Comparutions immédiates du 24 décembre 2018

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Comptes-rendus de justice | zbeul hiver 2018/2019 | Gilets Jaunes

Ce 24 décembre, nous avons passé l’après-midi en comparution immédiate au TGI de Lyon. Voici la retranscription de deux affaires qui ont été jugées cet après-midi-là, un manifestant du 22 décembre et une personne sans papiers.

Compte rendu de deux affaires présentées au T.G.I. de Lyon le 24 décembre 2018.
Les prénoms ont été changé.


M. S. Jérémi

- Le juge : M S, vous êtes né le 12 octobre 1983 à Avignon. Vous êtes jugé pour des faits s’étant déroulés le 22 décembre 2018 en marge de la manifestation des gilets jaunes à la place Gabriel Péri à Lyon. Acceptez vous la comparution immédiate ou souhaitez vous du temps pour préparer votre défense ?

- M. S. : J’accepte la comparution immédiate.

- Le juge : Les charges retenues contre vous sont la participation à une manifestation non autorisée, la détention d’arme sans autorisation (un couteau pliable), la détention de matériel explosif (un fumigène) ainsi que des violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique (jet de fumigène sur des policiers). Je rappelle brièvement les faits qui se déroulent vers 18h samedi 22 décembre à l’angle du cours de la liberté et de la place Gabriel Péri. D’après les témoignages de 2 agents de la police nationale, M S aurait allumé un fumigène qu’il jette alors sur les policiers situés devant lui à une distance d’environ 5 mètres. Les policiers arrivent à esquiver le projectile qui ne fait pas de blessés. Dans votre audition que j’ai sous les yeux, vous minimisez les faits voire les niez : vous prétendez avoir “ramassé” le fumigène par terre, il vous aurait ensuite “échappé” des mains car il vous brûlait. Vous précisez être venu manifester avec des intentions pacifiques, ce dont on peut douter ne serait ce que par l’attirail typique du casseur qui est révélé dans votre fouille : 1 bonnet, 1 tour de cou, des gants. Lorsqu’on vous pose la question sur votre accoutrement vous répondez assez ironiquement que vous vous protégiez du froid, je suis allé voir la météo de ce samedi nous avions 12 degrés.
Reconnu par deux policiers, vous avez été interpellé quelques instants plus tard, l’interpellation se déroule sans violence de votre part. On retrouve dans votre poche avant droite un petit couteau serpette pliable. Sur votre tenue, tenue idoine pour en découdre avec les forces de l’ordre ce qui semble être la tendance ces derniers temps et sur ce couteau, votre position a-t-elle changé depuis votre garde à vue ?

- M. S. : Je suis venu à cette manifestation pacifiquement comme je le fais depuis le début du mouvement. Le couteau est le couteau que j’ai toujours sur moi, il me sert pour tout, pour manger, pour fabriquer mes sandwich... Je suis conducteur d’engin chez Colas. Le jour de la manifestation j’ai fini mon travail vers 16h. J’ai pris mon bonnet et mon tour de cou que j’emporte partout et je m’en suis servi contre les lacrymos.

- Le juge : Et sur les faits, vous restez sur votre version, c’est pas vous ?
Je rappelle le témoignage des policiers qui sont étonnamment concordants : Vers 17h50 ils repèrent un individu équipé d’un tour de cou remonté jusqu’au nez, gants gris, bonnet noir. Il allume un fumigène sorti de son sac qu’il lance dans notre direction à environ 5 mètres puis prend la fuite sur le cours de la liberté. Vous êtes ensuite rattrapé par plaquage à l’angle du cours de la liberté et de la place Gabriel Péri.

- M. S. : J’ai lancé le fumigène parce qu’il me brûlait, je ne savais pas où le lancer il n’y avait aucun but de casser ou de blesser personne.

- Le juge : Donc vous reconnaissez finalement l’avoir lancé, on avance. Et vous maintenez l’avoir trouvé par terre ?

- M. S. : Non, quelqu’un me l’a donné peu de temps avant.

