafouer leurs droits par mépris des institutions publiques de plusieurs façons :
- La situation géographique des aires d’accueil mises à la dispositions des voyageur.euses : elle se situent toujours en périphérie des villes, proches des déchetteries, des usines, des lignes de chemin de fer, des incinérateurs et cimetières, et in fine, des lieux coupés des transports, des services essentiels et des espaces centraux de la vie social "légitimes" - les centre urbains des villes.
- Les discriminations environnementales dont sont victimes les voyageurs du fait de leur lieu de vie : les aires d’accueil mises à disposition des voyageur.euses sont des espaces pollués qui impactent négativement la santé des personnes qui y vivent. C’est ce que dénonce le collectif des femmes d’Hellemmes-Ronchin, Da So Vas, qui se mobilisent contre la pollution de leur aire d’accueil située entre une cimenterie et une concasserie. En conséquence, de nombreuses personnes vivant sur l’aire d’accueil d’Hellemmes-Ronchin ont développé des problèmes respiratoires du fait de la poussière qu’elles respirent quotidiennement.
- L’accroissement de la pression et de la répression des voyageur.euses par les pouvoir publiques du fait de leur mode d’habitat : La répression des voyageur.euses prend différentes formes selon les communes. A Lille par exemple, depuis 2022, la métropole a adopté une politique répressive visant à contraindre les habitant.es à quitter les aires d’accueil en limitant leur durée de séjour tout en sachant que la plupart des familles qui y sont installées sont aujourd’hui sédentaires et ce depuis plusieurs années. Ces même familles subissent depuis le harcèlement quotidien et les contrôles intrusifs de la police et des pouvoirs publiques qui refusent de se conformer aux nombres de places qu’ils doivent mettre à disposition pour l’accueil des voyageur.euses. Faute de pouvoir s’installer sur des aires dignes, du fait de leur suroccupation, nombre de familles sont contraintes d’occuper des terrains qui ne sont pas prévus à cet effet. Alors que les communes ne sont jamais sanctionnées pour non-respect de leurs obligations, elles n’hésitent pourtant pas à réprimé toute personne qui occuperait un terrain de façon illicite par manque de choix, notamment en commanditant des expulsions violentes et abusives.
Ce genre de dispositif répressif est largement soutenu par l’extrême droite. En effet, depuis 2022, l’extrême droite et son parti le Rassemblement National poussent à l’Assemblée nationale et dans le discours politico-médiatique pour réclamer davantage de mesures répressives vis-à-vis des voyageurs. Une proposition de loi a été déposé dans ce sens en janvier 2023 avec l’objectif de "lutter plus efficacement contre les campements illégaux de gens du voyages". Ces dispositif et la mise en place de politiques en ce sens mettent en péril les façons d’habiter des communautés de voyageurs et plus largement leur vie.
Sources :
- https://metropolitiques.eu/Discriminer-defendre-les-privilegies-punir-les-pauvres-le-programme-du-RN-en.html
- https://www.fondation-abbe-pierre.fr/sites/default/files/2023-03/discriminationslogementsocial_0.pdf
- https://www.courrierinternational.com/article/reportage-pas-assez-occidental-au-gout-de-l-etat-danois-mohamed-a-du-demenager_223664?at_campaign=partage_article_app&at_medium=ios
- https://www.rue89lyon.fr/2024/11/28/oqtf-police-frontieres-lyon-comment-pression-accentuee-squats/
- https://basta.media/aires-accueil-gens-du-voyage-femmes-en-lutte-contre-discriminations
- https://www.streetpress.com/sujet/1713362433-gens-voyage-aires-accueil-discrimination-repression-expulsion-metropole-lille
- https://www.revolutionpermanente.fr/Anti-tsiganisme-les-macronistes-veulent-faciliter-les-expulsions-de-gens-du-voyage
- https://www.streetpress.com/sujet/1625476169-collectif-femmes-aire-accueil-hellemmes-ronchin-usine-lutte-gens-voyage-discriminations
- https://www.streetpress.com/sujet/1719319610-antitsiganisme-discrimination-gens-voyage-projet-politique-rassemblement-national-bardella-le-pen-elections-legislatives
Réprimer, menacer, mettre au pas : étude de cas sur Rillieux-la-Pape et les menaces d’expulsions locatives des familles d’émeutiers
