L’ère du porc. Pas le modèle animal, digne malgré le liserai et les tendances babyphages. Mais la version humanoïde, destructrice et avide, embourbée dans un consensus sociétal chaque jour plus dégradant. Le porc bipède dans toute sa non-splendeur, accroché à son territoire et à ses normes comme d’autres à leur mangeoire, ayant abdiqué toute idée de grandeur (sociale, morale, intellectuelle).
Gilles Châtelet : un berger-voyou dans la porcherie (Article 11)
Heureusement certain·es résistent.
3 ans d’occupations dans les écoles et collèges
Serait-ce en train de devenir une tradition lyonnaise ? Année après année, l’automne est la saison où les écoles de l’agglomération commencent à être occupées pour héberger des élèves et leurs familles. Pour écrire ce bilan, nous remontons le temps dans les archives de Rebellyon. Le premier article faisant état d’une occupation d’école en 2017 remonte au 4 janvier et non à fin novembre. Il y est question des occupations des automne et hiver 2016. Au passage, nous nous remémorons qu’un gymnase et une école de Vaulx-en-Velin étaient occupés en avril et mai 2017 par le collectif Jamais sans Toit. Comme le répètent les collectifs qui soutiennent les sans-logis, l’absence d’hébergement et ses dangers sévissent toute l’année.
Comme le rappelle un photoreportage récent, cela fait plus de 3 ans que la situation se reproduit : des familles dont les enfants sont scolarisés dorment à la rue. Depuis 3 ans, enseignant·es et parents d’élèves - regroupé·es autour du collectif Jamais sans Toit - se mobilisent pour les héberger et pousser les institutions, État, Métropole et Éducation Nationale à prendre leur responsabilité. En novembre 2014, neuf écoles avaient déjà été occupées par les membres du collectif Jamais sans Toit.
Le mécanisme se répète. Ce sont d’abord des goûters solidaires qui sont organisées puis, très vite, différentes écoles et collèges se trouvent occupés. Un gros travail de communication est mis en œuvre pour se faire entendre, comme lors de la Fête des Lumières où un itinéraire bis balisé de banderoles a été organisé par Jamais sans Toit.
Le plus souvent, comme le 21 décembre à Vaulx-en-Velin et alors qu’elles ne demandent que le respect de la loi, les familles hébergées et leurs soutiens se heurtent à des pouvoirs publics qui n’assument pas leur propre rôle et ne font rien ne serait-ce que pour mettre les familles à l’abri.
La répétition des faits est parfois accablante. En novembre 2016, Jamais sans Toit identifiait 150 enfants sans logis à Lyon et dénonçait le fait que les pouvoirs publics étaient aux abonnés absents. En décembre 2017, ce sont encore 150 enfants qui n’ont pas de logement et les autorités bottent toujours en touche. Les discours aussi résonnent.
Un parent d’élève déclarait en 2016 à un·e contributeur·e : « L’occupation c’est un truc qui finit par se faire parce qu’on a pas d’autres solutions. C’est inacceptable de voir des enfants qui arrivent le matin à l’école avec des griffures de rats ou des vêtements trempés. Il y a une volonté de les protéger, de protéger leur famille et d’alerter sur ce qui se passe. Ça se met en place plutôt naturellement. » En 2017, c’est un enseignant qui confie « Tu le vis super mal, tu as tous tes élèves qui sont dans une situation précaire, c’est pas tenable psychologiquement. »
Les pressions de l’Éducation Nationale sur les enseignant·es se répètent d’année en année. La présence policière autour des écoles est devenue quotidienne au moment des occupations. Quant à la pression de la préfecture sur les familles migrantes, elle n’a jamais été aussi dure. Heureusement, la solidarité ne faibilit pas.
En attendant, des familles passeront les fêtes et la fin de l’année 2017 dans des salles de cours et des gymnases. D’autres fêteront le réveillon à l’amphi Z, un bâtiment de Villeurbanne occupé depuis le 12 décembre.
De l’amphi C à l’amphi Z
En cet automne 2017, la mobilisation autour des politiques migratoires et de logement a été forte à Lyon. Suite à l’expulsion le 10 novembre d’une soixantaine d’exilés mineurs du couloir de la Part-Dieu où ils avaient trouvé refuge, les étudiant·es ont rejoint le mouvement.
Dans la nuit du 15 novembre, veille de mobilisation nationale contre la loi travail, migrant·es et étudiant·es ont investi l’amphithéâtre C de l’université Lyon 2, sur le campus de Bron. Durant quatre semaines, l’amphi C a servi de lieu d’hébergement et d’organisation du mouvement de résistance aux politiques migratoires et de logement.
