Compte rendu d’audience TGI Lyon comparution immédiate du 23 mai

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Comptes-rendus de justice | Loi travail 1 complément

Un compte rendu d’audience réalisé par la caisse de solidarité suite aux arrestations de la manifestation de jeudi 19 mai. Deux militants passaient ce jour et ont reçu des condamnations relativement lourdes.

Quel goût amer ce lundi 23 mai en sortant de cette 14éme chambre correctionnelle du TGI de Lyon, où le tribunal a une nouvelle fois condamné avec plus de sévérité la marginalité et l’immigration. Six affaires étaient jugées en comparution immédiate dont deux concernant deux camarades pour des faits qui se sont déroulés lors de la manifestation contre la loi travail du 19 mai.

Le premier comparaissait pour participation à un attroupement en vue de commettre des dégradations de biens publics, mais surtout pour violence, n’ayant entrainé aucune ITT, sur personne dépositaire de l’autorité publique par jet de projectile, en l’occurrence des jets de pierre sur la police, place Bellecour. Problème, la cible, qui d’ailleurs se porte partie civile, n’est rien d’autre que le policier assurant la sécurité du directeur du service d’ordre.

Insistant de lui-même que les différentes protections ont permis d’éviter toute atteinte physique, le policier partie civile, qui se présente à l’audience sans l’assistance d’un avocat, demande tout de même 400 euros pour préjudice moral.

Malheureusement pour lui qui pensait peut-être juste venir pour se faire une prime afin de préparer ses vacances estivales, l’avocate de la défense l’utilise comme argument pour faire apparaître qu’il n’était pas possible d’identifier clairement son client comme faisant partie d’un groupe, arguant que le policier était bien le meilleur témoin de la situation. Elle s’est même permise une petite pique au passage visant le procureur, sous-entendant qu’il n’était certainement pas à la manifestation, sauf s’il voulait s’exprimer contre cette loi travail. Réponse gestuelle scandalisée du procureur.

Comme fil conducteur de cette justice, nous avons une nouvelle fois eu droit à la stigmatisation du mode vie marginal du prévenu, orphelin, sans emploi et logeant dans un centre d’hébergement. Le juge a osé lui poser la question si le fait de n’avoir ni travail, ni ressources, ni logement et de se nourrir de récup’ dans les poubelles était un choix de mode de vie ou s’il le subissait. Il a surenchéri avec la rhétorique sur la consommation d’alcool et de produits stupéfiants, rappelant que beaucoup plongent dans l’addiction pour fuir les problèmes. Comme si les addictions ne concernaient seulement que le bas peuple…

Cette stigmatisation n’était pas que moralisatrice. Son comportement responsable et non outrancier durant l’audience, les efforts de son avocate pour mettre en avant la vertu éducative du déferrement devant un tribunal et sa volonté de ne pas percevoir le RSA par refus d’être assisté n’ont rien pu y faire. Alors que le parquet demandait 5 mois de prison ferme, le tribunal l’a condamné à 6 mois de prison, dont 3 mois ferme sans mandat de dépôt, le reconnaissant coupable seulement pour les violences, le relaxant pour la participation à un attroupement.

La partie civile encaisse 250 euros au passage.

Le second prévenu est tout juste âgé de 18 ans. Il fait partie d’une famille de 9 enfants et de 2 parents sans emploi issus de l’immigration africaine comme l’a si bien fait remarquer le juge.

Le tribunal le poursuivait pour violence sur personne dépositaire de l’autorité publique par jet de projectile, en l’occurrence une bouteille en verre, ce qu’il conteste. Le second chef d’accusation, qui a particulièrement affecté le juge et le procureur, est la dégradation par peinture de la statue du cheval de Louis XIV de la place Bellecour. Circonstance aggravante en sa défaveur, il est sous le coup d’un sursis pour une tout autre affaire.

