Récit des comparutions immédiates du lundi 10 décembre
Ce qui frappe d’abord c’est la diversité des profils des interpellé·e·s de la manif des gilets jaunes.
Pour commencer, un identitaire lyonnais est présenté
Arnaud F., un jeune identitaire (bien qu’il se défende à la barre de cette appartenance, personne n’est dupe !), 22 ans, étudiant en 2e année d’école de commerce, ses parents sont dans la salle, bien BCBG haut du panier ; il a déjà subi une peine alternative en 2014 pour une histoire de stup.
Il a été contrôlé place des Jacobins en possession de gants, d’une cagoule dans la poche et de 16 gros pétards dans le sac, qu’il s’est procuré sur internet ; autour de lui toute une clique (environ 10 personnes, fichées comme identitaires) du même acabit, des fafs en cagoules, etc... il comparaît pour participation à un groupement en vue de commettre des violences contre les personnes et des dégradations, et détention d’arme (les pétards).
Il s’explique devant la cour : « j’ai fait une bêtise, j’avais pas l’intention de blesser quelqu’un... j’ai pris les pétards avec moi car j’ai vu à la télé ce qui se passe dans la rue, mais c’était pour faire le malin, je voulais pas m’en servir... » en gardav’, il disait plutôt qu’il « voulait les faire péter à la manif, avec la cagoule... » bref : il se contredit pas mal, et sa défense n’est pas très habile.
La proc l’interrompt : « C’est quoi le groupe signal ? »
Arnaud : « C’est sur le portable, mais j’y suis pas, moi sur le groupe signal ! »
On comprend que les fafs se sont donné rencard via Facebook, puis sur un groupe signal pour régler les derniers détails...
La proc continue : « Les personnes avec lesquelles vous avez été interpellé sont identifiées comme des identitaires … et vous aussi ! »
« Je n’appartiens à aucun groupe » (ouais, mon œil !)
« Et les gants ? C’est pour faire quoi ? »
Arnaud répond, au culot « C’est pour conduire » (mais quand tu vois son milieu en fait, il est presque crédible !)
La proc, ironique : « Mais oui, comme tous les jeunes, quand il fait 15° ! »
Elle demande 70 heures de TIG pour l’ensemble des faits, et sera suivie dans ses réquisitions par les juges du siège après une plaidoirie qui mettait l’accent sur ces « nouvelles lois issues de l’état d’urgence traitant de manière préventive l’intention de commettre des délits ». Il s’en sort vraiment bien, heureusement pour lui qu’il n’est ni fils d’ouvrier, ni arabe…
À noter qu’une bonne partie du procès s’est déroulée sur des intentions et non des faits. De nombreux SMS échangés avec ses copains ont été ajoutés au dossier.
Viennent ensuite deux personnes : un couple, 34 et 31 ans, saisonniers.
Parents de deux enfant,. Iels ont été arrêté·e·s vers 15 heures à la Guillotière. Iels sont accusé·e·s d’avoir exercé des violences sans ITT sur deux flics : MM. F. et F., qui se sont bien sûr portés parties civiles (pourquoi se priver d’un treizième mois ?). Monsieur est aussi accusé d’avoir résisté à son interpellation. Et une troisième personne, emmenée en GAV avec eux, se trouve à l’hôpital dans un état grave.
Iels demandent un délai pour préparer leur défense.
La proc demande des mesures de sûreté « au regard du contexte actuel et au regard que de nouvelles manifestations peuvent avoir lieu » (Tiens donc, une envie d’interdiction de manif, Madame la proc ?)
Iels sont ressortis avec un contrôle judiciaire léger : interdiction de fréquenter Lyon, jusqu’à leur audience le 18 janvier.
Deux salles, deux ambiances
Ensuite, on est allé·e·s dans la deuxième salle, qui avait été prévue pour faire face à la « situation ». Deux salles, deux ambiances. Ici, le président ne se prive pas de mettre lourdement l’accent sur la contexte politique actuel, et sa gravité.
C’est à présent le tour de Sylvain F.B., un jeune homme de 19 ans originaire de Bourgoin-Jallieu, il est en 1re année de Lettres Modernes à la fac catho de Lyon. Il se tient très droit, bombe le torse, on voit qu’il fait du sport, la pose martiale ; il fait des gros efforts pour s’adresser à la cour avec déférence. Il aurait été reconnu comme étant l’auteur d’un jet de bouteille par le flic J-B S., ce qui lui vaut de comparaître pour participation à un rassemblement en vue de commettre des violences sur des personnes (les flics) et des dégradations ainsi que violences sur agent. Il porte des vêtements vraiment reconnaissables : survêt’ à bandes rouges et baskets assorties comme le souligne le prez… Quand on dit de pas se saper n’importe comment pour venir en manif !
