Dans la nuit du 22 au 23 août 1927, les anarchistes Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti sont éxécutés

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Almanach de Myrelingues

En 1920, la Peur rouge touche les États-Unis. Face à la révolution qui gronde, face aux grèves massives et aux attaques ciblées contre les représentants et protecteurs de la bourgeoisie et de l’État, la contre attaque sera rude. Les anarchistes Sacco et Vanzetti deviendront le symbole de cette répression politique durant une affaire qui s’étalera sur plus de 7 années. Engendrant un retentissement international, elle provoquera grèves, émeutes, attentats partout dans le monde en soutien aux camarades Sacco et Vanzetti.


Index :
- Le contexte étasunien durant les années 1920
- Biographie de Nicola Sacco
- Biographie de Bartolomeo Vanzetti
- L’affaire Sacco & Vanzetti
- Mouvement international de soutien
- L’exécution
- Réaction des anarchistes, socialistes et communistes du monde entier
- Mémoires, hommages et réhabilitation
- Victimes de la terreur d’État


Le contexte étasunien durant les années 1920

Les années qui suivent la fin de la Première Guerre mondiale sont difficiles aux États-Unis. La fin du dirigisme étatique mis en place en 1917 lors de la Première Guerre mondiale, la reconversion de l’économie et l’inflation provoquent une crise sociale qui favorise la montée du syndicalisme révolutionnaire. De nombreuses grèves éclatent dans tout le pays et les conflits sociaux sont de plus en plus violents. En 1919, on recense 4,1 millions de grévistes qui réclament de meilleurs salaires et une réduction du temps de travail. Suite à l’assassinat de William McKinley, président des États-Unis, le 6 septembre 1901 par l’anarchiste Léon Czolgosz, les milieux anarchistes sont surveillés par la police et sont reconnus comme une menace pour l’État et la bourgeoisie. Beaucoup d’anarchistes sont alors tentés par la clandestinité et la propagande par le fait. Ainsi le soir du 2 juin 1919, les galléanistes, mouvement anarchiste insurrectionnaliste inspiré des idées de Luigi Galleani, réussissent à faire exploser neuf puissantes bombes presque simultanément dans huit villes des États-Unis. Ces attaques visent des responsables gouvernementaux ayant endossé les lois anti-sédition et l’expulsion d’immigrés soupçonnés de crimes ou associés à des mouvements politiques révolutionnaires, ainsi que des juges ayant condamné des anarchistes à des peines de prison. Les cibles étaient une église catholique, Harry Klotz, un industriel de la soie, le maire de Cleveland Harry L. Davis, le juge Albert F Hayden de Boston, le représentant de l’État du Massachusetts Leland Powers, le juge fédéral de Pittsburgh W. H. S. Thompson, le chef de l’immigration à Pittsburgh W.W. Sibray, le juge de New York Charles C. Nott et le procureur général à Washington D.C. A. Mitchell Palmer.

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L’État et la bourgeoisie étasunienne prennent des mesures de répression contre les anarchistes, mais aussi contre les communistes et les socialistes étasuniens. Car depuis la révolution russe de 1917, la peur d’une contagion révolutionnaire est prégnante au sein des classes dirigeantes et la répression contre toute menace populaire potentielle est sans précédent. C’est dans ce contexte que le jeune J. Edgar Hoover fait ses premières armes dans le fichage de masse au sein du Bureau of Investigation, l’ancêtre du FBI. La répression contre les militants politiques de gauche est éclectique, certains sont emprisonnés, d’autres contraints de s’exiler. La presse bourgeoise emboîte le pas et abreuve la population de clichés xénophobes et nationalistes, discréditant les mouvements syndicaux par une rhétorique nauséabonde et agressive. Rapidement, l’opinion publique amalgame les grévistes, les étrangers et « les Rouges ». Cette période est connue sous le terme de première « Peur rouge ».

Biographie de Nicola Sacco

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Le 22 avril 1891, naissance de Ferdinando Sacco [1], dit Nicola Sacco, à Torremaggiore, province des Pouilles (Italie). En 1908, âgé de 17 ans, il émigre à Boston, aux USA, où il trouve un emploi d’ouvrier dans la métallurgie, puis dans l’industrie de la chaussure. D’abord socialiste, il rejoint en 1913 le cercle anarchiste d’Études Sociales où il participe avec sa compagne aux activités politiques ou culturelles du groupe (jouant des pièces de théâtre). En 1916, lors d’une manifestation de soutien à la grève de Mesabi Range, dans le Minnesota, il est arrêté avec les compagnons du Cercle social. Condamné pour trouble à l’ordre public, il sera finalement gracié en appel.
En 1917, les États-Unis entrent dans le conflit mondial. Pour échapper à la mobilisation, Sacco se réfugie au Mexique avec une trentaine d’insoumis, dont Bartolomeo Vanzetti, dont il fait la connaissance. Sacco rentre trois mois plus tard aux États-Unis sous un faux nom.

