Nuit de la solidarité : l’indécence de la ville de Lyon

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Quelques réflexions suite à la nuit de la « solidarité » qui a eu lieu le jeudi 20 janvier. Une vaste opération d’enfumage médiatique orchestrée sous couvert de préoccupation pour les personnes qui vivent à la rue.

Jeudi 20 janvier a eu lieu à Lyon et dans d’autres grandes villes de France la nuit de la « solidarité ».

Très fier.e.s de leur opération, voici comment les élu.e.s lyonnais.es en parlent sur le site de la ville :

Pour élaborer des solutions, il faut d’abord identifier les problèmes. La Nuit de la Solidarité, le 20 janvier, va dans ce sens.
Cette opération consiste à réaliser un décompte des personnes sans-abri en l’espace d’une nuit et à recueillir des informations auprès d’elles. La Ville de Lyon s’inscrit dans cette démarche pour la première fois. Elle est menée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), épaulé par des associations.
L’objectif est de mieux connaître le nombre, le profil et les besoins des hommes et des femmes, parfois avec enfants, qui vivent dans la rue. Les données recueillies seront traitées et analysées par un comité scientifique.
Elles serviront de base à l’ajustement des politiques publiques en fonction des situations identifiées.

Site de la ville de Lyon

L’accès à hébergement et au logement pour toutes et tous est une compétence de l’État, pas des municipalités. Cette précision est importante : la ville peut bien tenir tous les discours qu’elle souhaite, au moment d’agir les dirigeant.e.s savent qu’ils et elles ont une carte joker dans la poche, celle de qui leur permettra de justifier leur inaction en revoyant la balle à l’État. Nous y reviendrons. Rappelons aussi que le droit au logement et à l’hébergement est inscrit dans la loi :

Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence

Article L345-2-2 du Code de l’action et des familles.
Il s’ajoute à cela la célèbre loi DALO (Droit au Logement Opposable) qui en plus de rappeler ses obligations à l’Etat, permet aux personnes concernées de l’attaquer en justice.

Ceci posé, pourquoi la nuit de « solidarité » n’est-elle qu’une opération d’enfumage ?

Des chiffres déjà connus

Décompter les personnes sans abri est absolument inutile, car il s’agit de chiffres déjà connus. En effet les SIAO (Services Intégrés de l’Accueil et de l’Orientation) ont pour missions de recueillir les demandes d’hébergements des personnes. A Lyon, c’est Maison de la Veille Sociale (MVS) qui fait fonction de SIAO. Les pouvoirs publics ont accès à de nombreux chiffres comme le nombre de demandes en cours, les compositions familiales, les temps d’attentes, etc. Dernièrement entre 8 et 10 000 personnes étaient en demande d’hébergement, et les temps d’attente ne cessent de se rallonger (presque toujours supérieurs à 6 mois, pouvant aller jusqu’à plusieurs années).
Concernant les personnes en cours de demande d’asile, c’est l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) qui a la charge de loger les personnes avec l’efficacité que l’on connaît. Mais l’OFII dispose évidemment de tous les chiffres dont les élue.e.s pourraient avoir besoin.
Par ailleurs, il y a quelques personnes (une très faible minorité malgré ce que racontent nombre de politicien.ne.s) qui vivent à la rue, sans pour autant souhaiter obtenir un logement ou un hébergement. Mais ces personnes sont souvent connues de professionnel.le.s, qui transmettent eux aussi les statistiques (anonymisées) des rencontres qu’ils et elles font en travaillant, et cela au quotidien, pas seulement une nuit l’hiver.
Cette opération de décompte n’a aucun intérêt réel, car les chiffres sont déjà connus des pouvoirs publics et ce depuis de nombreuses années. Rajouter une nuit de comptage a donc essentiellement une portée médiatique.

Une méthode prévue pour trouver le moins de personnes possible

L’autre intérêt pour la ville de Lyon est pouvoir minimiser les chiffres. Car ce décompte en une nuit ne permet pas de voir toutes les personnes qui dorment à la rue. D’ailleurs il semblerait que seulement 205 personnes aient été comptées. Franchement il était vraiment difficile de faire moins.
Ne nous leurrons pas, c’était bien là le véritable objectif de ce décompte. Notons par ailleurs qu’il a été organisé en hiver, période où quelques centaines de places sont ouvertes dans le cadre du plan froid. Lequel plan froid qui disparaîtra bientôt car l’État n’en veut plus, mais sans donner en échange des places d’hébergement pérennes.
L’hiver est aussi la saison où il fait froid (il semble nécessaire de le rappeler à la mairie). En hiver moins de gens dorment dehors, car les personnes vont plus souvent chercher à se protéger de la météo en ne restant pas directement sur l’espace public (en allant par exemple dans des allées, des squats éphémères etc.)
On peut aussi se questionner sur cette façon de faire qui consiste à envoyer des bénévoles aller emmerder des personnes la nuit sur le lieu de vie pour leur demander combien elles sont, et de quoi elles ont besoin sans avoir les moyens d’y répondre. Personne n’aime être dérangé chez lui/elle et encore moins la nuit. Et ce constat vaut aussi les personnes qui dorment à la rue.