Après une présentation assez confuse, où Sylvain explique qu’il souhaite se réorienter pour devenir « éditorialiste » car il a des « idéaux politiques », qu’il est « contre les inégalités », il demande le délai auquel il a droit pour préparer sa défense.
Même si les faits ne sont pas jugés ce jour, il prend le temps de clamer son innocence et de dénoncer des violences policières : « On m’a molesté, je n’ai rien fait. »
La proc demande son placement en détention provisoire sur la base de ses antécédents (il a déjà été arrêté en manif le visage masqué, et une autre fois pour l’introduction d’une arme dans un lycée) et du risque de réitération, vu le contexte actuel. Son avocate demande qu’il soit placé sous contrôle judiciaire. Il ressort avec un contrôle assez contraignant : pointer au commico à Bourgoin les samedi, interdiction de porter des armes, interdiction des 2e et 7e arrondissements de Lyon les samedi. Il sera jugé le 17 janvier.
Ensuite comparaît un dernier prévenu"
Enfin, vient le tour d’un jeune homme de 27 ans sans antécédents, accusé d’avoir lancé une bouteille en direction du flic Frédéric P., qui ne s’est pas porté partie civile à ce jour. Le président nous gratifie encore d’un laïus sur la situation actuelle qu’il qualifie de « préoccupante ».
Le prévenu a reconnu avoir jeté une bouteille et accepte d’être jugé aujourd’hui. Lecture du témoignage du flic : « pendant la manif place Bellecour, rue de la Barre, on a été visés par des jets de bouteilles, ces bouteilles nous étaient destinées ».
Le prez poursuit avec une posture professorale : « en droit, menacer avec une bouteille suffit à constituer une violence. La bouteille devient une arme par destination ».
Le prévenu : « On était avec ma compagne, c’était notre première manif, pour tous les deux je crois ; on voulait aller à la marche pour le climat, avec nos gilets jaunes : pour réconcilier les deux mouvements ; je pense qu’il faut pas opposer la question écologique avec les gilets jaunes. Arrivés à 13 heures à Cordeliers, on a compris que la marche était terminée et on a rencontré un cortège de gilets jaunes, qu’on a suivi. Il y a eu des premiers heurts à la Guillotière alors on est allés place Bellecour, où on n’a pas compris : les policiers nous ont laissé·e·s rentrer sur la place et très vite ça a dégénéré, encore. Les CRS étaient pris en tenaille et lançaient beaucoup de lacrymogènes. On voulait partir, quand une grenade assourdissante a explosé juste aux pieds de ma compagne, j’ai eu très peur pour elle. J’avais peur quand j’ai fait cette chose stupide, il y avait des lacrymo, le nuage… »
Le prez : « Avez-vous ressenti de la colère, du ressentiment ? À ce moment là, il y a deux choix : soit partir, soit lancer une bouteille. »
Le prévenu : « Oui, j’étais paniqué et j’ai fait le mauvais choix »
Le prez :« Oui, et ça humainement on le comprend, mais c’est un délit pénal. »
Le prévenu : « Ensuite, j’ai été interpellé sans violence et sans résistance »
La proc prend la parole : « Le rassemblement en vue de commettre des violences a été abandonné, reste les faits de violence (la bouteille). Monsieur a été authentique dans ses déclarations et le parquet le reconnaît. On voit qu’il n’est pas organisé, et dans la découverte de ce qu’est un mouvement. On a parfois du mal à comprendre ces situations et ce qu’il se passe avec des personnes qui passent à l’acte comme ça, et c’est intéressant. Cependant, le droit de manifester, ce n’est pas ça. On ne peut pas banaliser ces actes graves. Le collectif ne s’improvise pas et même dans le collectif, la responsabilité individuelle prend le dessus. » Puis un passage étonnant du réquisitoire : « Il a eu l’honnêteté de dire qu’il n’a pas été maltraité par les fonctionnaires de police. Il faut reconnaître aussi de l’autre côté l’honnêteté des fonctionnaires de police. Ils ont dit qu’il n’était pas masqué, ils n’ont pas rajouté de circonstances aggravantes. » La proc sous entend-elle que les flics écrivent ce qu’ils veulent sur les procès verbaux et que le traitement pénal dépend de leur honnêteté ou non ? « Ici, on n’a pas de casier, pas d’antécédents, rien dans la fouille, et il ne s’est pas masqué le visage. Je demande que soit reconnue la culpabilité et 3 mois de sursis- TIG (105 heures). »
Son avocate reprend les déclarations de son client et demande un sursis simple, les réquisitions du parquet ont été suivies : 105 heures de TIG, 3 mois d’emprisonnement s’il ne les effectue pas.
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