Biographie de Bartolomeo Vanzetti

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Le 11 juin 1888, naissance de Bartolomeo Vanzetti [2], à Villafalletto dans le Piémont italien. Né dans une modeste famille, il est placé en apprentissage chez un pâtissier à l’âge de 13 ans. Exploité, vivant dans des conditions misérables, il tombe malade. Après le décès de sa mère, il part pour les États-Unis le 9 juin 1908. A New-York, il partage la misère des émigrants, exerce divers boulots et devient anarchiste vers 1913. Il s’installe ensuite à Plymouth, et travaille à la « Cordage Company » où il participe, avec l’anarchiste Luigi Galleani, à une grève d’un mois, début 1916. Désigné comme meneur, il est placé sur les listes noires du patronat. Il se fait alors marchand de poisson ambulant.
Le 5 mai 1917, il obtient la citoyenneté étasunienne, mais l’obligation de s’inscrire en vue de la future mobilisation est votée le même mois. Pour y échapper, il décide avec une trentaine d’anarchistes de se réfugier au Mexique ; il y fait la connaissance de Nicola Sacco. Mais après quelques mois, il retourne à Plymouth, alors que la répression s’intensifie contre les réfractaires et les anarchistes.

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L’affaire Sacco & Vanzetti

L’affaire démarre lorsque deux braquages ont lieu, le 24 décembre 1919 à Bridgewater, et le 15 avril 1920 à South Braintree, durant lesquels deux convoyeurs sont tués. Rapidement, suite à des informations fournies par le le Service fédéral de l’immigration (FIS), la police soupçonne deux anarchistes : Mario Buda et Ferruccio Coacci. Coacci avait travaillé pour les deux usines de chaussures volées, il possédait une arme similaire à celle utilisée durant le second braquage et il n’avait pas d’alibi. Mais Coacci prit rapidement la fuite pour l’Italie avec sa famille et ses biens, quand à Mario Buda, il disparaît dans la nature lui aussi. Il ne refera surface qu’en 1928 en Italie, soit un an après l’exécution de Sacco et Vanzetti. Alors qu’il surveille un garage où se trouve la voiture en réparation de Mario Buda, la police repère deux autres anarchistes connus de leurs services. Sacco et Vanzetti sont rapidement arrêtés dans un tramway alors qu’ils quittent les lieux. Lorsqu’ils sont fouillés par la police, Sacco avait un passeport italien, de la littérature anarchiste et un pistolet automatique chargé 32 Colt, modèle 1903, le même modèle que lors du second braquage. La police inculpe les deux anarchistes pour les deux braquages sur ces simples preuves : c’est le début de l’affaire "Sacco et Vanzetti".

La machine judiciaire se met en marche. Le 16 août 1920, Vanzetti seul est condamné pour le premier braquage à 15 ans de prison. Le second procès qui se clôt le 14 juillet 1921 les condamne tous les deux à la peine capitale pour les crimes de South Braintree, malgré le manque de preuves formelles. Le juge Webster Thayer en charge du premier procès, et qui sera le juge en charge des demandes d’appels dans un manque de neutralité flagrant, déclare à la presse détester les anarchistes. À la suite de leur inculpation, des galléanistes et des anarchistes aux États-Unis et à l’étranger ont lancé une campagne de représailles violentes. Deux jours plus tard, le 16 septembre 1920, Mario Buda aurait orchestré un attentat à la bombe à Wall Street, faisant 38 morts et 13 blessés. À quelques rues de là, un postier trouve une pile de tracts signés « Les Combattants anarchistes américains » et portant l’avertissement suivant : « Libérez les prisonniers politiques ou bien aucun de vous n’échappera à la mort ! ». En 1921, une bombe piégée envoyée à l’ambassadeur étasunien à Paris explose, blessant son valet de chambre. Au cours des six prochaines années, des bombes explosent dans d’autres ambassades étasuniennes dans de nombreux pays.

