Lyon, une ville à fuir ? Airbnb, la Fête des Lumières, mes voisins et moi

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La Fête des Lumières commence ce jeudi. Comme chaque année les visiteurs vont se presser par milliers dans les rues de la Presqu’île. Pour celles et ceux qui louent des appartements sur Airbnb, c’est la période la plus rentable de l’année. Pour celles et ceux qui goûtent peu les foules immenses et les policiers à chaque coin de rue, c’est le moment de fuir la ville.
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J’habite dans le bas des pentes de la Croix Rousse, dans une traboule. Selon moi c’est un joli bâtiment situé pas bien loin de mon boulot et de mes potes. Mais on peut trouver formulation plus poétique. Selon les annonces des apparts voisins sur la plateforme de location en ligne Airbnb j’habite dans « le cœur historique de Lyon ». Ce serait un endroit « authentique » où je suis « proche de la très conviviale place Sathonay ». En parcourant les offres, j’apprends même que j’habite dans « le Montmartre Lyonnais ».

Les appartements, qui ressemblent quasiment tous à des logements témoins d’Ikea ou de Roche Bobois sont, eux, au choix ou tout à la fois décrits comme « design », « authentiques », « cosy », « de charme », « atypiques » [1] ou encore des « nids d’amour » (ce qui en réalité veut dire studio exigu avec vue sur Fourvière si tu te tords le cou).

Airbnb : un business juteux pour les propriétaires

Ceux qui ont rédigé ces annonces ne sont pas tous des habitants qui se mettent du beurre dans les épinards en louant leur appartement ponctuellement. Pour une bonne part, ce sont des loueurs professionnels. Particuliers possédant plusieurs appartements ou sociétés immobilières, ils font appel à des prestataires pour assurer la mise en ligne et la valorisation de leurs biens et à des femmes de ménage qui s’occupent du nettoyage et de la blanchisserie du linge de maison (draps, serviettes). Certains propriétaires s’enrichissent même en transformant leurs biens en sorte d’auberges de jeunesse ou en hôtels discrets [2].

Pour eux, le calcul est vite fait. Je loue mon appartement de 40 m² 500 € par mois. Il peut se louer environ 70 € la nuit toute l’année, environ 100 € lors des périodes touristiques et jusqu’à 200 € au moment de la Fête des Lumières, lorsque les hôtels affichent complet. En comptant ne serait-ce qu’un taux d’occupation de 50% et en déduisant ce que coûterait le fait de payer une femme de ménage (auto-entrepreneuse), une personne pour remettre les clefs et même les taxes sur les revenus engendrés, mon propriétaire gagnerait facilement deux fois plus qu’aujourd’hui s’il mettait mon appartement sur Airbnb. À Paris, il serait aujourd’hui 2,6 fois plus rentable de louer un appartement sur Airbnb qu’à un locataire permanent [3].

Il semblerait que les agents immobiliers présentent désormais à leurs clients la possibilité de louer via Airbnb comme un argument de vente. De fait, dans les zones touristiques, le nombre d’appartements qui ne sont plus loués par le marché locatif classique mais uniquement sur Airbnb est important. Ce serait le cas de 2,6% des appartements parisiens [4]. La pression est particulièrement forte sur les appartements de petite surface situés dans ces zones. Aucune étude à grande échelle ne vient aujourd’hui confirmer cette hypothèse mais des chercheurs avancent l’idée que la location d’appartements par Airbnb participe à la raréfaction des appartements de petite surface sur la marché locatif classique et, par un effet mécanique, à l’enchérissement des prix de ces mêmes logements. Ou comment Airbnb participe à l’augmentation des loyers et donc à l’exclusion des habitants les moins aisés des centres touristiques [5]. L’entreprise américaine se défend en arguant, statistiques à l’appui, qu’elle permet à des touristes moins aisés que ceux qui vont dans des hôtels de venir visiter nos villes.

Vivre dans un immeuble occupé en majorité par des « Airbnbiens »

Sur la vingtaine d’appartements qui composent mon immeuble, environ une dizaine n’est louée que sur Airbnb. Un certain nombre d’appartements ne sont plus équipés de serrures à clefs mais à code. Ça permet aux locataires d’y rentrer et d’en partir sans que quiconque n’ait à se déplacer pour leur donner ou récupérer les clefs. Ils sont meublés comme des piaules d’hôtel, avec mobilier faussement design et cafetières à dosettes. Touristes français et étrangers ou hommes d’affaires s’y succèdent.

Si bien qu’au quotidien, à l’exception de quelques voisins qui résident là à l’année, je croise sans cesse de nouvelles têtes. Le quotidien, quand on habite dans un immeuble essentiellement loué par Airbnb, c’est en effet l’assurance d’une quasi-absence de relations de voisinage. En lieu et place de voisins plus ou moins chiants ou cordiaux, vous avez des voisins de circonstance qui ne vous disent pas bonjour même quand vous insistez parce qu’ils se croient à l’hôtel et qu’on ne dit pas bonjour aux autres clients d’un hôtel.