Dans leur dernier communiqué, le 12 décembre, ses occupant·es écrivaient « Les dernières mesures du gouvernement contre les migrant.es et les étudiant.e.s nécessitent une réponse d’ampleur nationale. (...) Lyon appelle à une journée de mobilisation nationale le samedi 16 décembre pour les droits des migrants, contre Dublin, contre le tri des migrants dans l’hébergement d’urgence par les associations proposé par le ministre de l’intérieur Gérard Collomb et contre les expulsions, en écho à la manifestation internationale "Ouvrez les frontières" à Menton, Vallée de la Roya ce même jour. »
Le rassemblement organisé le 16 décembre a conduit à officialiser l’occupation d’un bâtiment vide à Villeurbanne. Ancien bâtiment de formation pour les pompiers, l’immeuble du 12 rue Baudin a été baptisé amphi Z. La vie de sa centaine d’occupant·es s’organise, entre bricolages de chauffage et de plomberie, collecte de nourriture et de médicaments et préparation des suites à donner au mouvement pour gagner bien plus qu’un hébergement d’urgence.
À Bron, la pression exercée par les étudiant·es et les migrant·es a permis de repousser plusieurs fois les velléités d’expulsion de la présidence de l’université. L’occupation de Lyon 2 s’est achevée le 20 décembre, elle aura duré plus d’un mois. Après que le tribunal administratif ait finalement autorisé l’expulsion de l’amphi C, les migrant·es et les étudiant·es ont décidé de quitter les lieux sans attendre l’arrivée de la police. Les migrant·es ont trouvé refuge à l’amphi Z.
Ironie du sort, l’immeuble occupé à Villeurbanne a plusieurs fois été réquisitionné par le passé sur ordre du préfet dans le cadre de plans d’hébergement d’urgence. Les pouvoirs publics ne faisant pas cette année leur travail de mise à l’abri, ce sont les militant·es et les migrant·es qui s’en chargent directement.
L’hébergement dans des écoles, collèges ou immeubles vides ne saurait être autre chose qu’une étape transitoire avec l’accès au logement pour toutes et tous. En janvier 2017, un article rappelait que l’INSEE dénombre environ 26 000 logements vides sur la seule commune de Lyon. Cette abondance de biens disponibles démontre par elle-même que laisser des hommes, des femmes et des enfants dormir dans la rue est un choix politique que les pouvoirs publics doivent assumer.
La violence de ce choix apparaît parfois d’une absurdité cruelle comme le relèvent les enseignant·es du collège Barbusse en notant qu’un logement de fonction de l’institution, propriété de la Métropole de Lyon, est « vide, neuf et chauffé depuis 4 ans ».
Au-delà de l’humanitaire
Dans une tribune publiée le 14 novembre, un·e contributeur·e de Rebellyon écrivait à propos du 10 novembre, jour de l’expulsion des mineurs de la Part-Dieu qu’il s’agissait d’« un jour comme tous les autres, un jour où la trêve hivernale ne s’applique pas dans les faits, Un jour où on expulse de force des dizaines de personnes de leur lieu de vie (et de leur vie) parce qu’apparemment vouloir avoir un toit sur la tête est un délit ».
Les occupations de lieux peuvent parfois nous paraître dérisoires face à ces jours comme les autres, face aux 15 000 femmes, hommes et enfants mort·es en Méditerranée depuis trois ans, face à celles et ceux qui gèlent dans les Hautes-Alpes ou se font renverser par des voitures à Calais, face aux policiers qui arrachent les couverture et lacèrent les tentes, face à un État qui ne se cache même plus pour mettre fin à l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence et signifier ainsi qu’il laissera mourir de froid celles et ceux à qui il n’accorde pas de papiers...
Ces occupations ne sont pas des opérations humanitaires dont l’objectif serait de préserver la conscience de quelques militant·es face à l’inhumanité galopante des politiques d’accueil et de logement. Elles sont autre chose que trouver quelques murs pour nous protéger du vent, de la pluie et de froid. Elles marquent notre détermination à garder la tête haute pour affronter ensemble - français·es et migrant·es - ceux qui sont responsables d’un désastre que l’on voudrait nous faire accepter comme inéluctable.
La résignation nous condamnerait à vivre comme des porcs. Face à des États qui broient des vies, la résistance est la seule chance de celles et ceux qui veulent vivre en êtres humain·es.
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