Rapidement, des comités de défense se mettent en place dans le monde entier pour sensibiliser l’opinion sur cette injustice. De même que Sacco en 1923, Vanzetti est placé début 1925 en hôpital psychiatrique augmentant ainsi leur isolement et discréditant leur propos. Malgré le mouvement international de soutien, le 12 mai 1926, leur condamnation à mort est confirmée. Le 26 mai, un prisonnier dénommé Madeiros avoue de sa prison être l’auteur du braquage de South Braintree, mais le juge Thayer refuse de ré-ouvrir le dossier. Alors que la mobilisation internationale augmente en intensité, et alors même que l’exécution a été repoussée à plusieurs reprises, Nicola Sacco, Bartolomeo Vanzetti et Celestino Madeiros finissent par être exécutés sur la chaise électrique dans la nuit du 22 au 23 août 1927, suscitant une immense colère au sein de nombreux soutiens nationaux et internationaux de Sacco et Vanzetti.

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Mouvement international de soutien

Dès l’annonce des premiers verdicts, et la probable condamnation à mort qui les accompagnait, il y eut un mouvement de réaction dans l’opinion internationale. Des manifestations ont lieu dans 60 villes italiennes, et un flot de courriers est envoyé à l’ambassade étasunienne à Paris. Des manifestations suivent dans un certain nombre de villes d’Amérique latine. Anatole France, vétéran de la campagne pour Alfred Dreyfus et récipiendaire du prix Nobel de littérature de 1921, a écrit un "Appel au peuple américain" : « La mort de Sacco et de Vanzetti en fera des martyrs et vous couvrira de honte. Vous êtes un grand peuple. Vous devez être un peuple juste ». Parmi les personnes célèbres ayant apporté leur soutien à Sacco et Vanzetti, figuraient Albert Einstein, George Bernard Shaw et H. G. Wells. Durant les sept années qui séparèrent la condamnation et la mise à mort de Sacco et Vanzetti, de nombreuses grèves, manifestations et attentats de représailles eurent lieu aux différents moments clefs du procès.

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Tandis que le risque d’exécution de Sacco et Vanzetti se rapproche, un cortège auquel s’était joint Luigia Vanzetti (sœur du condamné) rassemble plus de 100 000 personnes à Paris, le 7 août 1927. Il est fortement encadré par d’imposantes forces de police. Un appel est lancé pour une grève de 24 heures le lendemain. Le 8, 9 et 10 août 1927, l’exécution de Sacco et Vanzetti prévue à la date du 10 août suscite à travers le monde de nombreuses manifestations de colère : à Chicago la grève générale est suivie par 16 000 ouvriers. A la sortie du meeting, une jeune anarchiste italienne de 16 ans nommée Aurora d’Angelo, prend la tête d’un cortège de quatre mille personnes. La police utilise des gaz lacrymogènes et procède à 76 arrestations dont Aurora (qui refusera lors de son procès l’aide d’un avocat). A New York, la grève est suivie par 150 000 personnes (selon la police). De même à Montevideo (Uruguay), à Asuncion (Paraguay), à Bruxelles, Londres ou Paris. Des bombes explosent à Bâle (Suisse), à Sofia (Bulgarie) le 11 août, ou sont découvertes à Chicago et Londres. C’est un immense vent de contestation qui se lève contre l’arbitraire de la répression. [3]

L’exécution

Au final, dans la nuit du 22 au 23 août 1927, les anarchistes Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti sont exécutés.

Au salon funéraire Langone, dans le nord de Boston, plus de 10 000 personnes en deuil ont vu Sacco et Vanzetti dans des cercueils ouverts pendant deux jours. Au salon des funérailles, une couronne sur les cercueils annonce en italien : « Attesa l’ora della vendetta » (En attendant l’heure de la vengeance). Le dimanche 28 août, un cortège funèbre de deux heures, avec d’immenses hommages floraux, traverse la ville. Des milliers de marcheurs prennent part à la procession et plus de 200 000 personnes sortent pour regarder. Les corbillards atteignent le cimetière de Forest Hills où, après un bref éloge, les corps sont incinérés. Le Boston Globe qualifie la scène de « l’une des funérailles les plus extraordinaires des temps modernes », Will H. Hays, chef de l’organisation de l’industrie cinématographique, a ordonné la destruction de tous les films du cortège funèbre. Les deux anarchistes étaient à peine morts que commençait déjà la guerre de la mémoire.

Les cendres de Sacco ont été envoyées à Torremaggiore, sa ville natale, où elles sont enterrées au pied d’un monument érigé en 1998. Les cendres de Vanzetti ont été enterrées avec sa mère à Villafalletto. Depuis 2009, les deux petites villes italiennes de Torremaggiore (17.000 habitants) et Villafalletto (3.000 habitants) sont jumelées et des évènements sont régulièrement réalisés en la mémoire de Sacco et Vanzetti [4].