Ces mêmes personnes savent pourtant me trouver quand ça fait 15 minutes qu’elles patientent devant la porte extérieure parce que le loueur a oublié de leur filer le code et ne répond pas au téléphone. A priori ce n’est pas son seul oubli : Airbnb au quotidien c’est aussi des poubelles balancées en vrac dans le hall par ces clients, certes bien intentionnés, mais à qui on n’a sans doute pas expliqué où se situait le local dédié. Ce qui n’est pas franchement dramatique mais franchement désagréable. Ces poubelles finissent toujours par disparaître, j’imagine que c’est la femme de ménage qui s’occupe de la majorité des appartements de l’immeuble qui se charge d’aller les benner lorsqu’elle passe récupérer les draps.

Fête des Lumières, folie sécuritaire et fuite salutaire

Des fois cette ambiance bizarre me donne envie de fuir les lieux et d’aller habiter loin de cette zone de plus en plus touristique que j’affectionne pourtant particulièrement. Cette envie est décuplée en période de Fête des Lumières. En 2016, comme chaque année, un flot ininterrompu de personnes va déferler dans les rues de la Presqu’île et du bas des pentes de la Croix Rousse, générant des embouteillages et des sens uniques de piétons plus ou moins avinés.

Des lumières bien policées

« Depuis un certain nombre d’années déjà, la Fête des lumières n’était plus que l’ombre d’elle-même. Il faut dire qu’elle était devenue un élément important de la politique événementielle de la ville. » Ce texte revient sur les évolutions récentes de la fête des Lumières en spectacle pour (...)

2 décembre 2018

Par crainte des attentats et suite à l’annulation de l’édition 2015 de cette fête lucrative, la Mairie et la Préfecture ont décidé de restreindre cette année les festivités à la Presqu’île, au Vieux Lyon et à l’amphithéâtre de Fourvière. Celles-ci ne se dérouleront que sur 3 jours et seulement de 20h à minuit. L’espace dédié sera entouré d’un périmètre de sécurité. Les visiteurs et les riverains seront contrôlés et fouillés aux 42 entrées de celui-ci. La Préfecture du Rhône a annoncé la mobilisation de 750 militaires et policiers et précise que « les moyens lourds d’intervention spécialisés (RAID, BRI, BAC) » seront présents au sein du périmètre. À ce déploiement de la force publique s’ajouteront des vigiles de sociétés privées par centaines.

On ne sait pas si ce dispositif impressionnant sécurisera grand-chose mais il est clair qu’à l’habituelle pression des centaines de milliers de personnes présentes à la Fête des Lumières s’ajoutera celle inhérente à la paranoïa sécuritaire. Avec une telle foule, on espère qu’aucun bruit ne viendra créer de moment de panique et de mouvements de foule qui pourraient être tragiques. Quoi qu’il en soit, agoraphobes et allergiques aux uniformes passez votre chemin.

Collaborer à « l’économie collaborative » ?

Mon appartement est situé dans le périmètre de sécurité. Ce week-end je vais fuir Lyon, sa Fête des Lumières, sa foule étouffante et mes voisins labellisés Airbnb. D’ailleurs pour que ce week-end ne soit pas perdu, j’ai déposé une annonce pour louer mon appartement sur... Airbnb. Dans l’annonce j’ai écrit qu’il avait du charme.

C’est ça la beauté perverse de la très à la mode « économie collaborative ». Tu sens bien qu’elle te bouffe en marchandisant chaque jour de nouveaux pans de ta vie. Mais, parce que ça te fera quand même du bien de payer un mois de loyer en quelques nuits, tu la laisses rentrer jusque dans l’espace intime qu’est ton lit.

Ce week-end je vais fuir Lyon. À défaut de fuir cette société que j’exècre.

Àgætur Leigjandi

Notes

[1Note aux propriétaires : vous êtes nombreux à associer « atypique » et « authentique » dans la description de votre bien. Je comprends bien que c’est juste de la comm’ mais faîtes quand même attention à ne pas trop tomber dans l’oxymoron.

[2Voir notamment l’article (payant) de Médiapart : « Comment Airbnb squatte la France ».

[3Source : Journal du Net. Il faut noter que Paris est la ville du monde qui propose le plus de logements sur Airbnb. Rue89 relève ainsi une statistique hallucinante : « le 3e arrondissement compte désormais plus de nuitées Airbnb que d’habitants ». C’est logiquement un marché capital pour l’entreprise américaine, au-delà de l’enjeu symbolique qu’incarne la capitale française. Cette importance explique en grande partie pourquoi Airbnb a facilement accepté de reverser à la Mairie de Paris une taxe de séjour (assez dérisoire) pour chaque nuit louée via la plateforme : pas question pour elle de se brouiller avec les politiques locaux.

[4Source : Journal du Net.

[5Ce phénomène prend des allures dramatiques à Barcelone par exemple, où des locataires ont carrément été expulsés de leur logements pour faire place aux clients d’Airbnb. Des manifestations ont eu lieu pour s’opposer à Airbnb et la Mairie a dû prendre des mesures pour réguler le phénomène.

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