1. Que s’est-il passé à Rillieux-la-Pape en octobre-novembre 2024 ?
Le 31 octobre 2024, la police intervient dans le quartier de la Velette à Rillieux-la-Pape, ville située au nord de Lyon, pour mettre fin à un barbecue sauvage. En réaction, des incidents éclatent dès le lendemain et deux bus sont incendiés. Plusieurs personnes mineures sont interpellées par les flics et sont placées en garde-à-vue en attendant d’être jugées en comparution immédiate. Le Sytral annonce suspendre pendant dix jours le passage du bus pour sécuriser les conducteur, et un important dispositif policier est déployé dans le quartier.
Cela aurait pu ressembler à n’importe quel épisode de répression policière à la suite d’émeutes urbaines. Mais la particularité des évènements de Rillieux-la-Pape se situe dans le cadrage politique imposé par le maire de la ville, et son instrumentalisation des faits pour servir un agenda sécuritaire et réactionnaire. Effectivement, suite aux incidents, le maire Horizon de Rillieux-la-Pape, Alexandre Vincendet, annonce dans la foulée vouloir « suspendre les aides municipales » aux familles – des jeunes interpellés – qui refuserait l’accompagnement social. De plus, il indique vouloir convoquer différents bailleurs sociaux de la ville pour réfléchir à « l’expulsion des logements sociaux des délinquants », attribuant la responsabilité de la situation aux parents des mineurs interpellés du fait d’un problème d’ « éducation » et d’ « autorité parentale ».
2. Quel lien avec les émeutes après l’assassinat de Nahel durant l’été 2023 ?
Ces menaces ne viennent pas de nulle part. Vouloir rendre responsable les familles – et surtout celles des quartiers populaires, généralement issues de l’immigration – des actes de leurs enfants est un vieux fantasme de la droite. Déjà en 2022, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin indiquait vouloir la « généralisation des expulsions des familles à problèmes ». Mais c’est notamment après les émeutes suite à la mort de Nahel M. durant l’été 2023 que cette rhétorique s’est imposé dans les discours des maires – notamment de droites –, appuyé au plus haut sommet de l’Etat. Dès le lendemain de ce mouvement de révolte, le ministre de l’Intérieur a transmis une note aux préfètes et préfets leur demandant une « fermeté systématique » afin d’expulser de leurs logements sociaux les « délinquants auteurs de violences urbaines ». C’est ainsi que quelques semaines après les évènements, le Préfet du Val-d’Oise a communiqué sur Twitter avoir procédé à l’expulsion de l’ensemble de la famille d’un jeune interpelé pendant les émeutes de son logement social. Condamné à 12 mois de prison, cette expulsion locative semble s’apparenter à une « double-peine » selon le journal L’Humanité qui dénonce toutes fois la manipulation des faits afin de servir un discours politique réactionnaire : « l’ordre, l’ordre, l’ordre ».
3. Les maires ont-ils le pouvoir d’expulser des familles entières de leur logement social ? Est-ce que cela risque de changer lors d’une prochaine loi sur le logement ?
Manipulation de la réalité, car une procédure d’expulsion locative était déjà engagé contre cette famille avant les révoltes. Face aux critiques, le Préfet du Val-d’Oise a indiqué que la participation de cette personne aux émeutes pour Nahel a seulement accéléré la procédure d’expulsion préexistante, « pour gagner du temps ».
En effet, à ce jour, les maires n’ont pas concrètement le pouvoir légal de faire expulser de leur logement social les familles de jeunes interpellés et condamnés pour des faits de violence ou de délinquance. Néanmoins, le maire de Rillieux a fait voter en mai 2024 lors d’un conseil municipal une délibération lui permettant de couper les aides municipales et d’expulser de leur logement les « familles de mineurs délinquants ». Mais les motifs juridiques semblent fragiles dans la mesure où seul le bailleur – donc ici, le bailleur social – peut expulser des habitant.es de leur logement, mais là aussi sur des critères précis tel que « l’usage détourné du logement » qui semble juridiquement difficile à attribuer à des faits de violence aggravée survenues en dehors du logement. Là encore, le juge des contentieux et de la protection devra statuer sur la légalité de la procédure.
