Le mouvement n’a pas encore un mois qu’il traîne déjà avec lui son lot de manifestant.e.s interpellé.e.s et parfois condamné.e.s. À Lyon, on compte une petite trentaine de jeunes gens passés par la case garde-à-vue. Une vingtaine suite à la manif du 19 janvier, dont cinq passeront en procès en juin 2023, pour avoir chahuté une voiture de police municipale dans le Vieux Lyon. Deux arrestations encore le 31 janvier. Un manifestant, arrêté le 11 février, passera en composition pénale le 23 mars. Et deux autres, arrêtées violemment le même jour, ont été relâché sans poursuites. Ce lundi, se tenait la comparution immédiate de Gaëtan [1], étudiant-photographe arrêté tout aussi violemment lors de la première charge policière de cette même manifestation.
Bien qu’ils aient porté plainte contre Gaëtan, les CRS qui l’ont interpellé ne souhaitent finalement pas se constituer partie civile. Ils ne sont pas présents à l’audience.
La juge : « Je vais donner connaissance des infractions qui vous sont reprochées : violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique alors que leur qualité était connue, avoir résisté avec violences à votre interpellation. Et avoir refusé de se soumettre à la signalétique [prise d’empreintes et de photos en garde-à-vue] alors qu’il existait une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que vous avez commis ou tenté de commettre une infraction. Les faits sont très simples. Il ont été commis à l’occasion d’une manifestation contre la réforme des retraites du 11 février. Dans le cortège, étaient présentes des personnes connue pour être agitées, on va dire ça comme ça. Vers 15h, un conteneur a verre est renversé de manière volontaire. Des manifestants récupèrent des projectiles, notamment Gaëtan. Vous êtes repéré jetant un projectile en direction des CRS. Vous avez été interpellé à 15h10 ».
A peine parti, pour quelques coups de pied et tags dans une banque, les CRS chargent, gazent tout le monde, et arrêtent des gens aux hasard. Au moins 2 ou 3 arrestations. #Lyon #manif11fevrier #greve11fevrier #manifestation11fevrier #ReformeDesRetraites #Retraites #Macron pic.twitter.com/66yt6A2se9
— Bismuth Back (@Bismuthback) February 11, 2023
Elle lit ensuite le procès-verbal d’un des policiers. Ce dernier raconte, qu’étant « en suivi de manifestation », il leur a été demandé de « récupérer les banderoles ». Et qu’il a pris « en initiative » d’interpeller Gaëtan qui se serait retrouvé bloqué près de poubelles. Après quoi, selon lui, ce dernier l’aurait insulté et aurait tapé sur le casque de son collègue. Il aurait été difficile de le transporter au fourgon. On retrouve sur lui une cagoule, un masque à gaz, des pétards, un briquet. La caméra-piéton du CRS n’a pas fonctionné (toujours selon ce dernier).
La juge donne la parole à Gaëtan. Il reconnaît avoir « donné de la voix » et jeté une bouteille mais nie les « violences ». Il s’est contenté d’esquiver les coups avant et pendant son interpellation. Concernant le refus de signalétique il a « agi par principe ». Il s’excuse pour les « faits non-réfléchis ». Sur sa situation, il explique être « en formation régisseur technique pour l’événementiel » à 6000 euros l’année – il a dû contracter un prêt-étudiant de 20000euros pour payer ses études.
La juge continue ses questions : « Vous les connaissiez ces personnes [du cortège de tête] ? Vous étiez en groupe ou en individuel ? Vous avez conscience que vous auriez pu blesser quelqu’un avec ce jet de bouteille ? Et pas forcément un policier mais un manifestant. C’est très sale ces containers à verre, ça peut provoquer des infections. Vous participez souvent à des manifestations ? Ça vous arrive souvent de participer à des "mouvements violents" ? »
Gaëtan explique couvrir régulièrement les manifs en tant que photographe. Pour celle-ci, il avait « décidé de participer en manifestant ». La juge l’interroge sur son travail. « Ce sont des reportages photo à titre artistique pour sensibiliser », « à quoi ? », « à tout ce qui se passe ». « Vous en faites quoi de vos vidéos », « je les partage sur mes réseaux sociaux ».
