Paranoïa répressive : contre un monde qui déraille

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A l’heure où l’état d’exception est la seule réponse au désordre généralisé, l’Etat peut tout se permettre quand il s’agit d’écraser ce qui s’oppose effectivement à l’ordre normal des choses (monde du contrôle, de l’exploitation et des dominations). L’antiterrorisme comme figure de l’Etat d’exception définit l’ennemi intérieur, circonscrit la menace, s’installe dans le quotidien.

Cette menace devient effective quand elle est affaire de gestes et plus d’opinions, quand elle quitte le registre symbolique/neutralisé, quand elle sort des grèves raisonnables, inoffensives. La contestation est effective quand elle change quelque chose, quand elle fait une différence inintégrable, inassimilable dans le grand cirque de la démocratie représentative. Le sabotage du train-train à grande vitesse rentre dans cette catégorie par son incidence réelle, par ce qu’il préfigure comme arrêt réel de l’économie, de la grande machine à fabriquer les riches et les pauvres.

L’antiterrorisme pour conjurer la menace, conjurer le potentiel subversif de ce geste, d’autant plus appropriable et contaminant qu’il ne pouvait blesser personne. Ça dérange, il faut faire un exemple alors, ça choppe des gens et tant pis s’il n’y a pas de preuve (puisqu’on est dans l’exception). Ils et elles sont accusé-e-s d’avoir répondu sur le terrain d’une résistance effective. Evidemment, les gens choppés ne l’ont pas été par hasard, ils et elles sont soupçonné-e-s d’avoir participé à des rassemblements et des manifestations notamment à Vichy, d’écrire des pamphlets, et de vivre autrement… Et c’est bien là le fond de l’affaire. Parce que s’attaquer aux modes de vie n’est pas simplement un prétexte. Construire des liens matériels, accueillir les sécessions, rendre le monde vivable effectivement voire désirable. Trouver des lieux communs pour ne plus vivre piégés dans l’univers de l’économie, une autonomie alimentaire relative ; un déploiement de solidarités concrètes comme en témoigne le village de Tarnac par les réunions publiques à deux cent du comité de soutien. Voilà ce qui pose problème. En définitive, faire de la politique dans le réel et de ce point de vue répondre à l’Etat et à Sarkozy sur le même registre du « je fais ce que je dis ». Un autre réel, réel de la lutte, de l’émancipation, etc.

Alors, nos malfaiteurs aux fins terroristes on leur reproche en substance : une existence non consumée dans les circuits de l’exploitation, d’être capables de s’organiser pour échapper à des vies gâchées d’intérimaires, des perspectives bouchées de lycéens et d’étudiants condamnés par avance, par contumace, au boulot jusqu’à 70 ans, dimanche compris... Au lieu du travailler plus pour gagner plus, travailler moins, comme l’a relevé le Figaro, et y gagner une vie partagée. Autres éléments à charge : des livres, en lire, en écrire. Là aussi est le crime, répondre par des gestes à des prises de position, des énoncés. Rendre ces gestes disponibles par l’écriture folle, anonyme, sans origine assignable, les affiches, tracts, et autres manifestes. Là où l’antiterrorisme c’est précisément la logique impériale de la conjuration des événements et le régime de l’atténuation paranoïaque et généralisée ; le crime ici est celui d’articuler la pensée et l’action, et par là, rendre quelque chose possible.

Ils veulent s’attaquer aux possibilités même de la lutte, comme avec le service minimum face aux grèves, comme avec les référendums dans les universités, les déploiements de robocops-experts héliportés à la première auto-réduction tentée [1] , comme avec cet appel d’offre sur la veille préventive de l’opinion, comme avec la prévention situationnelle, comme avec l’occupation militaire des quartiers à la moindre émeute (à Villiers-le-Bel, à Romans sur Isère, les gens se sont pris aussi 96 heures de garde à vue).

Alors oui il y a montage policier (on fabrique des terroristes avec une demi-manif, trois bouquins et une ferme), mais ce montage policier n’est pas si artificiel, il s’enracine dans une histoire de l’oppression. L’antiterrorisme s’inscrit en réaction à l’affirmation de la communauté, au refoulé de l’Etat français et ce au nom de la démocratie consensuelle. La communauté en France, on s’y attaque depuis la loi Le Chapellier, les lois anti-sectes, les lois scélérates anti-anarchistes des années 1880 qui justement condamnent l’association de malfaiteurs et, plus récemment, l’interdiction de stationner à trois dans un hall d’immeuble…

Oui, une insoumission chronique anime les quartiers, oui les facs remuent contre la privatisation, 3000 personnes se déplacent contre Vichy et soutiennent physiquement les sans-papiers, les centres de rétentions crament, les cheminots bloquent les rails. La solidarité s’active pour les emprisonné-e-s, à Paris, Tarnac ou Lyon.

Oui, la révolte en actes !

Notes

[1Pendant le mouvement anti LRU de novembre 2007, la police a envoyé tout un escadron de crs de gendarmes mobiles, et d’experts scientifiques à la fac de Bron suite à la réquisition de deux caddies de provisions dans un super-marché.

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