Passant très rapidement sur le jet de projectile, bouteille en verre versus bouteille en plastique, qui de plus n’a touché personne, le procès s’est surtout attardé sur la passion du juge et du procureur pour le patrimoine historique de la ville de Lyon. Manque de chance pour le juge, le prévenu connait ses classiques :

- juge : vous savez qui est sur cette statue ?
- T : Louis XIV
- Juge : Vous savez qui c’est ?
- T : un roi
- Juge : certes…

N’arrivant pas à le moucher, il revient à la charge quelques minutes plus tard :

- Juge : vous habitez rue Danton. Comme le révolutionnaire, vous savez qui c’est ?
- T : non
- Juge : Ah…

Une fois son terrain marqué sur l’histoire, le juge a décidé de l’attaquer sur son « domaine » : « êtes-vous un adepte des inscriptions urbaines dont certaines peuvent être artistiques ? C’est la première fois que vous taguiez ? »
Et pour bien finir de le rabaisser, il lui demande depuis combien de temps il est en détention préventive, ce qu’il pense de la prison et s’il pense que c’est fait pour lui, ou alors s’il accepterait de faire un travail pour la collectivité, non rémunéré bien sûr.
Outre une remarque sur la richesse patrimoniale de la ville de Lyon, le procureur demande 4 mois de prison.

La ligne de défense était assez surprenante, voire bluffante. L’avocate a misé sur le fait que le prévenu n’avait pas encore compris la gravité de ses actes, mais qu’il fallait lui faire passer un message, que c’était sa dernière chance et que la prochaine fois il irait en prison où il serait avec plusieurs personnes en cellule, dont certaines pas très sympas. Certainement un message à la cour pour lui éviter la prison ferme…
Le tribunal l’a reconnu coupable des chefs d’accusation, mais lui a évité la prison. Il l’a tout de même condamné à 105 heures de TIG dans un délai de 18 mois.

Le goût amer de cette fin d’aprèm vient de la comparaison avec les autres procès qui ont eu lieu depuis le début du mouvement social contre la Loi Travail. Les deux camarades qui comparaissaient aujourd’hui ont été plus sévèrement condamnés que certains qui étaient accusés de faits similaires, voire plus graves, mais qui n’ont eu que du sursis. Ces derniers avaient la chance d’être issus d’un rang social plus élevé et d’un environnement familial plus aisé.

Loin de moi l’idée de nous monter les uns contre les autres. Il faut par contre que l’on soit attentif lors des prochaines comparutions afin de voir s’il s’agit d’une ligne de conduite de la magistrature ou si elle ne fait qu’appliquer des directives de la hiérarchie.
Il me paraît important de préciser que l’avocate, identique pour les deux prévenus, a tout de même été fidèle au vent qui court depuis une semaine du côté des avocats de la défense. Nous avons pu constater que l’argument de non-amalgame avec les casseurs des manifestations était systématiquement pointé lors des derniers procès. On sent bien que les avocats essaient d’obtenir la conciliance du tribunal, sentant peut être le raz le bol judiciaire croître de plus en plus. Ce qui explique peut-être la durée des comparutions de plus en plus courtes, voire expéditives, et que le juge ne demande parfois même plus au prévenu s’il a quelque chose à rajouter à la fin.

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  • Le 25 mai 2016 à 15:15, par

    le prévenu ayant eu la parole en dernier,

    Non seulement c’est obligatoire dans le jugement, mais c’est obligatoire aussi dans la pratique, lors de l’audience
    Ne pas le faire, c’est la Cassation (mais là, il faut d’abord faire appel, pour aller devant la Cour d’appel)

    pour info :
    alors que le prévenu ou son avocat doit toujours avoir la parole en dernier ; qu’en ne redonnant pas la parole à Me Fxxxx, avocat représentant à l’audience M. X..., après avoir entendu le parquet en ses réquisitions, la cour d’appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et 513 du code de procédure pénale" ;

    Vu l’article 513 du code de procédure pénale, ensemble l’article 410 dudit code ;
    Casse et annule

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