Une des avocats de la défense intervient pour transmettre des photos & vidéos de l’interpellation et contester la rébellion. On voit qu’ « il a les mains levées » et que « ça se passe plutôt bien ». La juge est dubitative. « Bien on regardera ça… Bon c’est un petit peu… Quand on lance des bouteilles, on peut s’attendre à ce qu’il y ait une réaction. C’est pas le but d’ailleurs ? Il a été mentionné que vous étiez porteur d’une cagoule, pour quelle raison ? », « c’est plus comme un cache-cou ».
C’est au tour du parquet : « Oui, Gaëtan a participé à la manifestation qui ne s’est pas très bien déroulée. Manifester est son droit et on ne fera pas de commentaires sur ça. En revanche, j’ai des doutes sur ses intentions. Il était en possession de tout l’équipement pour rester dans des situations de grabuge. Je ne vais pas soutenir la rébellion. Concernant le refus "par principe" de la signalétique, ça n’a rien à voir avec les retraites et les CRS ! C’est pour éviter les erreurs sur l’identité. Ça m’amuse moyennement ce genre de procédure. Surtout quand il y a des antécédents [2]. On en est plus au TIG. Je vais requérir six mois de sursis ainsi que quatre cents euros d’amende. Parce que des fois, taper sur le porte-monnaie, ça fait un peu réfléchir ».
« J’ai des doutes sur ses intentions » : c’est en fait l’essentiel de ce qui lui est reproché. Avoir de « mauvaises intentions », être potentiellement un membre du « black block », le mot fourre-tout qui sert de déversoir à tous les fantasmes des garants de l’ordre établi. Parce que si on en restait aux seules « violences » qu’il est supposé avoir commis, l’accusation ne tiendrait pas. Le policier n’a pas été touché, il n’a rien subi. Et le mot est tellement flou qu’il agglomère aussi bien une bouteille tombée au pied d’un CRS que la situation de quelqu’un tabassé au sol sans pouvoir se défendre. Selon la justice, ces deux situations relèvent de « violences »...
L’avocate de la défense prend la parole : « Il est venu défendre ses convictions. Tous les éléments retrouvés dans son sac à dos, il ne les a pas à la main. La plupart lui servent dans le cadre de son travail. Son masque à gaz lui sert à continuer à filmer quand il y a du gaz lacrymogène. Il a ses habits normaux. C’est pas un signe d’appartenance d’être en noir, en hiver ». Elle rajoute que la lecture du pv d’un des deux CRS était un non-sens car il concernait l’interpellation d’une autre manifestante. Ce qui a le don d’énerver la juge qui lui coupe la parole.
Elle continue : « Les CRS reçoivent l’ordre d’arracher violemment les banderoles. On peut s’interroger sur cette atteinte à la liberté d’expression. Gaëtan voit des manifestants lancer des bouteilles, il en ramasse une opportunément par terre, ne réfléchit pas et fait la même chose. Il ne nie pas que c’est stupide. Il s’est laissé emporté par un phénomène bien connu : le "phénomène de groupe". Sa réaction est illégale, elle sera sanctionnée. Le gros problème de ce dossier est la non-exploitation de la caméra-piéton ». Elle demande la relaxe pour les violences contre le deuxième CRS car lui-même n’en parle pas dans son audition. Le deuxième avocat conclut : « Quand il vient filmer en manif, c’est par passion du documentaire, du métier qu’il veut faire. Il en a couvert des manifestations, il n’a pas de haine viscérale vis-à-vis des forces de l’ordre. La peine demandée est très importante par rapport à son profil, son interpellation violente [il boitait après son interpellation], sa garde-à-vue, le petit dépôt, la geôle, la comparution immédiate… Prenez en considération ces éléments pour revoir les réquisitions de madame la procureur ».
La juge n’accède pas à cette requête. Pour un jet de bouteille et s’être fait arrêté en manifestation, Gaëtan est condamné à six mois de prison avec sursis et 127 euros de « frais de procédure ». Ce sera quoi le tarot pour une révolution prolétarienne mondiale ?
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