Ma détention provisoire #3. « Le travail, mine de rien, ça t’occupe »

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Partir en détention provisoire ou être condamné à de la prison ferme avec mandat de dépôt, c’est dur et potentiellement traumatisant. Du jour au lendemain, ta vie bascule. Et pour celles et ceux qui y font face pour la première fois, c’est un plongeon dans l’inconnu. Souvent, on est mal préparé à l’incarcération d’un proche ou à la sienne. On connaît mal l’univers carcéral, son mode de fonctionnement. Recueillis par la Caisse de Solidarité, les extraits d’entretien proposés ici visent à combler un tant soit peu cette lacune.

Kevin a été arrêté lors d’une charge policière en manifestation. Il est resté une dizaine de jours en détention provisoire puis il a été libéré. A son procès, il a même été acquitté de la plupart des faits qui lui étaient reprochés. Il nous raconte son arrivée à la maison d’arrêt, les relations avec les matons, comment communiquer avec l’extérieur ou encore l’importance du shit à l’intérieur de la prison. Il nous parle aussi solidarité entre détenus et nous livre des trucs et astuces pour créer des brèches malgré tout.
Les informations réunies ici sont parcellaires et situées : elles sont liées à la prison de Lyon-Corbas (toutes les prisons ont des règlements intérieurs spécifiques) et son expérience de détention plutôt courte ne concerne que le quartier des arrivants.
Chaque lundi pendant six semaines, nous publierons un extrait de cet entretien. Aujourd’hui, on plonge au coeur du quotidien carcéral avec l’organisation par bâtiment de la taule, le travail et les quelques activités qui permettent de tuer le temps.

Globalement quand j’étais enfermé, je ne savais pas combien il y avait de gens [1]. Estimer quand tu n’es resté qu’au quartier des arrivants, c’est compliqué. Il y a deux étages, divisés en deux ailes et par demi étage tu as douze cellules de deux à trois détenus. Ça fait une grosse centaine de détenus. Les chiffres que j’ai trouvé sur internet pour la totalité de la prison parlent de neuf cent personnes. Soit un taux d’occupation de plus de 130 %. En fait, ils ne s’en cachent pas trop parce que même pour les matons c’est insupportable. Avec la surpopulation carcérale, il y a plus d’embrouilles, de tensions, et ça leur fait plus de taff, donc ça ne les arrange pas trop. Et même la cheffe des matons, bon elle son rôle était de faire copain-copain avec les détenus, elle m’a dit clairement « moi ça me fait chier, j’en ai ras le cul, je m’étais promis de ne plus vivre ça, faire dormir des gens par terre ça me saoule ». Et plutôt que de revendiquer une baisse des incarcérations, une de leurs revendications principales est qu’il y ait plus de matons et plus de prisons.

Dès mon arrivée, ils m’ont montré le catalogue des activités qui étaient proposées. En temps normal, il y a différents ateliers, la salle de sport, la bibliothèque, des activités culturelles, des cours de cuisine. Il y avait même des cours de conception de produits d’entretien à partir de produits écolos ! D’ailleurs pour la nourriture, tous les plats sont servis dans des barquettes en plastique à usage unique et à côté de ça, ils se la jouent écolo-greenwashing !
Mais moi, je n’ai pas eu d’activités à cause du Covid. Les seules choses accessibles étaient la promenade ou le terrain de foot. Et le terrain de foot, c’est qu’une fois qu’un bâtiment [2] définitif t’a été attribué, pas quand tu es aux arrivants. Il ne restait donc que la promenade. La partie abritée de la promenade ne l’est que grâce à une fantaisie architecturale des concepteurs du bâtiment. S’il pleut tu es sous la pluie, s’il fait plein cagnard tu te mets à l’ombre du mur ou tu restes en plein cagnard.