Une armée de bénévoles et l’INSEE pour mieux faire semblant de ne rien comprendre

C’est peut-être là que l’indécence de la ville se voit le plus. Pour prétendre organiser une nuit de la « solidarité » afin de mieux connaître les besoins des personnes vivant dehors, il faut quand même un sacré culot. Prenons une minute pour expliquer ceci aux technocrates de tous poils : le problème commun des personnes qui vivent à la rue est qu’elles n’ont pas d’autre endroit où aller. Il est insupportable d’entendre des politiques nous vendre un énième diagnostique pour « mieux mener les politiques publiques » alors qu’ils et elles ne visent clairement qu’à faire semblant de s’intéresser à la question. Depuis des années la principale revendication portées par les collectifs et certaines associations est la même : la création massive de places d’hébergement et de logements à destination des plus précaires.
Précisons aussi qu’il suffit de recueillir les envies des personnes lorsqu’elles se rendent à la MVS pour demander une solution que le droit leur garantit. On y voit bien plus de monde que dans la rue, et c’est un lieu plus digne pour recueillir des demandes (ceci, soyons honnêtes est déjà partiellement fait)

Compter les personnes sans abri : et les autres ?

La nuit de la « solidarité » a pour but de comptabiliser les personnes qui dorment à la rue. Mais ce faisant, elle permet aussi d’invisibiliser des personnes en situation de grande précarité mais qui dorment dans d’autres lieux. Ainsi les personnes qui vivent en squat, les personnes hébergées par des potes, qui louent par qu’elles n’ont pas le choix un lieu insalubre à des marchand.e.s de sommeil, ou qui se retrouvent contraintes à des accords forcés avec des exploiteurs ne sont pas visibles dans le décompte. Pourtant elles existent, et leurs difficultés sont la faute d’un État qui n’en a rien faire de leur permettre d’habiter autrement. Le mal-logement ne se limite pas au sans-abrisme.

Un pseudo-réveil de la conscience citoyenne portée par la charité

L’éveil des consciences citoyennes est l’argument avancé par la ville pour recruter des bénévoles. Mais soyons réalistes : toute personne vivant à Lyon qui est déjà sortie de chez elle a vu nombre de personnes contraintes de dormir à la rue. Ce n’est pas une nuit qui changera quoi que ce soit. Et il est fatiguant d’entendre ce mot de « solidarité » ânonné à tout bout de champ, pour promouvoir des opérations qui ne reposent en réalité que sur la charité. L’idée n’est pas de s’en prendre aux bénévoles qui n’ont pas nécessairement (et il n’y a pas de raison de leur reprocher) les éléments de compréhension de l’action qu’ils et elles ont mené.e.s. Nous voulons plutôt rappeler que la solidarité dans le système dans lequel nous vivons doit être prise en charge par les services publics au nom de toutes et tous. Si vraiment la situation des personnes vivant à la rue leur tenait tant à cœur, nos dirigeant.e.s auraient par exemple pu le signifier en salariant (même pour une nuit) les personnes qui ont participé à cette opération. Du fric il y en a pour mettre des keufs à la Guillotière, beaucoup moins quand il s’agit de se soucier des personnes en situation de précarité.

Si la ville est dirigée par des personnes, sa communication est au service d’un parti

Car c’est bien liste Europe Écologie Les Verts (EELV) qui a été élue lors des dernières élections municipales. Si on voit du monde pour aller donner des interviews aux journalistes de cour (pensons au progrès ou Lyon capitale), quand il s’agit de mettre la pression à l’échelle nationale pour lutter contre le sans-abrisme il n’y a plus personne. Pourtant EELV dispose d’un temps de parole plus que conséquent en cette période de campagne. Alors plutôt que d’organiser des nuits inutiles et indécentes, utilisez votre temps pour mettre sur le devant de la scène la question de la grande précarité. Ça nous fera des vacances du fascisme ambiant.


Pour conclure, ne remercions pas la ville de Lyon pour son opération médiatique. Il est indécent de s’acheter une belle image à bas coût sur le dos de précaires. Votre cynisme n’est pas supportable.
Heureusement, il y a des personnes, des collectifs et des professionnel.le.s qui se battent au quotidien, chacun.e.s avec leurs armes pour aider à défendre les droits des personnes invisibilisées.

N’oublions jamais que pendant que la Ville parade sur Twitter, des personnes souffrent au quotidien de leurs conditions d’existence, obligées de dormir à la rue dans des conditions indignes à cause de dirigeant.e.s qui n’en rien à foutre d’elles.

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