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Réaction des anarchistes, socialistes et communistes du monde entier

Le lendemain de l’exécution, de violentes manifestations ont balayé de nombreuses villes à travers le monde, notamment Genève, Londres, Amsterdam et Tokyo. En Amérique du Sud, des grèves sauvages ferment des usines. Des émeutes ont lieu en Allemagne et des manifestants brûlent la bannière étoilée devant l’ambassade étasunienne à Johannesburg.

A Paris, divers groupes de communistes et d’anarchistes déclenchent une violente émeute. Sur les grands boulevards et la butte Montmartre, ils attaquent 114 magasins, dont 17 sont victimes de vols. Des barricades sont érigées dans les rues et des réverbères sont arrachés et lancés dans les vitrines. La tombe du soldat inconnu, sous l’Arc de triomphe, est profanée. 330 policiers sont blessés, dont 10 grièvement et 200 personnes sont arrêtées. [5] L’émeute est si violente que rapidement une union se forme des radicaux de gauche à l’extrême-droite. L’épisode de la profanation de la tombe du soldat inconnu sera d’ailleurs un élément fondateur des Croix de feu. Une politique répressive se met en place, et rapidement la direction du Parti Communiste condamne les violences qu’elle attribue à des agents provocateurs.

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En Argentine, seulement quelques heures après la condamnation à mort de Sacco et Vanzetti, l’anarchiste italien Severino Di Giovanni, l’un des plus fervents partisans dans le pays, lance une bombe contre l’ambassade étasunienne à Buenos Aires. Quelques jours après les exécutions de Sacco et Vanzetti, la veuve de Sacco remercie Di Giovanni par lettre pour son soutien. Quelques mois plus tard, le 24 décembre 1927, Di Giovanni fait exploser le siège de la Banque nationale de New York et de la Banque de Boston à Buenos Aires en signe de protestation contre l’exécution. L’année suivante, en décembre 1928, Di Giovanni et d’autres personnes échouent dans une tentative d’attentat contre le train dans lequel voyageait le président élu Herbert Hoover lors de sa visite en Argentine. Finalement, en janvier 1931, il est arrêté après avoir été sérieusement blessé dans une fusillade contre la police.
Severino Di Giovanni a été fusillé le 1er février 1931, il avait 29 ans. Juste avant de mourir il cria « Evviva l’Anarchia ! » (Longue vie à l’anarchie !).

Mémoires, hommages et réhabilitation

Here’s to you Nicola and Bart
Rest forever here in our hearts
The last and final moment is yours
That agony is your triumph.

« Here’s to You », chanson de Joan Baez et d’Ennio Morricone, enregistré en 1971


En 1971 Joan Baez et Ennio Morricone co-évrivent Here’s to you pour la dans la bande originale du film Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo. Aux États-unis, cette chanson est devenue un hymne du mouvement pour les droits civiques des années 1970. les paroles sont inspirées par les mots de Bartolomeo Vanzetti au juge Thayer :

« Si cette chose n’était pas arrivée, j’aurais passé toute ma vie à parler au coin des rues à des hommes méprisants. J’aurais pu mourir inconnu, ignoré : un raté. Ceci est notre carrière et notre triomphe. Jamais, dans toute notre vie, nous n’aurions pu espérer faire pour la tolérance, pour la justice, pour la compréhension mutuelle des hommes, ce que nous faisons aujourd’hui par hasard. Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d’un bon cordonnier et d’un pauvre vendeur de poissons, c’est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe.

(If it had not been for these things, I might have lived out my life talking at street corners to scorning men. I might have died, unmarked, unknown, a failure. Now we are not a failure. This is our career and our triumph. Never in our full life could we hope to do such work for tolerance, for justice, for man’s understanding of man as now we do by accident. Our words — our lives — our pains — nothing ! The taking of our lives — lives of a good shoemaker and a poor fish-peddler — all ! That last moment belongs to us — that agony is our triumph.) »