Les formations, c’est que des trucs professionnels. Moi ils m’ont dit « on a pas grand-chose à vous proposer comme vous avez déjà le brevet ». Là j’ai déplané. C’est encore une fois à cause du contexte Covid qu’il y a moins d’intervenants, donc moins de possibilités. J’avais quand même réussi à postuler à une formation pour créer des pages de sites web. C’est le seul truc vaguement poussé qu’ils proposaient. Sinon, c’est plutôt orienté manuel ou alphabétisation.
Niveau travail, ce qu’ils te proposent c’est tout ce qui permet de faire tourner une prison. On appelle ce genre de poste « auxi », pour auxiliaire de l’Administration Pénitentiaire. Il y a la cantine avec la préparation des commandes pour les détenus, le ménage, la distribution de la bouffe, ceux qui préparent à manger, la blanchisserie, l’entretien. On m’a pas proposé d’usiner. Comme il y a beaucoup de nouveaux arrivants et qu’il y a peu de place pour travailler, peu de gens peuvent bosser pour cantiner d’eux-mêmes. Il y a une longue liste d’attente du coup.
Quand tu es auxi, tu as un salaire mais c’est miséreux. Le maximum que tu peux te faire c’est trois cent à trois cents cinquante euros par mois si tu fais un trente-cinq heures. C’est de l’esclavagisme dissimulé. Comme tu es en prison ça justifie le fait qu’on peut t’exploiter.

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Le travail, mine de rien, ça t’occupe et trois cents cinquante euros pour cantiner c’est quand même bien. Ça t’offre aussi accès à des quartiers d’emprisonnement plus tranquilles. Parce que si tu montres que tu es travailleur et que tu es calme, on va te mettre par exemple à MAH3 ou MAH2. C’est un peu la bataille pour obtenir une place.
À MAH2, il y a le quartier spécifique pour les agressions sexuelles. Là-bas, ça reste assez tranquille. MAH3 aussi, c’est les « longues peines ». Des gens qui savent qu’ils vont rester là pendant longtemps et qui ne veulent pas s’attirer plus d’emmerdes, qui travaillent aussi, donc c’est beaucoup d’anciens. Il y a des peines qui vont jusqu’à cinq et même huit ans, alors que c’est une maison d’arrêt [3].
MAH1, c’est plutôt les courtes peines et ceux qui foutent le bordel. Eux n’avaient que trois heures de promenade dans la journée, une heure trente le matin, une heure trente l’après-midi. MAH2, c’est pareil je crois. Trois heures de promenade et rien d’autre à part les ateliers ou le sport, si tu en as. Et le mitard, le quartier disciplinaire, est en MAH3 si je dis pas de conneries. Le quartier d’isolement [4] est en dessous, dans le même bâtiment. À part au niveau de l’infirmerie, il n’y a aucune porosité entre le quartier femmes et ceux des hommes.
J’ai pas connu les prisons vétustes. Sauf la vieille prison de Saint Paul que j’ai visité quand elle était vide, du coup je vois un peu. Moi, je suis content d’avoir été à Corbas. Nous on avait des fenêtres qui fermaient, c’est pas rien. Ils ont posé de nouvelles grilles pour éviter qu’on se fasse passer des trucs trop gros avec les yoyos. Mais bon, ça n’empêche pas trop de communiquer. Avant,c’était des barreaux et maintenant ils ont mis une grille avec des petits rectangles. Même un paquet d’indus tu ne peux plus le faire passer. Mais même comme ça on arrivait à se faire passer ce qu’on voulait avec les yoyos. Les gens communiquent par les fenêtres, ça beugle en permanence.

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Il y a des trucs qui m’ont agréablement surpris quand même. J’ai passé une semaine et demi à me dire « bon c’est une expérience sociale » et pas « je suis enfermé, je sais pas quand je vais sortir ». J’avais moins cette pression que peuvent vivre ceux qui savent qu’ils vont rester longtemps. Mais ça n’en reste pas moins un enfermement avec tout ce que ça a de négatif. Quand tu es dans un lieu qui suinte la misère, l’enfermement, parfois la violence, mais qu’au final il y a aussi tellement de solidarité, de beauté et de lumière qui ressort des humains qui sont dedans, ça contrebalance fortement.

* * *

Les précédents témoignages de la série « Ma détention provisoire » peuvent être (re)lus ici :

Notes

[1Généralement, au tribunal de Lyon, les gens condamnés les lundi-mardi-mercredi à être incarcérés sont envoyé à la prison de Corbas et ceux le jeudi-vendredi à la prison de Villefranche.

[2à la prison de Corbas, il existe trois bâtiments pour les hommes (MAH1, MAH2, MAH3) et un pour les femmes (MAF)

[3Sous l’appellation générale de « prison », il faut distinguer les Maison d’arrêt généralement réservées aux « courtes peines » et les Centres de détention et les Maisons centrales pour les peines plus longues.

[4Où sont regroupés les DPS : les détenus particulièrement surveillés.

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