- Le juge : Oui il y a des gens qui distribuent des fumigènes dans les manifestations pacifistes c’est bien connu... Et pourquoi l’avoir accepté ? Ah oui c’est vrai vous l’avez dit il faisait froid.
Bon en ce qui concerne votre personnalité, vous êtes conducteur d’engins pour colas, où travaillez-vous la plupart du temps ?

- M. S. : Je suis envoyé sur des chantiers sur toute la France, mais j’ai à me rendre au siège de Lyon de temps en temps.

- Le juge : Votre casier judiciaire est déjà chargé, en 2006 on a une condamnation pour conduite en état d’ivresse en Allemagne, en 2010 vous écopez de 10 mois ferme pour une histoire de stupéfiants à Thionville, En 2011 3 mois ferme pour détention d’arme, en 2012 9 ans pour extorsion avec arme et vol avec effraction. Vous êtes incarcéré entre 2011 et 2015 puis êtes mis en liberté conditionnelle. En 2016 nouvelle condamnation de 15 jours pour détention de stupéfiants. Vous semblez donc avoir le profil “délinquant” typique, on pourrait s’attendre à ce que vous fassiez profil bas au cours d’une manifestation. J’insiste sur le fait que le tribunal ne vous reproche pas de manifester, ce qui est un droit constitutionnel, mais bien l’intention d’en découdre qui était la vôtre.
Vous n’êtes pas marié et n’avez pas d’enfant c’est bien ça ?

- M. S. : j’ai une compagne depuis 3 ans, je n’ai pas d’enfant.

- Avocate partie civile : Tout d’abord, rappelons qu’il s’agissait d’une manifestation non autorisée. D’après le témoignage des deux fonctionnaires de la BAC, dès 16 heures les forces de l’ordre étaient en difficulté [1] J’ai peine à croire que quelqu’un de pacifiste puisse se complaire dans une telle situation quasi insurrectionnelle d’après les témoignages. C’est bien lui qui a tenu et jeté le fumigène à 5 mètres, il le reconnaît. Il l’a jeté par dessus l’épaule, ce n’est pas de cette manière que l’on procède si l’on veut juste se débarrasser de quelque chose. Cette objet incandescent représente un danger majeur pour la santé. Les déclarations des policiers, comme vous avez pu le constater, sont très semblables, cela est sans doute dû au fait qu’ils ont dû se concerter car ils n’avaient pas beaucoup de temps pour rédiger leur rapport.

- La procureure : Quand on entend le prévenu déclarer “j’étais là pacifiquement”, ça prête à sourire quand on voit les images de ladite manifestation. Ce sont des scènes de guérilla d’une incroyable violence, là on est là pour casser, pour détruire. Et ce sont ce genre de comportement, du fait de casseurs, qui mettent en péril le droit à manifester, car on empêche des gens, des familles de venir alors manifester pacifiquement. Un des appels à cette manifestation que j’ai retrouvé sur Twitter mentionnait : “le pacifisme ne donnera jamais rien ce week-end c’est la guerre”. Quand on vient avec bonnets, gants, tour de cou, on n’est pas là pour manifester pacifiquement. Le mot d’ordre de ce samedi était de s’en prendre aux policiers. Le geste de M S est un geste d’une dangerosité extrême, ce fumigène aurait pu occasionner de graves blessures. La personnalité de M révélée par son casier judiciaire est une personnalité dangereuse, on a notamment des faits de détentions d’arme, des vols... C’est pourquoi je demande la peine d’un an de prison ferme avec mandat de dépôt [2], ainsi que l’interdiction de détenir une arme pour une durée de 5 ans et l’interdiction de la ville de Lyon pour une durée de deux ans.

- Avocate de la défense : Je pense qu’il faut insister sur les circonstances du geste et le peu de temps que M a eu pour réfléchir. S’il avait réfléchi, il n’aurait jamais fait quelque chose d’aussi stupide. S’il minimise encore son geste aujourd’hui, c’est justement car il trouve cet acte trop stupide. Aujourd’hui, j’ai une question à lui poser, en y réfléchissant aujourd’hui, vous seriez vous rendu à cette manifestation ainsi accoutré ?