En 1977, à l’approche du cinquantième anniversaire des exécutions, le gouverneur du Massachusetts Michael Dukakis, demanda à son conseiller juridique d’étudier s’il existait des motifs sérieux de croire que Sacco et Vanzetti ont été injustement condamnés et exécutés. Le rapport qui en résulta expose en détail les motifs de douter que le procès se soit déroulé équitablement en première instance, et fait également valoir que de tels doutes n’étaient que renforcés par des "preuves découvertes ou divulguées ultérieurement". Le rapport conteste le contre-interrogatoire préjudiciable autorisé par le juge Webster Thayer, et met en exergue son hostilité, la nature fragmentaire de la preuve et les dépositions de témoins oculaires révélées après le procès. Elle a trouvé que l’exposé du juge au jury était troublant pour la manière dont il mettait l’accent sur le comportement des accusés au moment de leur arrestation et mettait en lumière certaines preuves matérielles qui ont ensuite été mises en cause. Le rapport a également rejeté l’argument selon lequel le procès avait fait l’objet d’un contrôle juridictionnel, notant que « le système de contrôle des affaires de meurtre à l’époque ... n’avait pas fourni les garanties actuellement en vigueur ». En conséquence, le gouverneur Dukakis a déclaré le 23 août 1977 que Sacco et Vanzetti avaient été injustement jugés et reconnus coupables, et que « toute honte devrait toujours être retirée de leur nom ». Il ne leur a pas pardonné, car cela impliquerait qu’ils aient été coupables.

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Monument en l’honneur de Sacco et Vanzetti à Carrare (Italie)


Victimes de la terreur d’Etat

Sacco et Vanzetti sont morts dans la première minute du 23 août 1927. Ces deux ouvriers, anarchistes et italo-américains sont devenus un symbole de la terreur d’État qui existe au sein des sociétés dîtes démocratiques. En 1920, les "démocraties" sont encore peu nombreuses dans le monde et les Etats-Unis représentent un modèle international. Les États-Unis sont une république constitutionnelle depuis 1787, avec un système électoral assez complet pour l’époque, le droit de vote des femmes est voté le 4 juin 1919 par le Congrès, c’est un État fédéral où règne la liberté de culte (la devise « In God We Trust » ne date que de 1956), les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires sont séparés et l’état de droit est un fondement de la société. Là est la théorie politique, dans la pratique, l’affaire Sacco et Vanzetti a été un exemple retentissant d’une réalité tout autre. L’état de droit, qui établit la prééminence du droit sur le pouvoir politique et que tous, gouvernants et gouvernés, doivent obéir à la loi, selon le principe que tous hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, a été ici malmené pour des raisons politiques et sociales évidentes.
L’état de droit, qui est l’un des fondements de nos sociétés "démocratiques", n’est que trop souvent, comme durant l’affaire Sacco et Vanzetti, réduit à l’état de chimère, un concept théorique qui ne résiste pas à la réalité de la lutte des classes. Durant toute l’affaire, Sacco et Vanzetti ont été jugés non sur des faits, mais d’après leurs appartenances politiques et sur leurs origines nationales et sociales. Comme trop souvent, la justice est à deux vitesses, quand ce n’est plus. Pour Sacco et Vanzetti, la condamnation était préalable au procès, les faits ne servant qu’à maintenir une illusion d’État de droit, et quand un fait avéré gène le bon déroulement du procès, il est refusé par le juge Thayer. Dans le contexte de Peur rouge de l’année 1920, l’important n’est pas de faire respecter la loi, mais d’envoyer le message que les anarchistes hostiles à l’État seront exécutés. C’est d’ailleurs cette même Peur rouge qui permit la naissance du FBI comme police politique sous la direction de J. Edgar Hoover.

C’est malheureusement une constante qui dépasse le cadre de cette affaire. La justice des démocraties bourgeoises, même si elle se prétend impartiale, est une justice de classe qui ne juge égalitairement que les individus de classe égale. L’état de droit n’étant au final qu’un luxe pour classe moyenne embourgeoisée et respectueusement de l’État et de sa morale. Dès lors que l’on est issu des classes populaires, que l’on est étrangers, ou que l’on refuse l’injustice systémique de l’État et de la société de classe qu’il protège, l’État de droit disparaît au profit d’une justice punitive, allant d’un paternalisme puant dans le meilleur des cas, à une volonté d’écrasement politique et sociale dans le pire. C’est pour cela que ne doivent pas être oubliés Sacco et Vanzetti. Pour ne pas oublier comment les États démocratiques savent ne pas respecter leurs propres règles quand les intérêts de classe de la bourgeoisie dirigeante sont menacés.

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Collage SACCO ET VANZETTI de Mustapha Boutadjine

Notes

[1Source : Ephemeride Anarchiste, article sur Ferdinando Sacco

[2Source : Ephemeride Anarchiste, article sur Bartolomeo Vanzetti

[4Ce fut le cas en 2017 lors d’un jumelage pédagogique, en italien.

[5Albert Kéchichian, Les Croix-de-feu à l’âge des fascismes : travail, famille, patrie, 2006

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