Malheureusement, l’évolution de la Loi en la matière ne semble pas aller en faveur d’un véritable droit indéterminé au logement. Une partie importante de la classe politique, allant du centre libéral à l’extrême droite, souhaite inscrire juridiquement la possibilité d’expulser les familles de jeunes condamnés pour faits de délinquance. Avant la dissolution de l’Assemblée Nationale en juin dernier, entrainant la refonte du gouvernement, c’est l’ex-ministre du logement lui-même, Guillaume Kasbarian (le gars qu’on a retourné sur nos stickers), appuyé par une bonne partie du Sénat, qui souhaitait inscrire cette possibilité dans sa « Loi Kasbarian 2 » qui n’a pu voir le jour. Néanmoins, le rapport de force actuel laisse à présager que ces dispositions seront certainement inscrites dans une future loi sur le logement qui pourrait être adoptée main dans la main entre le centre macroniste et l’extrême-droite du RN. Et la dissolution ou la censure du gouvernement ne risque pas d’y changer grand-chose, à moins qu’un large mouvement de contestation initié par le bas, par les premiers et premières concerné.es, ne poussent les moins déterminés à casser nos droits sur les questions de logement à voter contre.
4. En quoi le cas Rillieux-la-Pape illustre les brèches par lesquelles se diffusent les idées et pratiques fascisantes ?
Face à ces menaces d’expulsion locative, nous avons tenu à nous positionner dans un communiqué public diffusé le 4 novembre 2024 (publié sur Rebellyon : https://rebellyon.info/Menaces-d-expulsions-suite-aux-incidents-26371). D’une part, nous souhaitions rappeler que toute expulsion locative est une violence sociale injuste et inutile qui ne résoudra jamais aucun problème, mais risque au contraire d’enfoncer dans la pauvreté des familles aux situation déjà précaires. D’autre part, nous tenions à dénoncer ces menaces qui si elles étaient concrètement appliquées, constitueraient de véritables « châtiments collectifs » pourtant constitutionnellement prohibés. Enfin, parce que dans le volontarisme affiché par le maire de Rillieux-la-Pape et tant d’autres acteurs politiques à rendre responsable les familles – et en premier lieu celles issues de l’immigration, habitantes de quartiers populaires – des faits de leurs enfants, se cache aujourd’hui une brèche par laquelle s’observe le processus de fascisation, par le sommet même de l’Etat.
En effet, nous l’avons dit, ces menaces d’expulsion locative sont des formes de « châtiments collectifs », pratiques structurantes de la relation entre l’Etat et les quartiers populaires (voir Didier Fassin, Punir, une passion contemporaine, 2017). Ces pratiques participent à fonder l’idée d’une « mauvaise » partie de population qui nuirait à l’existence de la « bonne » partie de la population. Quoi de mieux pour diviser de pénaliser toute la population en coupant les lignes de bus et en pointant du doigts quelques familles qui seraient alors rendues responsables des difficultés de se déplacer, d’aller au travail, à l’école etc. ? Selon nous, ces discours et ses pratiques ne visent qu’une chose : entretenir la stigmatisation des populations racisées issues de l’immigration et la mise au pas de la jeunesse des quartiers populaires (et plus globalement de toute la population). Vous ne souhaitez pas être exclu.e de votre logement social ? Montrez que vous êtes bien « intégré.e » à la société française et affichez fièrement votre adhésion aux valeurs de la République. Telle est la direction que semble prendre le droit à disposer des conquis sociaux en France.