- M. S. : Je pense que je ne serais pas venu, je serais resté sur les ronds point.

Après délibération :

- Le juge : La cour vous déclare coupable des faits qui vous sont reprochés et vous condamne à 8 mois de prison ferme avec mandat de dépôt, associée à une interdiction de détention d’arme pendant 5 ans et à l’indemnisation de 250 euros pour chaque policier s’étant porté partie civile.


M. A. Khader

- Le juge : Alors tout d’abord il faut revenir sur un problème d’identité, apparemment vous êtes connu sous différentes identités, M. A. Atem né en Tunisie le 10.07.1988, de nationalité française et M. A. Khader né le 10.07.1992 de nationalité algérienne, quelle est la bonne ?

- M. A. : Askri Khader, je suis né en Algérie le 10.07.1992.

- Le juge : Votre casier judiciaire fait état d’une condamnation pour prise de nom d’un tiers avec une condamnation à 10 mois de prison. Donc vous avez usurpé l’identité de M A Atem car il était français.

- M. A. : Oui, je suis sorti de prison il y a un mois.

- Le juge : M se dit cuisinier à Grenoble, mais également sans domicile fixe, alors je ne sais pas, est ce qu’il dort dans les marmites ? Vous êtes célibataire sans enfant.
Venons en aux faits, ce 23 décembre à 11h20, vous auriez refusé d’embarquer sur un vol non escorté à destination de la Tunisie. Acceptez vous la comparution immédiate ou souhaitez vous un délai pour préparer votre défense ?

- M. A. : J’accepte la comparution immédiate

- Le juge : Vous reconnaissez ce refus d’embarquement ?

- M. A. : Je le reconnais, mais je n’ai rien fait d’autre.

- Le juge : On vous a notifié une OQTF, c’était un vol libre dans le sens où l’on vous laisse monter seul comme un grand garçon, mais vous y êtes tout de même obligé. Pourquoi avoir refusé ?

- M. A. : Parce que je suis algérien et que c’était vers la Tunisie. On m’a dit que j’avais le droit de refuser. Je viens de sortir de prison je ne veux pas y retourner.

- Le juge : En effet, vous êtes sorti le 8/11/18 de prison puis vous avez été placé au centre de rétention administrative. Vous savez le CRA ce n’est pas un hotel ni le club méd...
Par ailleurs au sujet de votre identité qu’est ce qui nous permet de croire à votre identité puisque vous avez donné une fausse identité en 2015 ?

- La procureure : Nul n’est censé ignorer la loi. M A savait qu’il devait quitter le territoire. Monsieur attend qu’on lui paie non pas un mais 3 vols et avec escorte ? Je requiers une peine de 4 mois de prison ferme ainsi qu’une interdiction du territoire pendant 10 ans

- Avocate de la défense : Je m’en tiendrai à rapporter les paroles de mon client qui se dit prêt à partir la prochaine fois, je rappelle également que ce refus d’embarquer a été fait sans aucune violence.

- La procureure : J’ai oublié de requérir le mandat de dépôt, bien évidemment il va de soi.

- Le juge : Vous avez la parole M Askri, pas pour répéter toujours la même chose.

- M. A. : je ne veux pas retourner en prison

- Le juge : Vous l’avez déjà dit ça.

- M. A. : Merci

Après délibération :

- Le juge : La cour vous déclare coupable de refus d’embarquement et vous condamne à 3 mois de prison ferme avec mandat de dépôt, ainsi qu’à une interdiction de territoire français pendant 10 ans.

Notes

[1à 16h la manifestation atteignait tout juste la place Guichard, son terminus officiel. Aucun débordement n’était encore à signaler et les premières lacrymos ne seront tirées qu’une heure plus tard.

[2Le mandat de dépôt est l’ordre donné par un juge au chef ou au directeur d’une prison de recevoir ou de maintenir en détention une personne condamnée à de la prison ferme ou un mis en examen placé en détention provisoire. Cela signifie que le condamné sera conduit immédiatement en prison jusqu’à son audience avec le juge d’application des peines.

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