Sources :
- https://www.lyoncapitale.fr/actualite/violences-a-rillieux-alexandre-vincendet-et-abdelkader-lahmar-interpellent-le-ministre-de-l-interieur
- https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/violences-a-rillieux-la-pape-le-maire-menace-de-suspendre-les-aides-municipales-aux-parents-des-emeutiers_6874184.html
- https://rmc.bfmtv.com/actualites/police-justice/gerald-darmanin-veut-generaliser-l-expulsion-des-familles-de-delinquants-de-leur-logement-social_AV-202210210523.html
- https://www.ouest-france.fr/faits-divers/emeutes-urbaines/expulser-les-emeutiers-de-leur-hlm-trois-questions-sur-la-note-aux-prefets-de-gerald-darmanin-25c8973c-48a6-11ee-a179-0f0217016be2
- https://www.humanite.fr/societe/expulsion-locative/double-peine-un-condamne-pour-les-emeutes-suite-a-la-mort-de-nahel-a-ete-expulse-de-son-logement-806932
- https://www.lemonde.fr/politique/video/2023/07/24/apres-les-emeutes-macron-veut-l-ordre-l-ordre-l-ordre_6183194_823448.html
- https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/val-d-oise/expulsion-d-un-emeutier-et-de-sa-famille-dans-le-val-d-oise-ils-n-ont-pas-leur-place-dans-un-logement-social-2829539.html
- https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/le-maire-de-rillieux-la-pape-peut-il-vraiment-expulser-les-familles-de-delinquants-de-leur-logement-social-3056194.html
- https://www.francetvinfo.fr/economie/immobilier/reforme-du-logement/expulsion-des-familles-de-delinquants-des-hlm-le-ministre-veut-renforcer-les-dispositions-et-aller-le-plus-loin-possible-sur-ce-sujet_6526601.html
- https://x.com/droitlogement69/status/1853518111112307023
Chapitre 3 – Débunker les fausses affirmations, lutter contre la remise en question du droit au logementCombattre l’imaginaire collectif construit de toute pièce autour du squat
Lutter contre une politique d’extrême droit en matière de logement, c’est aussi et d’abord combattre les fausses informations véhiculées par les politiciens et les médias. Toujours dans une même logique de déshumanisation, le mythe du squatteur est utilisé pour ancrer dans l’imaginaire collectif une situation très éloignée de la réalité. Le cas soi-disant typique du squat serait celui où de pauvres habitant.es partent en week-end et se retrouvent chassé.es de chez eux par des occupants s’étant introduit par effraction.
En réalité, ce cas n’existe tout simplement pas. Seulement 170 affaires juridiques relatives aux squats en France l’année dernière. C’est seulement 0,005% des logements qui sont squattés et il ne s’agit JAMAIS de logements principaux. Ce sont des bâtiments inutilisés appartenant à des institutions publiques ou des entités privées et, dans une minorité des cas, de résidences secondaires appartenant à des particuliers.
De plus, très souvent, lesdits squatteur.euses faisant l’objet de campagnes médiatiques de désinformation et de déshumanisation sont des locataires arnaqué.es par leurs propriétaires ou par des marchands de sommeil qui louent des logements dont ils ne sont eux-mêmes pas propriétaires, à l’insu des locataires. Les affaires les plus médiatisées ont donné une tribune aux propriétaires qui ont craché leur venin et menti ouvertement. Cela a même parfois donné lieu au lynchage des squatteur.euses. Pourtant, à chaque fois, une enquête plus poussée a montré que ces squatteur.euses étaient légalement arrivé.es dans le logement, ou avaient été victime d’une escroquerie.
La culpabilité est pourtant toujours remise sur les squatteur.euses et jamais sur les propriétaires, qui ont souvent recours à des manœuvres malhonnêtes. Ces derniers se permettent d’augmenter les loyers en dehors de tout cadre légal, de louer des logements insalubres, de réclamer des garanties abusives, d’imposer des obligations illégales aux locataires. Bénéficiant de plus de moyen financier, ils savent qu’ils pourront assumer les frais de justice et découragent ainsi les locataires abusé.es de se défendre.
Quand l’Etat organise la "crise du logement" et ignore ses racines structurelles
Le dernier rapport de l’INSEE recense 3,1 Millions de logement vacants et 3,7 millions de propriétés secondaires des chiffres ridiculement gros comparés aux 330 000 personnes sans domiciles fixes (comprenant les personnes vivant à la rue et les personnes bénéficiant d’hébergements temporaires). Entre 2005 et 2023, le nombre de logements vacants a progressé 2,3 fois plus vite que le nombre de logement total malgré ça, les discours politiques, avec la complicité des médias, s’acharnent à faire peser le poids de la crise du logement sur des personnes précaires, mal logées, et souvent sans papier (donc plus exposée à la répression et moins capables de se défendre juridiquement). Au lieu de s’attaquer aux causes de la crise du logement : l’immobilier lucratif qui permet à une minorité de s’enrichir sur le besoin d’être abrité, en volant les gens privés d’accès à la propriété.
La spéculation immobilière a engendré une augmentation de 130% des prix de l’immobiliers ces 12 dernières années. Le foncier est vu comme un produit financier, les grands acteurs sont en compétition pour avoir le plus d’investissements immobiliers stables et faire fructifier leur argent. Ils achètent des bâtiments, des logements voire des quartiers comme ils achèteraient des actions. Pour que ces investissements apportent du profit, les investisseurs ont tout intérêt à ce que le prix du m2 augmente. Des travaux de rénovation urbaine ou des nouvelles infrastructures sont même financées dans le seul but de faire augmenter le prix de l’immobilier. Les lieux de vie et d’organisation commune deviennent des placements financiers pour bourgeois. Ces derniers remodèlent nos espaces de vies pour servir leur intérêts, sans se soucier du sort des habitants.
En parallèle, les multipropriétaires ont de plus en plus recours à des plateformes de locations à courte durée comme Airbnb ou Booking. Ces biens immobiliers étaient autrefois destinés à la location des habitants de la ville. Ils deviennent aujourd’hui des locations destinées aux touristes et permettent aux propriétaires de faire plus de profit en proposant des tarifs plus élevés à la nuit ou à la semaine qu’au mois. La multiplication des logements type Airbnb conduit inévitablement à raréfier l’offre sur le marché de la location, donc à faire monter les loyers, donc à chasser les habitants de leurs lieux de vie. Airbnb et cie. sont des acteurs importants de la gentrification et contribue à remplacer les habitants par des touristes, délocalisant progressivement les habitant.es en dehors de leur ville.
De manière plus générale, la multipropriété est un fléau pour les habitant.es qui ne sont pas propriétaires. En France 24% des propriétaires détiennent 68% des logements particuliers. Les locataires sont dépendants de ces propriétaires. Une minorité détient de la majorité des logements et se permet d’en jouer pour fixer leur prix, imposer leur condition et choisir qui aura accès à un logement contre rémunération et qui sera laissé sur le carreau.
La défense de la propriété privée au prix de vies humaines et d’une intox constante
Pour éviter de questionner ces mécanismes et de pointer du doigt le problème que représente la propriété privée, l’État préfère s’attaquer aux victimes de la crise du logement. Ce dernier ne se fait pas prier pour jouer sur des imaginaires racistes et stigmatiser des populations discriminées. Cela lui permet d’obtenir le « soutien » de l’opinion public, en diabolisant les mal logé.es et en poussant sous les rails les personnes dans les situations les plus précaires : les sans-papiers. Toutes les formes d’occupation permettant à des personnes sans-abris et en grande précarité de se loger sont présentées comme des intrusions forcées, parfois violentes, qui nuisent à d’autres personnes. La réalité est tout autre, vivre en squat n’est pas synonyme de confort, et encore moins de vol. Les voleurs, ce sont celles et ceux qui participent directement ou indirectement à la crise du logement pour s’enrichir sur le dos des plus précaires.
Que faire pour lutter contre le mal-logement et les discours d’extrême droit sur le sujet ?
Pour lutter contre le mal logement, la première étape est donc de s’informer et d’avoir conscience de la réalité des choses pour mieux combattre les mensonges diffusés par les médias et les discours des politiciens.
La seconde étape est de s’engager dans des collectifs de luttes pour le logement, indépendants et autonomes sur Lyon ou près de chez toi, mais aussi dans les collectifs en lutte contre la criminalisation des squats et des personnes sans-papiers.
Sources :
- INSEE, Le parc de logement au 1er janvier 2024
- La France compte près de 300 000 sans-domicile-fixe, selon la Fondation Abbé Pierre », Le Monde.fr, 15 novembre 2020
- Insee Première • n° 1979 • janvier 2024
- Rapport annuel Fondation Abbé Pierre de 2022
- INSEE, France, Portrait social, éditions 2021
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